L’Hôtel Richer de Belleval, manifeste artistique

SERIE (2/3) - Le mécénat privé n’est pas toujours la panacée. En inscrivant dans un patrimoine ancien cinq œuvres d’art contemporaines pérennes, la fondation GGL Helenis repense l’Hôtel Richer de Belleval dans sa continuité, à rebours d’une contemporanéité arrogante.
Le patio de l'Hôtel Richer de Belleval
Le patio de l'Hôtel Richer de Belleval (Crédits : NC)

Après trois ans de travaux, le désolant spectacle d'un bâtiment tombant en déliquescence sur l'une des plus belles places de Montpellier, La Canourgue, fait place à un édifice majestueusement réhabilité : l'Hôtel Richer de Belleval.

Le lieu accueille désormais un hôtel Relais & Château, le bistrot et le restaurant gastronomique des frères Pourcel, ainsi que la fondation GGL Helenis.

17 millions d'euros de budget pour un projet 11 fois modifié

L'hôtel Richer de Belleval est indissociable d'une histoire multiséculaire prenant vie au XVIIe siècle, avec un conseiller à la cour des comptes de Montpellier, Charles de Boulahaco, qui fait bâtir son hôtel sur la place très convoitée de la Canourgue.

Les propriétaires successifs, héritiers de Pierre Richer Belleval (botaniste, fondateur du jardin des plantes de Montpellier) aménagent le bâtiment en haut lieu de sociabilité, avant qu'il ne soit racheté en 1816 par la municipalité pour abriter l'hôtel de ville. Il devient ensuite, pendant 35 ans, une annexe du palais de justice (le tribunal des prud'hommes) avant de tomber en désuétude.

« Je suis amoureux depuis toujours du patrimoine montpelliérain mais lorsque je suis entré pour la première fois dans ce lieu qui est un millefeuille historique, j'ai été saisi par son état de délabrement : on marchait sur les cadavres de pigeons et de rats crevés, toutes les sculptures étaient abîmées, les peintures écaillées. L'endroit allait arriver à son point de non retour », raconte l'ancien directeur artistique de GGL Helenis, Numa Hambursin, nommé depuis à la tête du MO.CO, entité tricéphale montpelliéraine réunissant un centre d'art contemporain, un lieu d'exposition et l'Ecole Supérieure des Beaux-Arts.

Mais en 2015, la Ville décide de vendre l'hôtel. Le groupe GGL Helenis remporte l'appel d'offres avec une proposition associant la Fondation d'entreprise GGL Helenis et le groupe Château-Pourcel.

Le budget de réhabilitation du promoteur immobilier, estimé à 13 millions d'euros, sera allègrement dépassé, avoisinant les 17 millions d'euros.

« En déconstruisant le bâtiment qui était prêt à s'effondrer, nous sommes tombés sur des merveilles, des décors séculaires, qui ont impliqué l'arrêt du chantier et la présence de la DRAC, explique Thierry Aznar, président de Helenis. Le projet a été modifié onze fois ! Sans parler du ralentissement avec le Covid et des difficultés d'approvisionnement de matériaux. Mais de cet enfer est né ce chef d'œuvre. »

Un message adressé à l'art contemporain

« Je voulais faire de l'hôtel Richer de Belleval un lieu d'art, mais je ne connais l'art que dans les livres, confie modestement Thierry Aznar. Alors je me suis adressé au meilleur, Numa Hambursin, avec qui j'avais déjà travaillé sur le projet résidentiel de la Feuillade à Montpellier (concept mêlant immobilier et art contemporain, NDLR). »

Reconnu pour ses propositions exigeantes, éclectiques et parfois spectaculaires dans la nef du Carré Sainte-Anne, dont il a assuré la direction artistique pendant près de sept ans, Numa Hambursin se voit donc chargé de donner un nouveau souffle artistique à ce lieu hors normes, avec un budget de 800.000 euros attribué par Helenis.

« Généralement, lorsqu'on évoque le mot fondation, on entend un vaste cube blanc dans lequel on met de grandes expositions, ironise Numa Hambursin. Récemment, je suis allé visiter la Bourse de Commerce de Paris (Fondation Pinault, NDLR) : c'est sublime, jusque dans la perfection des détails. On sent que politiquement, c'est très élaboré mais le côté prescripteur me dérange. Ce doit d'ailleurs être un cauchemar d'y être commissaire d'exposition ! Ici, il fallait inventer autre chose, se placer dans un temps qui n'est pas celui de l'événement mais de l'Histoire, en faisant dialoguer art ancien et art contemporain. Habituellement, l'art contemporain est mis en rupture pour choquer - le plug anal de la Place Vendôme - ou créer un décalage - Versailles. J'ai voulu prendre la posture inverse, d'autant que ce bâtiment a un lien très fort avec les Montpelliérains. Je suis donc allé chercher des artistes qui comprennent les enjeux de l'Histoire et s'inscrivent dans une œuvre pensée pour des siècles. Avec en toile de fond la notion de chef d'oeuvre : comment faire pour mettre un artiste dans les conditions de réalisation d'une œuvre pérenne ? Les cinq artistes ont travaillé à partir des thèmes intemporels universels : l'amour, la mort, le sacré, l'histoire, la transcendance. »

« Graver la fondation dans la chair du bâtiment »

Le portail vert s'ouvre sur le hall bordé de colonnes soutenant une voûte constellée de cœurs (105 carreaux de grés), œuvre du légendaire artiste américain Jim Dine, 86 ans, l'un des derniers représentants du pop art. A gauche, dans la réception de l'hôtel, le plafond vouté est décoré d'une admirable fresque, peinte à l'encre de chine par Abdelkader Benchamma, qui trouve naturellement sa place à proximité du plafond baroque, aux allégories du XVIIe, et des salons du restaurant gastronomique.

Face à l'entrée, le patio avec sa grande verrière et son escalier sculptural dévoilent les bustes d'empereurs romains et le jardin d'Eden signé Marlène Mocquet. Dans l'ancienne salle de mariage, le plasticien Jan Fabre s'est inspiré des planches botaniques de Pierre Richer de Belleval pour habiller le lanternon de milliers d'élytres de scarabées aux reflets chatoyants. Au même niveau, le boudoir est un hymne à la joie signé Olympe Racana-Weiler.

Cinq artistes contemporains pour un projet d'art. Installé dans la partie médiévale du bâtiment, l'espace d'exposition accueille actuellement le travail de Jim Dine. Le lieu présentera deux, voire trois, expositions annuelles.

200 personnes par jour

« Avec une fréquentation moyenne de 200 personnes par jour, je suis très heureux de voir que les Montpelliérains s'approprient déjà ce lieu. Ce projet restera l'un des plus importants pour moi car j'y ai dit physiquement ce que je pensais de l'art contemporain. »

Avec le MO.CO., Numa Hambursin est aujourd'hui parti pour de nouvelles aventures, mais elles repasseront nécessairement par la case Richer de Belleval.

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