L’ancien préfet Cyrille Schott raconte les coulisses préfectorales du temps de Georges Frêche

Le puissant et atypique mandarin qu’était Georges Frêche a laissé une trace indélébile dans les mémoires. Alors que la région tout entière s’apprête à commémorer les dix ans du décès (le 24 octobre 2010) de l’ancien président de la Région Languedoc-Roussillon, l’ancien préfet Cyrille Schott publie un livre intitulé « Parole de Préfet – Sarkozy, Frêche et les autres… », où il raconte les coulisses du pouvoir et sa coopération avec le médiatique et souvent provocateur Georges Frêche. Entretien.
Cécile Chaigneau
Le livre de l'ancien préfet du Languedoc-Roussillon, Cyrille Schott, est paru à la mi-septembre.
Le livre de l'ancien préfet du Languedoc-Roussillon, Cyrille Schott, est paru à la mi-septembre. (Crédits : Cécile Chaigneau)

« Parole de Préfet - Sarkozy, Frêche et les autres... ». C'est sous ce titre qu'est paru, à la mi-septembre, le livre-mémoire de Cyrille Schott narrant par le détail son passage à la préfecture du Languedoc-Roussillon entre juillet 2007 et janvier 2009. A ce moment-là, Nicolas Sarkozy est Président de la République (depuis le 6 mai 2007), et Georges Frêche président de la Région Languedoc-Roussillon et président de l'Agglomération de Montpellier, la Ville étant administrée par Hélène Mandroux. Petites histoires dans la grande, anecdotes et rouages du pouvoir : Cyrille Schott raconte, dans un récit haut en couleurs, ses hauts et ses bas avec Georges Frêche. L'ancien haut fonctionnaire, qui s'est retiré en Alsace, sera d'ailleurs présent à Montpellier ce samedi 24 octobre, pour les cérémonies commémoratives de son décès.

Le livre

Pourquoi avoir choisi cette tranche de vie professionnelle plus qu'une autre, et vous êtes-vous autocensuré dans cet exercice ?

Cyrille Schott : « Parce que j'avais envie de raconter cette aventure préfectorale avec la rencontre de ce personnage hors du commun qu'était Georges Frêche. J'ai exercé la fonction de préfet territorial dans 8 postes, et celui-ci a été le dernier. Je souhaitais raconter comment ça s'est terminé. Quant à l'autocensure, non, j'ai écrit ce que je pensais. Je me suis inspiré des nombreuses notes prises au fil du temps, des dossiers et articles de presse que je conserve. J'ai une formation d'historien et j'ai beaucoup d'archives. »

L'arrivée à Montpellier

Quand vous apprenez que vous êtes nommé dans le Languedoc-Roussillon, Georges Frêche est déjà connu pour ses dérapages verbaux, notamment sur les harkis ou sur l'équipe de France de football, l'année précédente. Quelle est votre réaction à votre nomination à Montpellier ?

C. S. : « Tout d'abord, je suis content car je suis alors préfet de Basse-Normandie et je suis promu préfet de l'Hérault et préfet de Région Languedoc-Roussillon, une région plus grande. Mais je me pose vite des questions car je sais que ce n'est pas facile de travailler avec ce "fou de Frêche"... J'ai en tête ses saillies médiatiques et les combats que mon anté-prédecesseur, Francis Idrac (juillet 2002-Juin 2005, NDLR), a dû mener contre lui pour faire respecter la règle de droit... Car en tant que président de la Région Languedoc-Roussillon, Georges Frêche est un partenaire obligé pour faire avancer les dossiers. »

Quand vous arrivez, vos collaborateurs vous disent que la préfecture est « une forteresse assiégée » et vous préconisez de « pointer les canons vers la ville »...

C. S. : « Mes collaborateurs de la préfecture ont en effet, à ce moment-là, le sentiment que l'État est dans une position défensive. Ma réponse ne signifie pas que nous allons prendre une posture plus offensive pour effondrer la ville, mais que nous allons participer au développement de la ville, du département et de la région. Que nous redevenons une force de proposition, dans une position dynamique ouverte. »

L'exercice de la fonction

Dans votre livre, au moment de votre prise de fonction, vous le décrivez ainsi : « Il m'apparaît comme un despote éclairé à la langue truculente, un bâtisseur à la fois attachant et irritant ». Et en octobre 2007, suite à une prise de parole un peu « brutale » de Georges Frêche, vous déclarez : « je sais qu'ici, où la vivacité et parfois l'excès sont la règle, le représentant de l'État doit savoir manier la burette d'huile pour éviter que ne se bloquent les rouages »... Avez-vous dû manier la burette d'huile plus ici que n'importe où ailleurs dans votre carrière ?

C. S. : « Cet épisode intervient au début de mon parcours, et nous avons rapidement des escarmouches... Ce jour-là, nous lançons, avec le CNRS, la création de l'Ecotron (infrastructure de recherche européenne destinée à étudier l'influence des changements globaux de l'environnement sur les organismes, les écosystèmes et la biodiversité, NDLR). Georges Frêche déclare "l'État n'a plus le sou, c'est nous, la Région, qui payons ! ". Je lui réplique que c'est l'Etat qui paie l'essentiel et qu'en effet, je manierai la burette à huile d'une main non tremblante (rire)... Mais rapidement, je vais me rendre compte que Georges Frêche est un bâtisseur. Sur les dossiers importants, il est capable de décider de façon très rapide, efficace et juste. Je découvre qu'on peut faire avancer les choses avec lui. Mais dans cette région, les clivages politique sont tellement importants qu'il n'est pas facile de mettre d'accord les élus sur les grands projets. C'est vraiment difficile en Languedoc-Roussillon plus qu'ailleurs. J'ai voulu jouer mon rôle de rassembleur... En Georges Frêche, j'ai trouvé un partenaire dynamique et capable de faire bouger les lignes. Par-delà sa truculence, c'était un personnage au service du bien public, dans tous les domaines. »

Vous écrivez que, malgré quelques anicroches de début, finalement, vos rapports avec Georges Frêche sont « bons et évidemment pittoresques ». Lui vous rangeait dans la catégorie des « préfets républicains », en opposition avec les « préfets militants »... Comment vous êtes-vous apprivoisés ?

C. S. : « Nous avons rapidement monté un mécanisme de travail en commun. Nous nous voyions tous les mois à l'occasion d'un petit déjeuner de travail, moi avec les principaux chefs de services de l'État, lui avec ses proches collaborateurs, pour évoquer les grands sujets du moment. Chacun exposait ses priorités et ça pouvait être des échanges forts, notamment sur le TGV... "Préfet républicain", c'était un compliment. Il n'avait pas des rapports faciles avec les préfets. C'était un personnage baroque ! Si vous ployiez l'échine, c'était fini ! Il fallait, comme lui le faisait, dire les choses clairement et démontrer la justesse de position. Notre relation a fonctionné parce que je disais les choses mais aussi parce j'appuyais la parole par une action, une volonté de faire progresser les dossiers. »

Les grands dossiers

La LGV Montpellier-Perpignan, le doublement de l'A9, la décharge de Fabrègues, la « guerre des ordures », la grande agglomération de Sète à Nîmes, l'opération Campus, le projet Jérémie, le raccordement de Palavas-les-Flots à la station Maera, le lancement des fonds européens, etc. En 18 mois, vous avez travaillé sur de nombreux gros dossiers. Lequel aura été le plus marquant ?

C. S. : « Le décret d'utilité publique du TGV Nîmes-Montpellier avait été signé mais la procédure sur le tronçon Montpellier-Perpignan n'était pas aussi avancée puisqu'elle n'en était qu'au stade des études préliminaires au débat public. Or Georges Frêche ne voulait pas entendre parler de financer le premier tant que l'État ne se serait pas engagé à réaliser le second... Je lui avais alors répliqué que son attitude n'était pas intelligente : en conditionnant l'avancée sur Nîmes-Montpellier à un engagement gouvernemental ferme pour Montpellier-Perpignan, impossible à ce stade, il bloquait tout. Je lui ai proposé un plan... "Ce n'est pas stupide, ce que dit le préfet ! ", avait-il alors lancé à ses collaborateurs. En 20 minutes, il avait décidé. Et ensuite, il s'est engagé à fond. Sa détermination a fait que le dossier a abouti. Il a montré dans beaucoup de circonstance qu'il pouvait décider vite... Il y a aussi eu des tas de dossiers où nous nous sommes retrouvés, comme le logement social par exemple, ou la création de l'établissement public foncier. En un an et demi, nous avons fait beaucoup de choses. Celui où nous avons échoué, c'est celui des ordures, même si Georges Frêche s'est battu comme un lion. Mais les opposions politiques était terriblement fortes, avec une vraie guérilla contre lui. »

Le limogeage : trop proche de Frêche ?

En mai 2008, Claude Guéant, secrétaire général de l'Élysée, vous met en garde : « Le Président m'a demandé de t'appeler... On te dit trop proche de Frêche ». Et en décembre 2008, vous apprenez votre limogeage. Cette proximité était-elle une réalité ?

C. S. : « Claude Guéant est un ami, il m'appelle de la part de Nicolas Sarkozy pour me dire que je dois chouchouter les élus de la majorité. C'est un message d'amical avertissement. J'ai réagi par une lettre en présentant les dossiers que j'avais fait avancer. Et j'ai continué mon travail paisiblement, en veillant à avoir de bons rapports avec les élus de la majorité. Et c'est vrai que sur le moment, quand j'ai appris qu'on me limogeait au bout de 18 mois, j'ai fait un coup de colère car il s'agissait d'un limogeage politique, poussé par des élus (Cyrille Schott évoque dans son livre des députés UMP - notamment Jacques Domergue, Robert Lecou, Alphonse Cacciaguerra et Stéphan Rossignol - ainsi qu'Alain Marleix, secrétaire d'État à l'Intérieur et aux Collectivités territoriales, et secrétaire national aux élections au sein de l'UMP, qui l'auraient qualifié de « pas assez politique », et « trop laxiste envers la Région », NDLR)... Ma mission est d'être loyal au gouvernement mais aussi de servir l'intérêt général. Le préfet n'est pas un valet mais un serviteur de la République ! J'étais à un poste déjà élevé de la hiérarchie préfectorale mais j'aurais encore pu monter. On m'a coupé ma carrière territoriale. Mais avec le recul, j'ai relativisé. Il ne faut pas rester dans la colère, et finalement, je dis que Sarkozy ne m'a pas fait si mal, car j'ai aimé ces cinq années à la Cour des comptes (où il a été nommé Conseiller maître en service extraordinaire, NDLR). »

Quelle a été la réaction de Georges Frêche à votre départ ?

C. S. : « A la réception d'adieu au personnel de la préfecture, le 13 janvier 2009, je suis salué par de longs applaudissements. Et à ce moment-là, Georges Frêche s'exclame "Vive la République ! Vive le préfet Schott ! A bas les minus ! Les assassins sont au premier rang ! ". »

Georges Frêche, l'homme au « caractère imprévisible »

Comment décririez-vous l'homme qu'était Georges Frêche ?

C. S. : « C'était un bâtisseur à la Romaine, qui s'est battu avec intelligence et panache pour faire de Montpellier une authentique capitale régionale, innovante et rayonnante. C'était un socialiste authentique, et c'était un homme de culture. Il avait cette capacité à s'entourer de gens capables de soutenir ses ambitions. Mais comme tout le monde, il avait aussi ses failles. C'était un homme qui ne savait pas résister à un bon mot, même s'il devait faire des dégâts. Il a aussi été un des éléments de la division de la gauche. J'étais un observateur attentif qui connaissait bien ces jeux-là. »

Vous écrivez « je me suis bien accordé avec lui car, avec des expressions différentes, nos valeurs se rejoignaient ». Quelles étaient ces valeurs ?

C. S. : « Le service du bien commun. Mais que nous exprimions différemment, en effet. Nous avions cette même envie de faire bouger les lignes. Un exemple pour l'illustrer : dans le cadre de la démarche de candidature de Montpellier au Plan Campus, il avait tancé le président du Conseil général et la maire de Montpellier, qu'il estimait insuffisamment engagés, et il avait bousculé les universitaires en les menaçant de ne pas donner un sou et en affirmant qu'il fallait toujours "les faire marcher au canon"... Sa détermination a joué un rôle significatif mais je savais qu'il me fallait amener les uns et les autres à coopérer. Nous avions le même objectif : renforcer l'université de Montpellier. Ensemble, nous étions l'alliance moderne du sabre et du goupillon. Il avait la parole fleurie et le discours qui parfois débordait. Quant à moi, j'étais plus rassembleur et diplomate... Georges Frêche me faisait rire. »

Georges Frêche est entré dans l'histoire, et avec lui le Languedoc-Roussillon. Mais évoquait-il avec vous son regret de n'avoir jamais accédé à la fonction de ministre ?

« Non... Mais je rappelle l'avoir rencontré jeune, alors que j'étais en poste auprès de François Mitterrand (Cyrille Schott a rejoint, en août 1982, le cabinet du Président de la République François Mitterrand, comme conseiller technique, NDLR). Je l'ai croisé à l'Élysée. Et je sentais alors une contraction, une petite colère rentrée à ne pas être nommé au gouvernement. Par la suite, il en a voulu à François Mitterrand. Probablement que le Président de la République avait dû tenir compte du caractère imprévisible de l'homme... »

Cécile Chaigneau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.