Dans les tiers-lieux, « le carburant, c’est l’humain ! »

SERIE (3/3) – La Lozère, terre bénie des tiers-lieux ? Ce département a manifestement été identifié par les porteurs de projets désireux de s’enraciner en zone rurale et d’y créer de l’activité. L’objectif des candidats au tiers-lieu : développer un projet qui ait du sens, se mettre au vert tout en rassemblant et intégrant une communauté créatrice de liens. Témoignages.
Cécile Chaigneau
Au coeur des Cévennes, la Fabulerie en herbe accueillera notamment un fablab, centré sur la revalorisation du bois, avec des machines-outils et des machines à commande numérique.
Au coeur des Cévennes, la Fabulerie en herbe accueillera notamment un fablab, centré sur la revalorisation du bois, avec des machines-outils et des machines à commande numérique. (Crédits : DR)

Depuis le tiers-lieu POLeN (pôle lozérien d'économie numérique) à Mende, Vincent Gatin, responsable de l'agence Lozère Développement (agence d'attractivité, d'accueil et d'innovation territoriale du Département de la Lozère) a entre autres pour mission de couver et de faire grandir les projets de tiers-lieux.

Le label "Fabriques de territoire" décroché par POLeN fin 2020, lui donne des moyens pour accompagner les projets qui se font de plus en plus nombreux. C'est notamment l'une des conséquences de la crise sanitaire qui pousse les citadins vers un retour à la nature dans une quête de qualité de vie et de sens.

Outre les projets existants et qui veulent se développer, Lozère Développement a vocation à accueillir les nouveaux porteurs de projet à un tiers-lieu.

« Nous sommes des facilitateurs, déclare Vincent Gatin. Et ce qui est challengeant, c'est que, contrairement aux a priori dans ce domaine, les porteurs de projet ont un gros niveau, ils sont très aguerris, ont eu une vie professionnelle avant et leur projet tient la route ! »

« La fibre est arrivée sur le plateau de l'Aubrac »

Parfois, c'est un ensemble d'éléments qui fait tout basculer. La Lyonnaise Marjory Mayo, 32 ans, venait régulièrement sur le plateau de l'Aubrac avec son compagnon, ruthénois d'origine.

« On y a créé des liens, raconte-t-elle. On y allait pour s'y ressourcer mais pendant longtemps, il n'y avait pas de débit internet suffisant pour y télétravailler. Depuis l'été 2020, la fibre est arrivée sur le plateau, et avec la crise liée au Covid-19, on a sauté le pas ! Le pays est en pleine transition écologique, sociale, environnementale. De nouvelles formes de travail s'installent, notamment le télétravail. Et on voit que les tiers-lieux ne sont pas affectés car ça reste un lieu qui rassemble, le 3e lieu après le travail et la maison. Ça avait du sens. A Lyon, je gérais des espaces de coworking mais je n'avais plus envie de le faire en ville. Ici, sur le plateau, il n'y en a pas. Les planètes se sont alignées ! On est venus s'y installer en septembre 2020. »

La jeune femme travaille sur le projet en concertation avec le maire de Nasbinals (550 habitants) « qui avait déjà en tête l'idée d'un espace de coworking ».

« Nous avons dessiné le projet ensemble. Le projet du maire, c'est de redynamiser le territoire en faisant venir des gens via le télétravail notamment. »

Exploiter l'ancien restaurant-cabaret des années 1960

Mais Marjory Mayo veut aussi que son projet s'inscrive dans une réalité et elle a déjà observé ce qui existait et les besoins déjà été exprimés : « A Nasbinals, il y a un menuisier, un ébéniste, un architecte qui pourraient être intéressés par le projet d'un lieu élargi, avec par exemple un atelier-relais pour l'ébéniste et des achats de matériel en commun avec d'autres artisans ».

La jeune femme a déjà une idée : exploiter l'ancien restaurant-cabaret des années 1960, La Rosée du matin, un espace de 400 m2, déjà presque trop petit pour ce qu'elle imagine. Qu'à cela ne tienne : elle imagine alors exploiter plusieurs lieux dans le village, qui sont sous-utilisés et à rénover, et de se servir de La Rosée du matin comme catalyseur.

« L'idée, ce serait de partir de la Rosée du matin pour la dimension culturelle et artistique, en y proposant des événements, en faisant venir un marché de producteurs l'été. Et par ailleurs, rénover un autre lieu pour accueillir un espace de coworking et des salles de réunion. Puis un autre endroit pour installer un fab-lab à destination des artisansOn pourra aussi trouver des réponses pour les agriculteurs, ou créer un répare-café. »

N'est-elle pas trop optimiste sur la perspective d'attirer de futurs habitants grâce à une telle dynamique ?

« Ici, on est à deux heures de Montpellier, de Toulouse et de Clermont-Ferrand, on est donc aux portes de n'importe où, rassure-t-elle. Le monde appellera le monde ! »

Trouver le bon modèle économique

Elle a commencé le travail de défrichage avec le maire mais aussi avec l'agence Lozère développement et d'autres tiers-lieux du territoire avec qui elle veut créer des synergies.

« On accompagne ce type de projet très en amont, sur l'ingénierie, pour trouver le modèle économique le plus pérenne, le financement et les mettre en relation avec d'autres lieux », confirme Vincent Gatin.

Car il va falloir aussi financer le projet. Marjoy Mayon mise sur les nombreux dispositifs existants et amplifiés par la crise Covid. Quant au modèle, elle envisage de se calquer sur celui de la Station A à Rodez (09) et de convaincre des entreprises comme Orange, Enedis ou le Crédit Agricole.

Son calendrier ? Peaufiner le projet en fonction des besoins en 2021 et commencer les travaux fin 2021 pour une ouverture au printemps 2022.

La Fabulerie en herbe

A Marseille, Axelle Benaich a lancé il y a huit ans la Fabulerie, sorte de « fabrique collective » dont l'ambition est d'accompagner les professionnels de la culture, du social ou de l'éducation, ainsi que leurs publics, sur la transformation numérique.

« On sent autour de nous, depuis plusieurs années, le besoin de réaligner activités professionnelles et valeurs de simplicité, de frugalité, de créativité, souligne-t-elle. Le confinement a cristallisé tout ça. On a aussi beaucoup développé d'actions itinérantes en milieu rural, mais il y a matière à approfondir la démarche, et du lien à tisser entre zones rurales et urbaines. J'avais envie d'espace, d'élargir le seul champ du numérique à des métiers de l'artisanat, d'accompagner les jeunes vers la découverte de métiers rares. D'où l'idée de créer un second lieu ayant aussi la capacité d'accueillir des séjours. »

C'est ainsi qu'est né le projet de La Fabulerie en herbe, un tiers-lieu culturel en plein cœur des Cévennes, qui s'organisera autour d'un espace de coworkig, de coliving et d'un atelier-fablab centré sur la revalorisation du bois, avec notamment des machines-outils et des machines à commande numérique.

« Des échanges avec les acteurs installés dans les Cévennes ont fait apparaitre un besoin d'animation sur ce territoire, enclavé mais bénéficiant d'une ouverture culturelle et d'un groupe scolaire important pour lesquels il peut être intéressant d'enrichir l'offre d'activités et de ressources, notamment sur le numérique », observe Axelle Benaich.

22 ha en plein cœur des Cévennes

Le projet prendra corps dans un mas à Saint-Etienne-Vallée-Française, au cœur de 22 hectares de forêts de châtaigniers, prairies et sous-bois. Axelle Benaich s'y installera courant février avec sa famille.

« Notre cible est mixte, précise-t-elle. Les artisans, pour élargir leur champ de compétences mais aussi se mettre dans posture de transmission de savoir-faire, les travailleur indépendants, les artistes, les salariés en télétravail ou les familles du territoire... Ce sera très différent de la Fabulerie de Marseille. L'objectif, c'est de dépasser l'ère du numérique, d'expérimenter la relation nature-numérique, bois-numérique. C'est un bon prétexte pour réunir de jeunes entrepreneurs, des familles ou encore des jeunes perdus dans leur orientation. »

La structure prévoit ainsi d'organiser des séjours apprenants, c'est à dire des stages de formation et d'accompagnement, en immersion, destinés à développer les compétences numériques et créatives des apprenants et accompagner la création d'activités. Des passerelles entre la Lozère et Marseille ne manqueront pas d'exister.

Accompagnée par Lozère Développement, Axelle Benaich s'apprête à battre campagne pour trouver les financements : Région, Conseil départemental, ministère de la Culture, Europe, ou fondations d'entreprises. Son objectif : organiser les premiers séjours apprenants en mai 2021 et ouvrir le fablab en juin.

« Mais on ne veut pas arriver comme un cheveu sur la soupe mais travailler en mode collectif avec les gens sur place, promet la jeune femme. Le carburant, c'est l'humain ! »

Cécile Chaigneau

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