Déprogrammation à l’Opéra orchestre national Montpellier : alerte sur une situation économique dégradée

La situation financière de l’institution culturelle montpelliéraine, l’Opéra Orchestre national Montpellier, est affectée, comme bon nombre d’établissements de même catégorie, par la crise de l’énergie et le contexte inflationniste. Au point de réviser à la baisse sa programmation. Sa directrice générale, Valérie Chevalier, alerte sur une situation de péril.
Cécile Chaigneau
L'Opéra Orchestre national Montpellier, qui se produit à l'Opéra Comédie (photo) et au Corum, est doublement labellisé Opéra national et Orchestre national, lui conférant une mission de diffusion culturelle diversifiée et accessible au plus grand nombre.
L'Opéra Orchestre national Montpellier, qui se produit à l'Opéra Comédie (photo) et au Corum, est doublement labellisé Opéra national et Orchestre national, lui conférant une mission de diffusion culturelle diversifiée et accessible au plus grand nombre. (Crédits : DR)

« En raison des contraintes économiques actuelles, la direction de l'Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie a dû se résoudre à modifier sa programmation du premier semestre 2023. »

L'annonce était faite par l'établissement culturel montpelliérain il y a une dizaine de jours. Une situation économique qui a contraint la direction, suivie par le conseil d'administration, à acter le report de Scènes du Faust de Goethe, de Robert Schumann, une production initialement prévue les 12 et 14 mai. Le spectacle sera remplacé par le Requiem de Verdi le 13 mai 2023... Et ce n'est pas la seule modification opérée sur la programmation, les autres portant sur la saison prochaine 2023-2024.

Ces « contraintes économiques », l'Opéra Orchestre national Montpellier (OONM) n'est pas le seul établissement français à les subir. En décembre 2022, quelques jours avant Noël, un collectif de professionnels de la culture et d'élus (de Bordeaux, Besançon, Mulhouse, Paris, Rouen, Strasbourg ou Lyon) demandait, dans une tribune au journal Le Monde, à Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, d'organiser de toute urgence des conférences budgétaires territoriales : « Madame la ministre de la Culture, la fermeture de nos établissements n'est plus une chimère ! », écrivaient-ils en guise d'alerte.

« On le paie aujourd'hui »

Si, comme tous les autres établissements de même nature, l'Opéra Orchestre national Montpellier (OONM) a survécu à la crise sanitaire du Covid, c'est maintenant qu'il fait face à des augmentations « importantes et non-prévisibles de ses charges », à même de le mettre en péril. La crise de l'énergie et l'inflation sont venues frapper de plein fouet et déséquilibrer ses finances.

« Aujourd'hui, nous sommes pris en étau entre le contexte de crise d'un côté, et les problème de financement de la culture de l'autre, notamment quand on a des forces artistiques permanentes, ce qui est le cas de l'OONM, détaille Valérie Chevalier, sa directrice générale. Les finances publiques sont censées couvrir les charges fixes, notamment les salaires, les 2,5 millions d'euros de loyer du Corum, ou la redevance pour l'Opéra Comédie, mais l'enveloppe est insuffisante et laisse de moins en moins de disponibles artistiques, c'est à dire l'argent qu'on peut mettre dans les spectacles. A Montpellier l'augmentation des salaires de 2% et 1,5% sur les deux dernières années représentent un total de 300.000 euros. Les remplacements que nous avons dû faire durant la crise Covid ont aussi coûté 300.000 euros en raison d'une carence dans la prise en charge par l'assurance maladie. Nous faisons aussi face à une recrudescence de demandes de départ à la retraite, avec un phénomène récurrent : des gens qui veulent partir avant l'âge légal, que nous devons donc licencier car nous ne pouvons pas les reclasser, ce qui coûte plus cher. Du côté des recettes, nous avons enregistré une baisse de la billetterie de 10% en 2022 - et encore c'est moins qu'ailleurs où on est plutôt à 30 ou 40% - mais sur 2 millions d'euros, ça pèse. Nous avions lancé une opération de mécénat juste avant le Covid : nous avons perdu quasiment la moitié des soutiens et il faut relancer la machine... Enfin, avec les aides de l'Etat en 2021, nous étions un peu excédentaires et il a été décidé que nous rendrions une partie de notre excédent pour participer à l'effort collectif. On le paie aujourd'hui. »

« On va bricoler jusqu'à quand comme ça ? »

Selon la directrice générale, le budget de l'établissement culturel est abondé à hauteur de 13 millions d'euros par la Métropole de Montpellier, 2,8 millions d'euros par la Région Occitanie, 3,4 millions d'euros par l'Etat et « un reliquat de 30.000 euros du Conseil départemental de l'Hérault, qui auparavant participait à l'opération Opéra junior (initiation des jeunes, à partir de 7 ans, au chant, théâtre, danse, dramaturgie, etc., avec participation à des spectacles, NDLR) avec 500.000 euros ».

La dirigeante avait pris ses fonctions, fin décembre 2013, alors que les finances de l'honorable maison n'étaient pas au beau fixe. En septembre 2014, l'Orchestre Opéra National de Montpellier avait fait l'objet d'une procédure d'alerte, la Région Languedoc-Roussillon et l'Agglomération de Montpellier, à l'époque, ne trouvant pas d'accord pour apurer une dette de l'OONM. L'institution culturelle était aussi critiquée pour mauvaise gestion. En 2017, compte tenu d'un déficit structurel de 3 millions d'euros « en raison d'un sous-financement structurel », un plan de redressement avait été mis en place.

« Aujourd'hui, l'OONM emploie 212 équivalents temps plein et nous sommes à 14 millions d'euros de masse salariale, ajoute-t-elle. Elle a été réduite et toutes les forces artistiques et techniques sont au travail, on ne peut pas réduire plus... Nous fonctionnons avec un budget total de 22 millions d'euros, dont 1,2 million d'euros de disponibles artistiques, alors qu'il en faudrait quatre. On va bricoler jusqu'à quand comme ça ? »

La dirigeante se réjouit du récent engagement du préfet de l'Hérault « à nous aider notamment pour les augmentations de salaires du chœur, dont les niveaux étaient vraiment en-dessous des autres opéras nationaux », et de la Région Occitanie à maintenir son niveau de subvention en 2023 « alors qu'on craignait une baisse ». Quant à la Métropole de Montpellier, « elle réfléchit pour nous accompagner dans ce déficit lié à l'inflation », Valérie Chevalier ajoutant qu'« en douze ans, on a perdu 3,2 millions d'euros de subventions ».

« Réfléchir à faire évoluer le modèle »

Autre source de dépense qui augmente : l'énergie, avec « une augmentation des fluides de 150.000 euros pour l'Opéra Comédie, nous a annoncé la Métropole de Montpellier ».

Alors la dirigeante agit. Sur la programmation 2023 qu'elle a redimensionnée, mais pas seulement : « Une production d'opéra coûte environ 700.000 euros. Nous devons des dédommagements à certains artistes, donc au bout du compte, comme il y aura beaucoup de recettes sur le Requiem de Verdi, on économisera 500.000 euros... Ça n'a pas encore été annoncé, mais j'ai aussi redimensionné les programmations de la prochaine saison entre septembre et décembre 2023. Par ailleurs, j'ai demandé un allègement de notre partenariat avec le festival Montpellier Danse, et nous allons aussi alléger le programme Montpellier junior ».

« On est désormais dans une logique différente : tous les jours, je suis obligée de regarder le remplissage et de mettre la pression sur la communication numérique car il faut à tout prix remplir les salles !, s'inquiète Valérie Chevalier. On travaille déjà avec de la production privée, on loue nos espaces, on fait des coproductions et des coréalisations, mais il faut encore réfléchir à faire évoluer le modèle... »

Comme ses homologues, signataires de la tribune en décembre, Valérie Chevalier espère que le ministère de la Culture va entendre et considérer les alertes qui sont données par les différents établissements culturels de sa catégorie, labellisés Orchestre national et/ou Opéra national. Et « que l'Etat sorte d'une simple lecture court-termiste et comptable », comme l'écrivaient les signataires de la tribune.

« Nous demandons des Assises par région pour que les collectivités territoriales, les établissements culturels et l'Etat se mettent autour de la table pour réfléchir, explique-t-elle. Il y a urgence ! Heureusement que le préfet fait un geste et que la Région maintient sa subvention, sinon on aurait dû fermer quelques semaines... Le 25 janvier dernier, lors du conseil d'administration, j'ai demandé la possibilité de geler certains concours de recrutements pendant quelques mois et de maintenir le gel de certains postes, par exemple sur le chœur et l'orchestre et quelques-uns dans l'administration. »

Cécile Chaigneau

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