Gilets jaunes : "Toute la société est organisée autour d’une dépendance à l’automobile"

Selon Laurent Chapelon, professeur à l’Université Paul Valéry-Montpelllier III spécialiste des problématiques d’aménagement de l’espace et de transport, la crise des gilets jaunes révèle les paradoxes d’un système de transport tout entier organisé autour de la voiture, des infrastructures jusqu’aux services associés, depuis le début du XXe siècle. Or, selon lui, les alternatives propres à faible coût ne sont pas prêtes.
Laurent Chapelon, professeur à l’Université Paul Valéry-Montpelllier III, est spécialiste de l’aménagement et des mobilités
Laurent Chapelon, professeur à l’Université Paul Valéry-Montpelllier III, est spécialiste de l’aménagement et des mobilités (Crédits : Christine Caville)

N'y a-t-il pas un paradoxe à encourager le basculement vers la voiture électrique alors que l'infrastructure, en bornes électriques notamment, est loin d'être opérationnelle ?

Laurent Chapelon : Il est vrai que le transport nécessite un système performant en accessibilité et pouvant être diffusé à grande échelle. Depuis le début du XXe siècle, on a priorisé l'automobile thermique, avec l'installation d'un système de transport diffusé massivement, jusqu'au fin fond des campagnes. Cela s'explique par l'infrastructure routière, qui offre une large accessibilité aux habitants. Cela implique une consommation de carburants exclusivement d'origine fossile. Et cela se traduit par un système de services en lien avec l'automobile, du concessionnaire au garagiste. Sous tous les angles, la dépendance au système auto thermique est grande. Même si depuis trente ans, on a pris conscience des conséquences du gaz à effet de serre sur notre environnement et donc notre avenir, la technologie ne sert pas encore ce besoin de transition écologique. Nous n'avons pas de système accessible, écologiquement propre, à faible coût, et pouvant être diffusé à grande échelle. Vous mentionnez les bornes électriques, mais il y a aussi les systèmes permettant de recharger les véhicules à domicile, ou d'autres. Ici se posent de nouvelles questions, comme la capacité de la France à produire assez d'électricité si toute la population se mettait à les utiliser d'un coup. D'autres innovations sont possibles autour du solaire ou de l'hydrogène, mais elles ne sont pas prêtes. Nous sommes dans cet entre-deux.

Les gilets jaunes doutent que la hausse des taxes alimente réellement la transition écologique. L'État manque-t-il de pédagogie sur ces questions ?

L. C. : On voit souvent des campagnes pour la sécurité routière destinée à réduire le nombre de morts. Mais on communique peu sur le coût réel de l'automobile, les conséquences environnementales, etc. Il est vrai qu'il est délicat de communiquer sur les conséquences négatives d'un système de transport alors que l'automobile est un pan majeur de l'économie française. C'est là la clef : nous avons des enjeux économiques, d'un côté, et les nouveaux enjeux écologiques qui ne coïncident pas, de l'autre côté. De leur confrontation naît une difficulté d'intervenir. Surtout que, depuis un mouvement comme celui des routiers en 1995, on pensait que seules les corporations pouvaient faire bouger les choses sur de tels sujets. On s'aperçoit, avec les gilets jaunes, que les citoyens ne sont plus aussi malléables et qu'ils trouvent des leviers d'action eux aussi. Il y a un vrai effet de surprise.

Avec le développement du périurbain, une part importante de la population vit désormais en dehors des grandes villes où elle travaille. Est-ce un facteur d'explication dans la crise actuelle ?

L. C. : Oui, on a accompagné l'étalement urbain en aidant les gens à trouver une résidence principale hors métropole à moindre coût, mais aussi en déployant le système infrastructure/transport que je décrivais. Nous nous sommes mis à la fois dans une situation de dépendance à la voiture et au carburant. Si le mouvement des gilets jaunes déborde sur un blocage des dépôts de carburant, c'est le fonctionnement de la société entière qui est bloqué. Nous avons donc une dépendance lié à l'accessibilité : la réduction de la limite de vitesse à 80 km/h a réduit de facto les capacités de déplacement. Nous avons aussi une dépendance économique, qui explique la réaction actuelle : quand le coût d'usage devient trop élevé, ça coince d'abord chez les plus modestes. Le paradoxe est qu'il n'y a pas, pour autant, une forte demande pour le déploiement des bus dans une région comme l'Occitanie, où certains territoires ne sont pas desservis ou bien ne disposent que d'une ligne le matin et une autre le soir. Nous sommes pris dans une multiplicité de déplacements car la société s'est transformée, avec une baisse de la part du temps de travail au profit d'autres activités, comme les loisirs.

L'Occitanie a mis en place un service public régional des transports avec une nouvelle offre, a étendu le TER à un euro, les Métropoles ont développé les tramways ou les bus à haut niveau de service avec des parkings en tête de ligne... Ces actions sur le plan local sont-elles suffisantes pour réduire la part de la voiture ?

L. C. : Une politique traitant l'accès aux espaces denses urbains qui concentrent l'emploi, ou développant les pôles d'échange multimodaux pour réduire l'usage des voitures en ville, va bien sûr dans le bon sens. Mais on en voit aussi les limites dans les territoires où les collectivités sont contraintes dans le déploiement des transports en commun. Ainsi, ce sont bien les espaces périurbains ruraux de faible densité qui restent les plus dépendants à l'automobile. Il faut peut-être prolonger ces efforts en faveur d'une offre de transports qui atteindra des bassins de mobilité plus larges que les métropoles. Se pose alors une nouvelle question : qui paye ?

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