Antibiorésistance : comment le Covid a ralenti les essais cliniques de Deinove (qui obtient un avis favorable décisif)

La biotech héraultaise Deinove, qui développe des antibiotiques novateurs, vient de recevoir un avis favorable pour poursuivre son essai clinique de phase II aux États-Unis, portant sur une molécule antibiotique contre certaines infections nosocomiales. Un précieux sésame sur un long chemin où la PME s’est heurtée à une difficulté, conséquence directe de la crise sanitaire : celle de « recruter » des patients pour son essai clinique.
Cécile Chaigneau
Alexis Rideau, directeur général de Deinove depuis mai 2020.
Alexis Rideau, directeur général de Deinove depuis mai 2020. (Crédits : Deinove)

La crise sanitaire mondiale du Covid-19 a eu, et a encore, des effets collatéraux à diverses échelles. Pour les biotechs ne travaillant pas sur le Covid mais sur d'autres pathologies, les essais cliniques ont ainsi été rendus difficiles en raison de « recrutements » rendus ardus par la pandémie, prioritaire sur tout le reste.

Basée à Grabels, près de Montpellier, Deinove, cotée sur Euronext, est dédiée à la découverte de nouveaux antimicrobiens (antibiotiques, antifongiques, antiviraux et antiparasitaires) pour faire face au défi sanitaire mondial de l'antibiorésistance. Pionnière dans l'exploitation de la "matière noire microbienne" (inexplorée), elle a développé une plateforme de micro-biotechnologie avec une collection de près de 10.000 souches rares et de milliers d'extraits bactériens, sur laquelle elle s'appuie pour identifier de nouvelles molécules ciblant des indications thérapeutiques infectieuses prioritaires.

La molécule antibiotique propriétaire de Deinove, appelée DNV3837, est en cours d'évaluation clinique en phase II contre les infections sévères à Clostridioïdes difficile, un agent pathogène responsable de certaines infections nosocomiales, représentant une menace majeure pour la santé humaine et reconnu comme prioritaire par l'Organisation Mondiale de la Santé.

« Le DNV3837 est le seul candidat-antibiotique développé par une société française, parmi les 43 actuellement testés en clinique au niveau mondial, selon The Pew Charitable Trusts, rappelle Alexis Rideau, directeur général de Deinove depuis mai 2020. 15 sont en phase I, 13 en phase II dont le DNV3837, 13 en phase III et 2 en enregistrement. »

Sésame précieux

L'essai clinique de phase II de la molécule DNV3837, ciblant le traitement des infections gastro-intestinales sévères, se déroule aux États-Unis, avec une dizaine de patients sur la première partie de l'essai. Il vient de recevoir l'avis favorable du DSMB (Data and Safety Monitoring Board), c'est à dire le comité de surveillance des données et de la sécurité.

« Le DSMB est un groupe indépendant d'experts chargé de surveiller les données de sécurité des patients d'un essai clinique, explique Alexis Rideau, qui souligne que durant des essais cliniques, l'entreprise est très contrainte sur les informations qu'elle peut divulguer. La phase II donne deux informations : la molécule testée sur des malades apporte-t-elle une toxicité et une évolution favorable sur la pathologie visée ? Le DSMB a observé les données liées à la toxicité et conclu que la balance bénéfice/risque de l'antibiothérapie avec DNV3837 était en faveur de la poursuite de l'essai. »

Cet avis est un sésame précieux dans le long parcours que constitue l'avènement d'une molécule jusque sur le marché. D'autant que la biotech française s'est pris de plein fouet la crise sanitaire avec pour conséquence une réelle difficulté à « recruter » des patients pour son essai clinique. Et a donc engrangé du retard.

« La priorité a été donnée aux essais Covid »

« Nous avons recruté notre premier patient pour l'essai clinique de phase II au début de la première vague de Covid, début 2020, explique Alexis Rideau. Pendant les deux ans qui viennent de s'écouler, nous avons rencontré de vraies difficultés à recruter... Pour nous, la pandémie a eu un impact majeur. Nous voulions aller à 10 patients mais avec la vague Delta à l'été 2021, nous n'avons pas réussi à recruter ce 10e patient. Mais même si cela constituait une prise de risque, nous étions toutefois suffisamment confiants sur les données des neuf premiers patients pour tenter le DSMB... Le Clostridium difficile est un pathogène présent un peu partout mais qui s'attrape surtout à l'hôpital par des patients déjà fragilisés. Dans un contexte épidémiologique comme celui du Covid-19, les sites de recrutements ont été impactés sans exception en raison d'une tension hospitalière forte et certains sites ont été fermés car les personnels étaient contaminés. Même quand ils étaient ouverts, le recrutement devenait secondaire, au profit d'une médecine d'urgence et des patients Covid. Le Clostridium difficile n'était pas la priorité ! Puis la priorité a été donnée aux essais Covid ! A cela, il faut ajouter que le variant Delta a mis les Etats-Unis par terre, et que les Américains, qui sont mal couverts pour la santé, n'allaient pas dans les hôpitaux. »

Georges Gaudriault, directeur scientifique de Deinove, apporte d'autres éléments de contexte : « Il y a eu, en octobre 2020, un communiqué d'un organisme qui chapote les essais cliniques sur le cancer en Angleterre, pour dire que les recrutements de patients avaient diminué de 87%. Cela donne une idée de comment le système médical a été retourné ! Et au début 2020, il y a eu une avalanche d'annonces des grosses entreprises pharmaceutiques qui mettaient leurs essais cliniques entre parenthèses, surtout parce que la qualité des essais allait être impactée. Ce qui est lourds en termes de conséquences financières, Nous, nous sommes une PME, nous n'avons pas le choix, on ne peut pas descendre du train... ».

S'appuyer sur un partenaire industriel ou un investisseur

Dans la 2e partie de son essai clinique de phase II, Deinove prévoit de monter à 40 patients et mise sur l'avis favorable du DSMB pour déclencher « un impact important sur les médecins ». Pour favoriser le recrutement des patients, la PME a décidé d'ouvrir de nouveaux centres en plus de ceux actifs aux États-Unis.

« En fin de phase II, il faudra trouver un relais pour la phase III et donc s'appuyer sur un partenaire industriel ou sur un investisseur », indique Alexis Rideau.

L'entreprise se concentre désormais sur la recherche d'ingrédients à forte valeur ajoutée à destination de la santé (elle a stratégiquement abandonné la commercialisation d'ingrédients actifs pour le marché de la cosmétique). Alors qu'elle est pour l'heure financée par les obligations convertibles en actions sur le marché de la bourse, pourrait-elle en sortir pour d'autres voies de financement ?

« L'essentiel des solutions viennent des biotechs et pas de la pharma, fait observer le directeur général délégué. Deinove, c'est 65 millions d'euros investis en 15 ans. En comparaison, BioNTech, c'était 120 millions dès la première année ! Nous allons avoir besoin de renforcer notre capital, qui est très dilué actuellement, environ 95%, ce qui pose un problème de pilotage. Tout est ouvert... On a tendance à investir dans les nouvelles startups, mais il faut aussi travailler avec les sociétés d'une certaine taille. On souffre de sous-investissement en France... »

Deinove emploie aujourd'hui une cinquantaine de collaborateurs, après un plan de réorganisation qui a réduit la masse salariale. « Aujourd'hui, nous restons prudents », confie Alexis Rideau.

Cécile Chaigneau

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