Présidentielle : « Il y a un réel danger que le front républicain ne tienne pas, tout peut arriver » (E. Négrier, politologue)

INTERVIEW – Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, s’amorce un entre-deux tours sous haute tension. L’Occitanie avance divisée vers cette échéance, partagée entre Marine Le Pen, victorieuse dans six départements sur treize, et Emmanuel Macron, vainqueur dans sept, arbitrés par Jean-Luc Mélenchon en tête à Toulouse, Montpellier et Nîmes notamment. L’analyse d’Emmanuel Négrier, docteur en sciences politiques, directeur de recherche au CNRS et chercheur au Centre d'Études Politiques de l'Europe latine (CEPEL) à l'Université de Montpellier.
Cécile Chaigneau
Emmanuel Négrier, docteur en sciences politiques et chercheur au CEPEL à Montpellier.
Emmanuel Négrier, docteur en sciences politiques et chercheur au CEPEL à Montpellier. (Crédits : Richard Sprang)

LA TRIBUNE - Quelle est la première leçon que vous tirez de ce premier tour des élections présidentielles ?

Emmanuel NÉGRIER, docteur en sciences politiques, directeur de recherche au CNRS et chercheur au Centre d'Études Politiques de l'Europe latine (CEPEL) à l'Université de Montpellier - On peut observer que l'Occitanie a été, encore une fois, plus civique, avec un taux de participation supérieur (78,25%, NDLR) à la moyenne nationale. Ce qui n'est pas forcément dû à un esprit civique plus développé mais parce que structure de la population en Occitanie donne plus de place au monde rural dont on sait qu'il participe davantage. La faiblesse de participation se concentre plutôt dans des villes comme Béziers, Montpellier ou Nîmes, ou dans les quartiers populaires où on vote moins. Même si ce phénomène géographique joue, on a vu une mobilisation forte dans les quartiers populaires. On sortait de deux années électorales en très basses eaux de participation, et dans ces quartiers, certains bureaux de vote étaient tombés à moins de 15% de participation. On pouvait légitimement se demander si des citoyens éloignés des élections pour raisons sociales allaient retrouver le chemin des urnes. Or ce n'est pas si mal... Cela s'explique, à Montpellier notamment, par des associations ou des mouvements, comme ceux portés par NousSommes (mouvement citoyen né en 2018, NDLR) qui ont fait un travail de mobilisation assez intense.

Dans une région historiquement de la gauche socialiste, c'est Marine Le Pen qui s'est imposée en Occitanie lors de ce premier tour de la présidentielle, avec 24,62% des voix, devant Emmanuel Macron (23,48%) et Jean-Luc Mélenchon (22,42%). La candidate socialiste étant reléguée à 2,33% des voix...

C'est la 2e leçon que l'on peut tirer de ce scrutin. Dans une région plutôt de tradition de gauche mais avec une composante assez élevée du Rassemblement national, les autres forces politiques font les frais de la situation... A gauche, le vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon a largement été dynamisé par un vote utile qui démontre que l'électorat de gauche a montré plus de sens des responsabilités que les candidats eux-mêmes ! Par exemple, dans l'est de Montpellier, où le Macronisme a bien résisté, Jean-Luc Mélenchon est en 2e position. Preuve qu'une partie significative des CSP+ qui auraient pu voter Emmanuel Macron, socialiste ou écologiste, a considéré que Jean-Luc Mélenchon était le vote utile. Est-ce que ce sera, comme en 2017, un feu follet suivi de déconvenues électorales à cause de la division de la gauche ? Le danger est tel qu'on peut imaginer une recomposition de la gauche, probablement pas d'ici les législatives compte tenu des ressentiments réciproques qui existent. Mais c'est ça ou les poubelles de l'histoire... On sait que le premier tour des élections législatives est celui qui marque le financement de la vie politique pendant cinq ans : comment s'en priver, en considérant la position dominante de LFI mais aussi de la nécessité pour chacun de compter sur ses ressources ? Le danger est énorme...

Comment analysez vous l'électorat d'Eric Zemmour et peut-il constituer un réservoir de voix important ?

Le pari initial d'Eric Zemmour était de diviser le score de Marine Le Pen. Il a complètement échoué : non seulement il n'a pas divisé son score mais il lui a donné un "brevet de respectabilité". Il lui a permis d'éviter des accusations directes, notamment sur sa position pro-russe : il a servi de paratonnerre à Marine Le Pen dans la crise ukrainienne car c'est lui qui a pris foudre et il l'a fait apparaître comme relativement moins radicale. Il l'a aidé à achever son entreprise de dédiabolisation...Contrairement à ce qu'on aurait pu imaginer, il n'y a pas d'extrême-droite constituée, qui serait à 100% Marine Le Pen si elle était seule et qui, aujourd'hui, se diviserait entre Marine Le Pen et Eric Zemmour. Ce qu'on observe en réalité, c'est qu'en Occitanie, Zemmour est fort là où Marine Le Pen est forte. Autrement dit, en se faisant concurrence, les deux s'alimentent l'un l'autre. On a atteint une vérité idéologique et territoriale de cette élection. Idéologique car Zemmour a ouvert la fenêtre d'Overton (c'est-à-dire le périmètre de ce qui peut être dit et discuté au sein d'une société, NDLR) en parlant, par exemple, de Pétain qui aurait sauvé des juifs ou du grand remplacement. Et en ouvrant cette fenêtre, il a ouvert un boulevard de légitimité à Marine Le Pen ! Ce qui a eu des répercussions territoriales : là où Zemmour a eu une influence, ça n'a pas forcément été au détriment de Marine Le Pen mais en allant piocher dans le spectre de l'extrême-droite disponible, c'est à dire dans l'électorat radicalisé de la droite traditionnelle. Donc oui, l'électorat d'Eric Zemmour peut constituer une réserve de voix pour Marine Le Pen. Mais attention aux reports de voix...

On se retrouve aujourd'hui avec le même duel au 2e tour qu'en 2017. Qu'est-ce qui a changé, qui pourrait dispacher les voix des électeurs différemment ?

Traditionnellement, le ou la candidate d'extrême-droite faisait un très bon score au 1er tour puis, au 2e tout, il jouait le rôle d'idiot utile car, dilué dans une position extrême, il n'avait pas de réserves de voix. Ce qui favorisait son adversaire, au sein d'un front républicain. Aujourd'hui, la situation est très différente : Marine Le Pen dispose de réserves de voix disponibles : celles de Zemmour, de Dupont-Aignan et d'une partie de l'électorat de Valérie Pécresse. Ce qui pourrait l'amener à plus de 33%. De l'autre côté, le théorique bénéficiaire de l'isolement de la candidate RN est-il si bénéficiaire que ça ? En apparence oui, car la plupart des autres candidats ont appelé à voter contre Marine Le Pen ou pour Emmanuel Macron. Mais ces appels à voter seront ils couronnés de succès ? Pas forcément. L'appel à voter de Pécresse a été écorné par certaines déclarations, et l'appel de Yannick Jadot se heurte au fait que certains électeurs des Verts ne considèrent pas qu'Emmanuel Macron ait fait un mandat écologiquement correct donc rechignent à aller voter pour lui. Il devrait pouvoir compter sur une partie de l'électorat de Jean Lassalle et d'Anne Hidalgo. Ce qui peut faire 34%. On est donc plutôt dans une situation de jeu relativement égale.

C'est donc l'électorat de Jean-Luc Mélenchon qui sera l'arbitre de ce 2e tour ?

Beaucoup repose fortement sur l'électorat de Jean-Luc Mélenchon, oui. On peut imaginer que les CSP+ qui ont voté "utile" pour lui voteront pour Emmanuel Macron car elles perçoivent le danger de la prise du pouvoir par Marine Le Pen. Mais il y a un doute plus marqué sur son vote populaire. Emmanuel Macron serait inspiré de faire l'examen de la situation en tenant compte de l'ensemble des populations. Et je trouve que c'est ce qui manque et est dangereux...

Considérez-vous qu'il y a donc un réel risque que le front républicain ne tienne pas le 24 avril prochain ?

Oui, il y a un réel danger. Toute comparaison historique étant à faire avec beaucoup de prudence, on est dans un scénario qui ressemble beaucoup au scénario allemand de la montée au pouvoir d'Hitler, avec les communistes qui regardaient les socialistes comme leur pire ennemi et réciproquement... La situation est beaucoup plus fluide qu'en 2017, au sens où tout peut arriver car tout continue de bouger dans des directions contradictoires.

Compte tenu de ce contexte, les résultats des législatives pourraient-ils ne pas être alignés sur ceux de la présidentielle ?

Il est possible qu'en cas d'élection de justesse d'Emmanuel Macron, il y ait une sorte de recomposition à droite entre lui et Les Républicains de manière à consolider la position macroniste, en achevant la captation de tout l'électorat de la droite dite "républicaine". Il est possible aussi qu'après être passé de justesse en-dessous de la barre de qualification, LFI réalise des scores intéressants là où, en particulier, il y aura concurrence entre des candidats de Marine Le Pen et des candidats d'Eric Zemmour. La participation sera vraisemblablement inférieure et la barre de qualification pour le second tour sera peut-être trop haute pour beaucoup de 3e candidats. Il n'est donc pas impossible que la gauche disparaisse de beaucoup de scrutins au 2e tour... Parviendra-t-elle à un replâtrage un tant soit peu crédible ? Ou va-t-elle faire l'impasse sur cette échéance et se recomposer ensuite ? Mais alors sur quelle base ? Le chantier énorme. Mais il est des chantiers plus indignes que celui-ci... Bien sûr, les situations seront très différentes selon les circonscriptions : le Mélenchonisme ariègeois risque de dominer, LREM devrait être hégémonique dans l'Aveyron et il n'est pas impossible que le RN progresse dans le Gard.

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 13/04/2022 à 10:38
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Un danger ? Le programme économique de le pen est le même que celui de macron c'est donc dans les deux cas la ruine de la France assurée. Non ce que beaucoup sont en train de dire c'est que d'une part on devrait gagner plusieurs mois si le fn est au ...

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