Innovation : l’administration utilise drones et IA pour lutter contre la cabanisation

Faire tourner des drones et utiliser l’intelligence artificielle pour faire de la vigilance territoriale et repérer (et lutter contre) des constructions illégales, des décharges sauvages, des épaves de bateaux, ou encore pour assurer le suivi de zones inondées ou incendiées. La Direction départementale des territoires et de la mer de l’Hérault met l'innovation au service de ses métiers pour détecter les contrevenants. Une sorte de "regard augmenté" de l’administration…
Cécile Chaigneau
(Crédits : DDTM 34)

Il va devenir de plus en plus difficile d'échapper à la loi et au "regard augmenté" des administrations décentralisées de l'Etat qui désormais, utilisent des moyens inédits pour améliorer l'efficience de leurs missions

A la Direction départementale des territoires et de la mer de l'Hérault (DDTM 34), le directeur Matthieu Grégory a lâché la bride et, ses agents, encouragés, se sont petit à petit laissés aller à imaginer des moyens disruptifs pour exercer leur métier.

« Quand on fait marcher l'intelligence collective des agents et qu'on les incite à être créatifs, mêmes les administrations sont capables de démultiplier l'efficacité sur le terrain, déclare Matthieu Grégory, qui a créé dès 2016 un club de l'innovation au sein de son administration. Cette agilité se nourrit bien sûr de la volonté de faire de l'innovation un outil de management, et d'une petite capacité financière pour développer de nouveaux outils. L'idée du drone est arrivée rapidement car cela correspondait à l'époque où sortait le drone de loisir. »

Car à la DDTM, les missions dites de « vigilance territoriale » où un drone serait une valeur ajoutée ne manquent pas, notamment pour les zones difficilement accessibles : repérage de cabanisation (construction sans autorisation d'urbanisme, d'un habitat permanent ou provisoire, et par conséquent illégal), de dépôts sauvages (par exemple au fond d'un ravin inaccessible ou le long de rivières), de mouillages illégaux et d'épaves de bateaux, mais aussi surveillance du littoral (domaine public maritime, érosion des plages, etc.) ou même gestion de crise (inondations, incendies, éboulements) et observations post-crise des zones sinistrées.

« Nous avons investi dans trois drones et formé trois télépilotes, indique Matthieu Grégory. Le drone est un très bon outil pour donner à voir le territoire. Cela nous permet de faire du repérage avant de diligenter des contrôles. »

DDTM 34 utilise les drones pour lutter contre la cabanisation

Le drone piloté par la DDTM 34 repère les suspicions de cabanisation.

Le phénomène de cabanisation

Depuis 2019, la DDTM 34 réalise une trentaine de missions drones par an, majoritairement pour lutter contre la cabanisation et les décharges sauvages.

Le phénomène de cabanisation n'est pas une spécificité héraultaise, même s'il est particulièrement vivace sur ce territoire très prisé du tourisme. Les constructions illégales sont pour beaucoup des cabanons de vacances qui se pérennisent dans le temps, mais pas uniquement, Matthieu Grégory évoquant également « un phénomène social et une population pauvre qui se retrouve dans ce type d'habitat précaire ». Selon le baromètre 2019 de la DDTM 34, 400 contrôles avaient été effectués sur le terrain (soit sur signalement soit pour s'assurer d'une exécution de décision de justice de remise en état) et 84 procès-verbaux dressés. En 2019, 69 condamnations ont été prononcées et 71% étaient assorties d'une obligation de remise en état sous astreinte.

« J'ai présenté ce dispositif aux autres directeurs de DDTM et à ce jour, une quinzaine se sont équipées, souligne Matthieu Grégory. Le drone est encore assez peu utilisé par rapport à son potentiel, et nous travaillons maintenant sur l'automatisation de la gestion des images pour nous permettre d'y avoir accès plus rapidement, presqu'en temps réel... On nous a demandé s'il était possible d'embarquer d'autres outils sur le drone, par exemple pour faire de l'imagerie thermique et détecter les îlots de chaleur dans les villes. Il me semble qu'on s'éloigne là de nos missions. En revanche, en 2021, j'aimerais que l'on puisse créer un réseau entre télépilotes de la DDTM, du Sdis, de la gendarmerie, etc. pour faire du partage d'expérience. »

L'intelligence artificielle pour scruter des images satellites

Si les drones constituent une innovation d'usage, le projet AIGLE, quant à lui, est une réelle innovation technologique dont la vocation première est, elle aussi, de lutter contre la cabanisation : un modèle basé sur l'intelligence artificielle pour analyser des images satellites et automatiser la détection « d'objets » (mobil-home, construction en dur, piscine) là où ils ne devraient pas être.

« Plutôt que regarder des séries de photos satellites en amont, ce qui constitue un travail de manipulation assez lourd, nous avons imaginé inverser la démarche : mettre au point un outil qui compare des séries d'images et nous signale automatiquement les "objets" qui apparaissent sur des zones qui devraient être vierges, c'est à dire des zones inondables, des terrains agricoles ou des zones naturelles, qui plus est sur des zones naturelles protégées », explique Matthieu Grégory.

Autrement dit aller voir sur le terrain de manière ciblée. La DDTM 34 est lauréate, en 2018, d'un appel à projet innovation lancé par la direction interministérielle du numérique et la direction interministérielle de la transformation publique, et reçoit 250.000 euros pour développer cet outil. Pour ça, elle travaille avec SIA Partners, cabinet parisien de conseil en management et en intelligence artificielle. Un premier prototype est livré début 2019.

« Il détectait entre 60 et 70% des objets, mais aussi autant qui n'en étaient pas, précise le directeur de la DDTM 34. Et ils n'avaient pas développé la dimension de temporalité, indispensable sur la problématique de lutte contre la cabanisation. J'ai réinjecté 30.000 euros sur mon budget 2019 pour ajouter l'analyse de temporalité, et encore 50.000 euros en 2020 sur l'environnement de travail de l'outil. Aujourd'hui, nous travaillons sur la base des photos aériennes de 2012, 2015 et 2018, et nous sommes dans la phase d'apprentissage de la machine. Le prochain scan du territoire se fera en 2021. »

Expérimenter AIGLE avec les collectivités

Le directeur départemental des territoires se veut prudent sur l'usage de l'outil : « Un outil qui observe est assez intrusif et l'objectif n'est pas d'avoir une surveillance permanente de tout ! Il faut une approche raisonnée et raisonnable. Mais aujourd'hui, sur la cabanisation, nous n'avons pas de maîtrise et on arrive souvent après la bataille. Nous avons donc besoin d'être plus efficaces ».

Matthieu Grégory ajoute que AIGLE ne peut pas détecter de décharges sauvages, dont les contours sont bien trop divers pour être appris par une intelligence artificielle.

S'il est encore trop tôt pour faire un bilan, la DDTM 34 envisage déjà de connecter AIGLE à LUCCA, un outil créé par la DDTM 66 pour faciliter la rédaction, la gestion et le suivi des PV d'infraction à la cabanisation : « Avec AIGLE, on pourrait éditer un signalement de cabanisation et envoyer la fiche à la mairie pour que le maire diligente la police municipale qui elle, enregistrerait aussi ses PV dans LUCCA. On veut l'expérimenter en 2021 avec les collectivités et la généraliser en 2022 ».

Selon le directeur de la DDTM 34, une dizaine de projets innovants sont en cours au sein de son club de l'innovation. Un exemple ?

« Recourir à l'intelligence artificielle pour aller foisonner sur les sites internet et être plus efficaces dans l'identification des secteurs où se produisent des catastrophes naturelles, une inondation par exemple, car beaucoup de gens publient des vidéos en ligne. Or en situation de gestion de crise, on est derrière son ordinateur mais un peu aveugle sur ce qui se passe. Cela nous permettrait de faire remonter des informations de la Toile, l'objectif étant de reconstituer un réseau d'observation de terrain. »

Cécile Chaigneau

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