C'est en 2020 que la société d'accélération de transfert de technologies (SATT) AxLR, à Montpellier, repère le projet développé au sein de l'Institut Européen des membranes (IEM), un laboratoire de recherche sous tutelle de l'Ecole nationale supérieure de Chimie de Montpellier (ENSCM), de l'Université de Montpellier et du CNRS. Damien Voiry, jeune chercheur en chimie des nanomatériaux au CNRS depuis 2016, y travaille sur un procédé complexe destiné à transformer le CO2 par électrolyse.
A l'affût des innovations issues du milieu de la recherche afin d'en accompagner le développement technologique dans le cadre du Programme des Investissements d'Avenir (PIA), la SATT soutient rapidement le projet à hauteur de 315.000 euros. Entre 2020 et 2022, trois brevets sont déposés, portant sur plusieurs versions d'un catalyseur, composé d'une fine couche de métaux et permettant la conversion de CO2 en éthylène par un procédé d'électrolyse. Il s'agit de prendre le déchet problématique que constitue le dioxyde de carbone et d'utiliser de l'électricité, si possible issue des énergies renouvelables (ENR), afin de le transformer en éthylène. Souvent obtenu à partir d'énergie fossile, l'éthylène est un gaz utilisé pour produire du polyéthylène, la matière plastique la plus courante.
En bref, le procédé mis au point par l'équipe de Damien Voiry utilise le CO2 de l'air pour en extraire un gaz permettant, en bout de chaîne, de fabriquer des fibres synthétiques biosourcées qui serviront à produire des sacs plastique, des menuiseries en PVC ou de l'habillement.
Technologies à émission négative de CO2
Les choses s'accélèrent en 2022 avec l'arrivée au printemps de celui qui va porter le projet de startup adossé à l'innovation scientifique. Italien installé en France depuis une douzaine d'années, Alfonso Morriello possède une solide expérience dans le monde des affaires, d'abord celui de l'énergie traditionnelle, avant de s'intéresser à l'innovation et aux nouvelles énergies. Ainsi, en 2011, il a par exemple cofondé Axegaz, startup spécialisée dans la distribution de GNL (gaz naturel liquéfié) et de bio-GNL.
Selon lui, l'innovation issue des recherches de Damien Voiry est en phase avec les besoins du secteur de l'énergie.
« J'ai tout de suite vu son positionnement sur le marché, la pétrochimie ayant un gros problème de décarbonisation, explique Alfonso Morriello. Cela donne aussi la possibilité de décarboner des industries qui émettent beaucoup de CO2 pour des raisons chimiques, comme les cimenteries ou les verreries, et ont besoin de technologies à émission négative de CO2. »
Pour l'heure, le projet est au stade du prototype : une première machine de production d'éthylène, a été assemblée en septembre dernier au sein de l'IEM afin d'y mener des tests.
« On se donne les prochains dix-huit mois pour faire des améliorations et résoudre les problèmes, et en 2024, nous devrions être en mesure de produire une 2e version de la machine capable de satisfaire les besoin des industriels », détaille le futur CEO.
La startup devrait être crée fin 2022 ou début 2023. Elle sera suivie d'une première levée de fonds entre 2 et 10 millions d'euros auprès d'investisseurs privés mais aussi de fonds publics français et européens.
Il s'agira notamment de renforcer l'équipe pour concevoir une machine grandeur nature à même de tourner sur un site industriel à l'horizon 2025.
Indicateurs au vert
« Nous devons améliorer les performances, intégrer les améliorations et surtout viser à avoir un démonstrateur avec une taille conséquente, soit 100 fois plus grand que le prototype construit, c'est vraiment l'un des défis du projet, précise Alfonso Morriello. Ensuite, il faudra sans doute compter un à deux ans minimum avant le développement commercial. Il nous reste des verrous technologiques à faire sauter : bien que notre technologie soit la meilleure existante, elle doit être optimisée pour une industrialisation. Notre objectif est d'avoir une solution commercialisable qui nous permette de produire industriellement des stacks d'hydrolyse (ou pile d'hydrolyse, NDLR) permettant d'utiliser le CO2 pour produire de l'éthylène. »
À noter que 500 millions de tonnes de plastique sont fabriqués chaque année, ce qui correspond à 1,8 gigatonnes d'émissions de CO2, soit 3 à 4% des émissions mondiales de dioxyde de carbone. 150 millions de tonnes d'éthylène sont également vendus chaque année à travers le monde.
Mais Alfonso Morriello reste prudent : « Nous sommes dépendants du marché, c'est pourquoi nous devons être sûrs que le marché et les industriels de la filière sont prêts. Notre technologie ne permet pas de capter le CO2, mais depuis deux ans il y a beaucoup d'investissement dans les technologies de "carbon capture", c'est bon signe. On a aussi un besoin important d'électricité verte, or la progression de la production d'ENR est phénoménale. De plus, des industriels communiquent déjà sur la fabrication de produits à partir d'émissions de CO2. Aujourd'hui, tous nos indicateurs sont au vert ».
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