Comment le monde de l'édition se réinvente en Occitanie

SÉRIE Filière du livre - 1/3 - Dans un environnement incertain, le monde de l'édition cherche à être plus imaginatif en termes de ligne éditoriale et de mise en scène de contenus. Avec ses 396 éditeurs et une manifestation littéraire quasi quotidienne, l'Occitanie se démarque par son dynamisme, malgré une perte constante et préoccupante du lectorat.
Avec ses 396 éditeurs, l'Occitanie est l'une des régions où il y a le plus d'éditeurs indépendants, après Paris.
Avec ses 396 éditeurs, l'Occitanie est l'une des régions où il y a le plus d'éditeurs indépendants, après Paris. (Crédits : DR)

L'année 2021 avait été exceptionnelle pour l'édition française : 486 millions de livres vendus, soit une croissance de 15,3% par rapport à 2020 et un chiffre d'affaires des éditeurs en augmentation de 12,4% (données SNE). L'année 2022 aura marqué un retour à la normale et les perspectives pour l'année 2023 semblent moins encourageantes.

Néanmoins, avec ses 396 éditeurs (qui emploient 349 salariés) et ses 330 manifestations littéraires annuelles, dont certaines ont une forte notoriété (Comédie du Livre à Montpellier, Festival Livre Jeunesse et Marathon des mots à Toulouse, Les passeurs de livres à Alès, Festival de la biographie à Nîmes, etc.), l'Occitanie fait toujours figure de région dynamique sur cette filière.

« L'Occitanie est l'une des régions où il y a le plus d'éditeurs indépendants, après Paris, confirme Jérôme Sion, vice-président des trois agences régionales culturelles (Occitanie en Scène, Occitanie Livre & Lecture, Occitanie Films) à la Région Occitanie. Cela présente un double intérêt : la diversité des lignes éditoriales et l'ancrage territorial. »

Des petites structures fragilisées

En Occitanie, trois départements, l'Hérault, la Haute-Garonne et le Gard, concentrent 65% de la profession. Si la moitié des maisons d'éditions ont été fondées dans les vingt dernières années, de fortes disparités existent entre elles : une douzaine d'entreprises dépassant les 500.000 euros de chiffre d'affaires représentent 80,5% des emplois de la filière (enquête 2021 Occitanie Livre et Lecture). Pour autant, la plus grande majorité des maisons d'édition sont des TPE.

Créée en 2015, Ero, l'association des éditeurs de la région Occitanie qui regroupe une cinquantaine d'adhérents, est née du constat d'un vrai besoin d'échanges entre les professionnels.

« Il y a une forte distorsion entre des éditeurs comme Erès ou Au diable Vauvert, et des petites ou moyennes structures, beaucoup plus fragiles, défend Frederik Lisak, président de l'association et directeur des éditions Plume de Carotte. Avec la crise sanitaire, certaines maisons se sont endettées et connaissent aujourd'hui des difficultés de trésorerie accrues par le contexte inflationniste et un avenir très incertain. Néanmoins, leur richesse et leur énergie sont considérables en termes de capital immatériel. L'association permet d'identifier des moyens propres à chacune, de coordonner des actions, de flécher des aides et d'apporter des solutions en s'appuyant sur d'autres, plus expérimentés. Certes, le monde des éditeurs est assez individualiste mais je ne cesse de le répéter : arrêtons de faire tout tout seul, cherchons des alliés.

Une quête de synergie et de partage de compétence que l'éditeur de Plume de Carotte (quatre salariés, 500.000 euros de chiffre d'affaires) applique à ses éditions spécialisées sur la nature en coéditant, par exemple, des ouvrages avec la SCOP iséroise Terre Vivante.

Une "slow édition"

Dans un contexte compliqué marqué par les multiples pénuries et hausses des prix des matières premières (papier, encre, colle,...), les éditeurs s'adaptent et cherchent de nouvelles voies.

« Depuis vingt ans que je suis dans le métier, je mesure les avancées et je suis ébahie de voir la qualité des livres édités malgré les coûts de production, s'étonne encore Adeline Barré, chargée de mission Economie du livre à Occitanie Livre & Lecture. A l'instar du mouvement "slow food", certains éditeurs essaient de ralentir pour mieux accompagner les titres et réfléchissent aux différentes exploitations d'un livre : adaptation en séries télévisées, exploitation numérique, ateliers, rencontres littéraires,... ».

A l'instar des Editions Museo, basées à Plaissan (Hérault) et spécialisées dans la préservation de la biodiversité, la transition écologique et les diversités culturelles, qui multiplient les supports afin d'élargir leur public et d'exploiter le plus largement possible leur travail. La maison édite des livres, produit des films documentaires (huit longs métrages à son actif, dont le dernier, Pacifique, a reçu le prix Théodore Monod en 2022) et organise des expositions itinérantes. Pour sécuriser son modèle économique, elle s'est dotée d'un fonds de dotations.

« Financé par des mécènes, ce fonds de dotation nous permet de diffuser gratuitement tout le contenu de Museo à un jeune public via les collèges, les lycées, les universités, non seulement en France mais aussi en Suisse, Belgique et Québec, explique  Jean-Pierre Duval président de Museo (ancien directeur des éditions Biotope à Mèze). Il y a une vraie économie d'échelle par rapport aux contenus car les trois supports s'enrichissent mutuellement. »

Entouré de sept directeurs de collection, Museo (quatre salariés, 350.000 euros de chiffre d'affaires) capitalise 70 références. Présenté en avant-première à l'Assemblée Nationale en 2019, son film Les Arbres Remarquables lui a apporté une belle notoriété. Pour 2023, l'agence travaille sur deux nouveaux films, une collection  autour du vélo et un projet de livre sur la transition écologique lié à l'architecture, en collaboration avec l'urbaniste Philippe Madec.

« Polyphonique, joyeuse et baroque »

Fondé à Sète en 2021 par quatre associés, Rot-Bo-Krik se définit comme une maison d'édition « indépendante, polyphonique, joyeuse et baroque ». Elle publie des ouvrages de littérature et d'essais cosmopolites, parfois improbables, positionnés sur l'espace francophone.

La maison, qui a publié en 2022 chez Hobo La Sphère de Planck, premier roman de l'auteur camerounais Lionel Manga, et La décolonisation n'est pas une métaphore de Eve Tuck et K.Yang, entend garder le rythme de quatre ouvrages annuels, produits deux par deux (mai et octobre).

« Chaque livre nous coûte en moyenne 8.000 euros, confie Mathieu Abonnenc, responsable des éditions. Nous avons commencé en fonds propres et reçu une aide de 5.000 euros de Occitanie Livre & Lecture, puis de 2 000 euros pour la création de notre site. Les premiers retours sont positifs et nous allons peu à peu construire notre lectorat et tisser un réseau avec des libraires en France, en Belgique puis sur le continent africain. »

De son côté, Nombre7, qui vient d'acquérir le groupe parisien Aparis, essaie de réinventer le monde de l'édition en faisant le pari de l'autoédition et du numérique. L'éditeur sétois affiche une progression annuelle de 30% et un slogan : la culture avec tous.

A la reconquête des lecteurs perdus

Pour autant, treize millions de français n'ont pas accès à la lecture et le décrochage chez les plus jeunes est devenu une préoccupation majeure.

« La France est le pays où la croissance des non lecteurs est la plus forte, analyse Marion Mazauric, directrice des Editions Au Diable Vauvert (Gard). En tant qu'éditeurs indépendants, nous nous trouvons au premier front de la reconquête de ces lecteurs perdus. C'est d'ailleurs ce qui motive mon action de militante du livre. »

Un constat partagé par Régine Hatchondo, présidente du Centre National du Livre (CNL) qui était présente, le 10 novembre 2022, lors de la signature entre l'Etat et la Région Occitanie, du nouveau contrat de filière du livre 2022-2024* : « Addiction aux écrans, baisse de la concentration,... On assiste à un fort décrochage des lecteurs dès l'âge de 12 ans, la moitié des jeunes faisant autre chose en lisant. La consommation des mangas via le pass-culture est un beau premier pas vers la lecture. Mais cela ne suffit pas. C'est pour cette raison qu'il est important de travailler au plus près des collectivités territoriales afin de ne pas créer une amnésie collective ».

Cette volonté d'élargissement du lectorat est d'ailleurs l'un des axes forts du nouveau contrat de filière dont la Région a été la première de France à relancer la dynamique. Ce fonds commun paritaire d'aides aux professionnels du livre, doté d'un budget de 660.000 euros, abondé pour moitié par la Région et pour moitié par l'Etat (DRAC et CNL) constitue un levier d'intervention complémentaire à d'autres dispositifs pérennes. En 2022, ce contrat de filière a permis d'accompagner 71 maisons d'éditions.

* Concernant auteurs, maisons d'édition et librairies, ce nouveau contrat de filière Livre propose des dispositifs de soutien pour soutenir la vitalité de la création, améliorer l'accès à l'offre éditoriale et promouvoir le réseau des points de vente en Occitanie.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.