Occitanie : forces (et faiblesses) d’une filière émergente en santé numérique

Elle est encore jeune. Presque naissante. La filière de la santé numérique en Occitanie cherche ses marques. La Région, qui souhaite en faire l’un de ses fers de lance économiques, vient de réaliser un diagnostic de la chaîne de valeur de la filière et une cartographie des acteurs régionaux. Objectif de cet état des lieux : analyser les enjeux et prospectives et identifier les leviers pour favoriser la structuration et le développement de la filière. La Tribune s’est procuré les résultats de cette étude.
Cécile Chaigneau
La région Occitanie fait un état des lieux des acteurs de la santé numérique avant de déployer une stratégie de soutien à la filière.
La région Occitanie fait un état des lieux des acteurs de la santé numérique avant de déployer une stratégie de soutien à la filière. (Crédits : DR)

Avant de développer une stratégie de filière, il faut savoir d'où l'on part et si le jeu en vaut la chandelle. La Région Occitanie joue plusieurs cartes et mise notamment sur celle de la santé numérique. C'est la raison pour laquelle son agence de développement économique, Ad'Occ, a initié une démarche de diagnostic du positionnement des différents acteurs de la chaîne de valeur de la filière en Occitanie.

« La stratégie régionale de l'innovation est articulée autour de huit grands domaines prioritaires, dont celui de la santé, et cette étude a vocation à caractériser la maturité de la filière de santé numérique dans la région et à établir une cartographie des acteurs régionaux, afin d'écrire, d'ici à l'automne prochain, la feuille de route d'accompagnement au développement de cette filière, confirme Pierre Benaim, secrétaire général Stratégie régionale innovation Occitanie et directeur délégué Innovation chez Ad'Occ. L'idée, c'est de travailler les enjeux et les prospectives. On sait déjà que certains acteurs de la santé numérique sont mal ou peu accompagnés, notamment sur les financements ou sur les modèles économiques qui sont complexes dans ce secteur. Il y a donc encore des verrous que les entreprises seules auront du mal à lever... Cette étude nous permet d'évaluer le potentiel : combien d'acteurs, quel pourcentage de leurs activités sur la santé numérique, quel niveau de maturité des entreprises, par secteur, par produit, etc. »

239 entreprises en santé numérique

La région Occitanie peut d'ores et déjà s'appuyer sur un écosystème en santé solide* (680 entreprises de santé dont 80% de PME et huit groupes à forte notoriété internationale comme Pierre Fabre, Horiba ou Sanofi, 19.000 emplois) et une filière numérique dynamique* (3.600 entreprises, 64.000 emplois et un chiffre d'affaires cumulé de plus de 8 milliards d'euros).

La région peut aussi s'appuyer sur le pôle de compétitivité Eurobiomed, sur de nombreux acteurs académiques (les universités de Toulouse, Montpellier et Nîmes, le LIRMM à Montpellier, l'Institut universitaire Champollion à Albi, etc.), des acteurs de la recherche clinique (CHU, clinique Pasteur, Gérontopôle, etc.), des acteurs de la recherche (CEA ou Institut Saint-Exupéry) ou encore l'Institut méditerranéen des métiers de la longévité (I2ML).

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Le périmètre de l'étude, réalisée par Care Insight (cabinet conseil spécialisé dans la transformation de la santé par l'innovation et le numérique en santé), prend en compte les activités de e-santé, télésanté, télémédecine, robotique, m-santé (mobile-santé), silver tech, cybersécurité ou data.

Elle identifie 239 entreprises en santé numérique - « soit plus que ce qu'on imaginait », commente Pierre Benaim - dont 92,5% de PME (212 PME, 14 ETI, 3 GE), un tiers qui ont moins de quatre ans et 50,44% qui ont moins de dix employés.

L'étude fait état d'une « dynamique récente de création d'entreprises qui s'accélère, sur les quatre dernières années » sur trois segments de marché : les "outils cliniques-logiciels métiers" 
(17,5%, soit une petite cinquantaine d'entreprises), "outils de gestion-administratif-pilotage" 
(11,25%, soit un peu plus de 30 entreprises) et "data/traitement de la donnée »
 (10%, soit une vingtaine d'entreprises).
 59% d'entre elles déclarent intégrer de l'intelligence artificielle dans leurs solutions technologiques.

Une cartographie des entreprises en santé numérique vient d'être établie en Occitanie.

Une cartographie des entreprises en santé numérique vient d'être établie en Occitanie, à l'initiative de l'agence Ad'Occ.

Tropisme métropolitain

Sans surprise, la majorité des entreprises en santé numérique sont installées sur l'une des deux métropoles régionales, Montpellier et Toulouse : 42,29% sont dans l'Hérault, 38,77% en Haute-Garonne, « mais on note aussi aussi une certaine dynamique autour de Nîmes, où se trouvent un CHU et l'I2ML (6,61% des entreprises en santé numérique dans le Gard, NDLR), et de Castres où se tiennent, chaque année fin juin, les Universités de la e-santé (4,41% dans le Tarn, NDLR) », souligne Pierre Benaim.

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Concernant les produits proposés par les entreprises régionales, plus de 30% proposent des logiciels, 15% des robots ou appareils connectés, et environ 14% des plateformes numériques. Suivent des prestations de service et des applications. La majorité sont destinés à l'aide à la décision, aux services supports et au pilotage interne (facturation, logistique, RH,...).

L'Occitanie peut se prévaloir de la présence de quelques grands groupes intervenant partiellement dans la santé, comme Orange, Dassault Systèmes, IBM ou Atos, ainsi que d'ETI de la santé numérique : Zimmer Biomet, Berger Levrault, Almerys, Siemers Healthineers, Abylsen, MindMaze, etc.

Concernant le nombre d'emplois que représente la filière de santé numérique, « difficile de le savoir, car certaines entreprises n'ont qu'une partie de leur activité sur le numérique en santé », répond Pierre Benaim, qui avance prudemment le chiffre de « quelques milliers »...

« On manque d'une locomotive régionale »

La synthèse des besoins réalisée lors de l'étude fait apparaître quatre grands axes : l'accompagnement stratégique, l'accès au marché et le lien avec les établissements de santé, l'accompagnement sur les financements et l'amélioration de l'attractivité, « ce qui n'est pas une surprise », fait observer Pierre Benaim.

L'étude évalue également les forces, les faiblesses, les opportunités et les menaces pour la filière occitane de santé numérique.

« Les atouts montrent qu'on a un potentiel important, avec un tissu industriel conséquent, des métropoles dynamiques, des appels à manifestation d'intérêt remportés au niveau national, des universités et de la recherche, résume Pierre Benaim. Du côté des faiblesses, on manque d'une locomotive régionale : on n'a pas d'Airbus de la santé numérique ! »

Le rapport fait aussi état de la « dualité Montpellier / Toulouse » mais Pierre Benaim modère le constat : « Le terme "dualité" n'est pas le bon, même s'il y a encore des verrous à lever entre les deux métropoles, des améliorations à apporter sur les pistes de collaboration et sur les liens entre les deux écosystèmes... Nous avons déjà fait ce travail sur les biothérapies car il y avait de grands experts internationaux tant à Toulouse qu'à Montpellier, et aujourd'hui, une complémentarité s'est mise en place ».

Parmi les menaces, figurent la jeunesse de la filière, les besoins importants de fonds pour financer les startups, la gouvernance et l'animation de la filière à mettre en place, mais aussi la concurrence indirecte exercées par la filière numérique
 et l'aéronautique
 : « Il existe de grosses tensions sur l'emploi aujourd'hui, et des filières très développées qui sont plus attractives peuvent faire peser une menace sur le staff des entreprises de santé numérique. C'est un enjeu ».

En concurrence avec la Nouvelle-Aquitaine

Autres concurrences non négligeables : la concurrence étrangère et la forte attractivité filière de la région Nouvelle-Aquitaine. D'ailleurs, un benchmark des trois autres régions de France (Ile-de-France, Nouvelle-Aquitaine et Grand Est) positionnées sur la santé numérique a été effectué. Elle souligne notamment que la Région Nouvelle-Aquitaine a soutenu le développement de la télémédecine et la mise en place de services ou organisations innovants pour lutter contre les déserts médicaux.

« Oui, on peut parler de compétition en termes d'attractivité, notamment pour faire venir des entreprises étrangères, concède Pierre Benaim. La Nouvelle-Aquitaine a commencé à travailler le sujet avant nous, et la santé numérique est une filière historique pour cette région, dans laquelle ils ont beaucoup investi. L'objectif est d'ailleurs de s'inspirer de ce qui marche. »

Deux scénarios terminent l'étude de Care Insight. Le premier, qualifié de « généraliste », préconise « une approche de la filière globale portée sur l'ensemble des segments d'activité de la chaîne de valeur », et le second, qualifié de « spécialiste », « l'identification de segments et d'acteurs pour mener une stratégie volontariste ».

« Dans le premier, on structure une filière et on soutient l'ensemble des segments, et dans le second, on choisit un segment sur lequel on est fort et on se concentre dessus, par exemple l'IA en santé, décrypte Pierre Benaim. Mais ça pourrait être un mix des deux... Nous allons inviter à nouveau l'ensemble de l'écosystème pour arbitrer sur un scénario d'ici la fin de l'année, dire comment et avec quels moyens... Nous sommes sur la ligne de départ, avec l'idée d'écrire la feuille de route d'ici fin 2023. »

* Selon les chiffres de la Région Occitanie.

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