Comment la startup Poligma affûte son outil de sociologie électorale en vue des législatives

Tirer les enseignements des campagnes électorales passées mais surtout préparer les suivantes. La startup Poligma, qui a mis au point un outil de sociologie et de stratégie électorales pour accompagner les équipes de campagne mais aussi les élus en mandat, affine son outil et fait elle-même campagne pour séduire les futurs candidats aux législatives. Témoignage d’un directeur de campagne et perspectives de diversification dans d’autres champs que le seul champ politique.
Cécile Chaigneau
Stéphane Boisson, cofondateur de Poligma, dit avoir commencé à travailler avec une trentaine d'équipes de campagne pour les prochaines élections législatives, et bientôt signer avec un parti politique ayant potentiellement 70 candidats positionnés aux législatives.
Stéphane Boisson, cofondateur de Poligma, dit avoir commencé à travailler avec une trentaine d'équipes de campagne pour les prochaines élections législatives, et bientôt signer "avec un parti politique ayant potentiellement 70 candidats positionnés aux législatives". (Crédits : Poligma)

Omniprésentes dans tous les secteurs, il n'y avait pas de raisons que les data n'investissent pas le champ politique. Plusieurs startups et entreprises françaises se développent sur ce créneau, dont Poligma à Montpellier, qui surfent sur l'important flux de données publiques en open-source pour alimenter son outil de sociologie et de stratégie électorales. Son utilisation vient enrichir les campagnes électorales mais aussi l'exercice d'élus en mandat, permettant aux candidats puis aux élus d'affiner la connaissance de leur électorat et de leur territoire : les bureaux de vote les plus favorables à un candidat, ceux où l'abstention est forte, ceux où résident une population ouvrière ou des néocitadins, des jeunes ou des retraités, etc. Forts de ces connaissances précises, les candidats (ou élus en mandat) peuvent mieux cibler leurs actions.

Stéphane Boisson et Philippe Gérard ont créé l'entreprise en 2015. En janvier 2020, leur solution (baptisée RECIT) était utilisée par une trentaine de candidats aux élections municipales 2020. En ce mois de février, alors que certaines équipes de campagnes affûtent déjà leurs armes pour les prochaines élections législatives, Stéphane Boisson annonce avoir commencé à travailler avec déjà une trentaine d'entre elles, « et je vais signer avec un parti politique qui a potentiellement 70 candidats positionnés aux législatives ».

En 2021, Poligma a alimenté sept équipes de campagnes dans sept régions (PACA, Auvergne-Rhône-Alpes, Ile-de-France, Centre Val de Loire, Bretagne, Pays de la Loire et Nouvelle Aquitaine), ainsi que 23 campagnes pour les départementales.

« Nous avons fait une excellente année, se félicite Stéphane Boisson. Nous avons envoyé environ 3,2 millions de mails pendant ces élections régionales et départementales. Poligma permet de travailler avec des équipes de campagne réduites, qui trouvent de moins en moins facilement des petites mains, tout en effectuant des mailings mieux ciblés, avec de meilleurs taux d'ouverture... Nous avons refusé des clients, venus nous voir trois semaines avant le scrutin, ce qui est trop tard ! Le mieux, c'est de s'y prendre six mois à l'avance. »

Faire campagne sur des problématiques réelles de la population

Raphaël Aulas a fait sa carrière dans l'aide à la décision des élus, avec de nombreux passages dans les cabinets d'élus de collectivités territoriales de diverses tailles, « ce qui ne change pas grand-chose à la complexité de ce métier », souligne-t-il en connaisseur.

« Il y a un grand fantasme chez les politiques - et c'est s'en remettre à la facilité - qui pensent que "le bon positionnement fera l'élection", observe-t-il. Avec Poligma, on comprend qu'il est possible de mener non pas une campagne monolithique mais des campagnes selon que les quartiers sont occupés par des ouvriers ou sont paupérisés avec une dominance de foyers monoparentaux par exemple. Et donc de faire campagne sur des problématiques au plus proche du ressenti de la population. »

En 2021, il a œuvré pour la campagne d'un candidat pour des élections municipales intermédiaires d'une commune en région Auvergne-Rhône-Alpes (sur laquelle il préfère rester discret).

« Pour agréger les données sociologiques et électorales sur un territoire que je voulais mieux connaître, j'ai cherché une solution et j'ai découvert Poligma, un outil que, selon moi, tous les élus devraient commencer à regarder car il permet d'avoir une lecture très fine et une compréhension bluffante du territoire, assure Raphaël Aulas. Pour la campagne dans cette commune d'environ 20.000 habitants, l'équipe était en place depuis 1925 dans la ville. Et pourtant, l'outil de Poligma lui a permis de découvrir que le taux de rotation des habitants était très important, que 85% des salariés travaillaient à l'extérieur de la ville et que 80% d'entre eux utilisaient leur voiture pour aller travailler. Ce qui fléchait directement des thématiques de campagne à part entière sur le transport ou le pouvoir d'achat. On n'était plus sur un ressenti, mais sur des données objectives. Cette compréhension de la sociologie électorale a aussi nourri la réflexion sur l'érosion électorale dans la ville. Elle a permis de qualifier objectivement l'habitat par quartier, et non de le supposer sur un ressenti au doigt mouillé ! La politique est une discipline très exigeante et comprendre son territoire, surtout pour des élections locales, permet de faire un travail plus citoyen. »

Les Verts en avance sur la sociologie politique

Pour lui, un outil de sociologie électoral est « incontournable pour les législatives ». S'il ne règle pas tout et ne garantit en rien une victoire (d'ailleurs, le candidat dont il a accompagné la campagne n'a pas gagné dans cette municipale intermédiaire « mais il a fait un meilleur score au premier tour qu'au premier tour de mars 2020 »), Raphaël Aulas évoque « une entrée supplémentaire au travail militant qui permet de booster la campagne : quand on envoie une équipe qui a eu accès à cette analyse faire du porte à porte, on nourrit la relation au citoyen et on construit un lien plus riche avec lui ».

Selon lui, cette méthode qui permet de s'approcher au plus près des préoccupations réelles des Français pourrait d'ailleurs être un début de réponse à l'abstentionnisme... Et il l'assure, dans l'incontournable digitalisation des campagnes, la sociologie électorale est une vraie valeur ajoutée.

« Il y a un parti qui est plus en avance que les autres sur ce point, mais avec un logiciel moins élaboré et sans analyse territoriale, c'est celui des Verts, souligne-t-il. Il l'a emporté grâce à un travail régulier sur le long terme sur son électorat, ce qui a favorisé sa mobilisation. Tout le monde y a vu une victoire politique, certes, mais derrière, il y a aussi un travail précis organisé ! »

Diversification possible dans le champ des ENR

L'outil à destination des élus en mandat à des fins d'accompagnement au pilotage des politiques publiques est aujourd'hui utilisé par une dizaine de collectivités territoriales, annonce Stéphane Boisson : « Il permet par exemple de croiser des données socio-géographiques avec la présence de crèches pour savoir où sont les besoins, de prévoir des extensions de tournées de ramassage des déchets, ou de programmer les lieux de passage des transports en commun ».

Le dirigeant annonce aussi avoir récemment signé un partenariat avec le cabinet-conseil en communication politique Only Conseil, cofondé et codirigé par le journaliste Jean-Luc Mano

« Il existe une synergie entre nos deux offres de services, les équipes de campagne ayant besoin de contenu et de méthode », déclare Stéphane Boisson.

La startup commence par ailleurs à diversifier ses champs d'application en dehors du seul champ politique : « Aujourd'hui, 100% parcs éoliens terrestre sont contestés... Nous avons été contactés par des acteurs du développement des énergies renouvelables sur la problématique de l'acceptation sociale et politique des projets. Nous réfléchissons à leur faire des propositions sur comment faire un diagnostic de la population pour évaluer le niveau d'acceptabilité et ensuite comment travailler cette acceptabilité par une campagne de communication ciblée ».

Poligma, qui annonce un chiffre d'affaires 2021 multiplié par 4,5, à 450.000 euros, emploie aujourd'hui sept personnes après deux recrutements effectués l'an dernier.

Cécile Chaigneau

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