"En évoquant les présidentielles, Robert Ménard dit son extrême solitude" (Emmanuel Négrier)

Il y a une semaine, le chantre de la droite "hors les murs" Robert Ménard, maire de Béziers et président de l’agglomération, évoquait sur un plateau télévisé les temps futurs où il serait Président de la République… Provocation ou expression d’une réelle intention pour les présidentielles de 2022 ? Le politologue Emmanuel Négrier analyse la situation politique de l’élu héraultais.
Cécile Chaigneau
Emmanuel Négrier est directeur de recherche CNRS en science politique au Centre d’Études Politiques de l’Europe latine (CEPEL) à l’Université de Montpellier.
Emmanuel Négrier est directeur de recherche CNRS en science politique au Centre d’Études Politiques de l’Europe latine (CEPEL) à l’Université de Montpellier. (Crédits : Richard Sprang)

La Tribune - Il y a une semaine, Robert Ménard, maire de Béziers (élu en 2014 avec le soutien du FN, et réélu en juin dernier) et désormais président de l'agglomération lâchait cette phrase sibylline sur le plateau de CNews : « Quand je serais président de la république, on en reparlera... ». L'élu maîtrise parfaitement les codes de la communication politique. Quel crédit faut-il donner à ces propos ?

Emmanuel Négrier, directeur de recherche CNRS en science politique au Centre d'Études Politiques de l'Europe latine (CEPEL) à l'Université de Montpellier - On connait suffisamment l'art de communiquer de Robert Ménard pour savoir que ce n'est pas dit au hasard, même si c'est sous la forme d'une demi-boutade... Qu'observe-t-on aujourd'hui de la situation politique de Robert Ménard ? Il est un féodal, assis sur la ville mais aussi l'agglomération de Béziers. Aux élections municipales de 2020, il a essayé d'asseoir encore plus cette position au niveau départemental en adoubant des candidats, notamment à Frontignan ou à Sète, et en essayant d'étendre son empire façon 3e république. Mais on a pu voir que lorsqu'il veut jouer sur un autre niveau territorial, il n'y arrive pas. Ce qui marque son épopée, c'est que son succès relatif aux élections cantonales en 2015 ne pèse presque rien à l'échelle départementale. Il avait créé "Oz' ta droite" en 2016 pour essayer de sortir du carcan que peut être le bastion de Béziers et réinventer la droite, mais ça a été un échec total. En 2017, il a observé l'échec de Marine Le Pen aux présidentielles et pris ses distances, au risque d'apparaitre comme un félon pour ce parti qui l'avait soutenu en 2014. Aujourd'hui, Robert Ménard, qui se voyait en intronisateur de la nouvelle droite, se retrouve le bec dans l'eau, tout seul sur un fief, ce qui ne suffit certainement pas à son égo.

Quelles ambitions peut-il avoir et à quelle échelle ?

La solution qu'il a devant lui, c'est de tisser sa toile et de viser des postes à l'échelle au-dessus. Les cantonales ? Ça ne marchera pas car c'est impossible sur le plan politique, il n'aura pas la légitimité. D'autant que le Conseil départemental n'est pas un endroit où l'on brille politiquement, et encore moins avec la crise que l'on traverse. Or Robert Ménard aime que ça brille... Aller conquérir la Région ? Sauf que Robert Ménard et le Rassemblement national, aujourd'hui, ça fait deux. Donc où sont les armées du capitaine Ménard ? Nulle part. Pour moi, ce que dit Robert Ménard en évoquant l'hypothèse de sa candidature à la présidentielle, c'est son extrême solitude. Il ne peut pas plus qu'une élection en son nom personnel. Il ne diffuse pas, il ne transmet pas. Avec son bagou, il peut rallier des sympathies sur la base de sa surface médiatique alors même qu'il n'a pas de troupes. Mais cette absence de troupes finira par lui poser un gros souci. Donc aujourd'hui, il n'est pas dans une logique de construction mais de déstabilisation.

Robert Ménard avait été élu avec le soutien du FN en 2014. Il a été réélu sur son nom propre en 2020 et il a cette fois également décroché l'agglomération de Béziers. Peut-on parler d'enracinement durable de la droite dure à Béziers ?

La droite était déjà enracinée à Béziers, notamment la droite populaire avec Elie Aboud (député UMP puis Les Républicains de 2007 à 2017, NDLR). C'est la grande faiblesse des autres qui fait la force de Robert Ménard, c'est un enracinement sur une seule personne. Et le facteur personnel joue d'autant plus qu'au travers de sa gestion municipale, de provocations et d'habillages subtils de communication et de récupération de la mise, il a réussi à agréger des soutiens plus composites qu'en 2014. Il a réussi à créer du collectif là où les autres ont échoué.

Robert Ménard a pris ses distances avec Marine Le Pen, qu'il juge trop clivante. Il n'est donc pas d'accord avec Louis Aliot (maire RN de Perpignan depuis juin 2020) sur une stratégie électorale. Ces divergences pourraient-elles desservir l'implantation de l'extrême-droite, notamment sur l'ex-Languedoc-Roussillon, aux prochaines élections régionales ?

Oui il va y avoir un problème pour le Rassemblement national qui se divise. Mais il y a eu des précédents : en 1998, la maison FN a explosé en vol (Bruno Mégret avait quitté le Front national de Jean-Marie Le Pen pour créer son propre parti, NDLR) juste avant les élections régionales, ce qui n'a pas empêché le FN de faire un gros score en Languedoc-Roussillon et d'être associé, en sous-main avec Jacques Blanc, à la gestion de la Région. Il ne faut pas trop parier sur l'influence directe qu'ont ces conflits internes sur l'électorat du Rassemblement national. Celui-ci est souvent éloigné des enjeux partisans et se positionne davantage sur ces passions tristes, qui sont porteuses, on le sait, en ce moment.

Cécile Chaigneau

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