A Montpellier, comment le vélo a changé de braquet

Dans le contexte actuel de crise sanitaire et de reprise progressive de l'activité, les modes de déplacements sont au cœur des politiques publiques, notamment dans les grandes métropoles. A Montpellier, pointée un temps comme mauvaise élève des aménagements favorisant la pratique du vélo en ville, la situation a évolué sous la pression des militants de Vélocité, dont l'action a été remarquée dans le monde de la Petite Reine. Retour sur l’histoire montpelliéraine du vélo, commentée par le président national de la Fédération des usages du vélo et l’expert national vélo de l’ADEME.
Cécile Chaigneau
La ville de Montpellier a entamé sa mue sur la pratique du vélo.
La ville de Montpellier a entamé sa mue sur la pratique du vélo. (Crédits : Vélocité)

Il est bien placé pour en faire le constat : Nicolas Le Moigne, président de l'association Vélocité (1.000 adhérents), qui milite pour la pratique du vélo à Montpellier, assure que « depuis début 2020, le vélo change de braquet à Montpellier ».

Revendiquant une politique globale "mobilités" et un plan des Mobilités actives de 150 millions d'euros, la nouvelle équipe métropolitaine, emmenée par son président Michaël Delafosse (également maire de Montpellier), poursuit le déploiement d'aménagements cyclables : fin novembre, la collectivité annonçait 4,4 kilomètres supplémentaires de pistes cyclables d'ici à la fin de l'année 2020, venant compléter les 17,34 kilomètres d'aménagements existants. Pendant sa campagne, le candidat s'est engagé à réaliser, durant son mandat, 300 km de pistes cyclables sécurisées sur le territoire métropolitain...

Pour Nicolas Le Moigne, la capitale languedocienne revient de loin... Il rappelle que selon une enquête de la Fédération des usagers de la bicyclette sur la place du vélo, Montpellier était, en 2017 et 2019, 9e sur 11 des villes cyclables, devant Nice et Marseille.

Olivier Schneider est le président national de cette Fédération des usagers de la bicyclette. On le présente aussi comme « celui qui murmure à l'oreille du gouvernement » sur les sujets mobilités vélo... Il a suivi d'un œil attentif ce qui se passait dans la capitale languedocienne.

« Par rapport au potentiel de la ville, il y a un écart important entre l'appétence des Montpelliérains et la réalité de la pratique, faible, plutôt masculine et pas assez rassurante pour les enfants, observe-t-il.

Urbanisme tactique

Il y a bientôt deux ans que la mobilisation citoyenne s'est mise en place à Montpellier. Parmi les quelques moments-clés de cette mobilisation, figure une petite phrase politique qui, selon Nicolas Le Moigne, a fait électrochoc et a servi de déclencheur.

En 2018, les militants s'inquiètent de l'absence de pistes cyclables dans le projet de contournement de Castries, près de Montpellier, et le président de la Métropole d'alors, Philippe Saurel, déclare qu'on ne fait pas « une infrastructure pour deux personnes ». La réaction est immédiate dans les rangs cyclistes : le hastag #jesuisundesdeux fait fureur sur les réseaux sociaux et en novembre 2018, les militants descendent massivement dans la rue.

En 2019, las d'attendre des changements qui ne venaient pas, des militants créent une fausse piste dans le quartier des Arceaux, sur un axe du centre-ville très sollicité par les vélos. Cette action qualifiée d'urbanisme tactique, sur le principe "Faites des pistes cyclables, vous aurez des vélos", a fonctionné : fin 2019, la collectivité consentait à pérenniser la piste cyclable.

« En mars 2019, à l'occasion de la marche pour le climat, une piste cyclable est matérialisée avenue de Toulouse, l'un des axes entrant de la ville et point noir des cyclistes, et 12.000 piétons et cyclistes s'allongent sur la route, se souvient encore Nicolas Le Moigne. Un an après, deux voies étaient supprimées au profit des vélos. Cette action amenait les prémices de ce qui est en train de se passer. »

« La naissance du mouvement citoyen à Montpellier est unique en France »

Ce qui est en train de se passer, c'est que la pratique du vélo en ville est devenue un enjeu politique. Ainsi, pour enfoncer le clou, le 10 novembre 2019, 2.700 cyclistes se rassemblent sur le parvis de la mairie pour faire du vélo un des sujets incontournables des élections municipales.

« La naissance du mouvement citoyen à Montpellier est unique en France, souligne Olivier Schneider. Les militants de Vélocité Montpellier étaient fatigués de n'être jamais entendus et ont réagi à un propos malheureux du maire. Ils ont réussi à faire du vélo un vrai sujet politique en montrant que lorsqu'on est intelligemment opportuniste et réactif, on peut mettre le vélo à l'agenda politique... Cette colère montpelliéraine pas forcément duplicable mais aujourd'hui, beaucoup s'inspirent de l'action de Vélocité à Montpellier. C'est un mouvement similaire à celui qu'ont connu les Pays-Bas, où un journaliste avait lancé mouvement "Stop au meurtre de nos enfants sur les routes" qui a remis en cause la présence de voitures en ville au profit du vélo. »

La démonstration par la preuve

Un comité de pilotage a finalement été mis en place du temps de l'ancien maire et président, Philippe Saurel. Depuis, les élections municipales ont assis son adversaire Michaël Delafosse (PS), cycliste convaincu et pratiquant, dans le fauteuil municipal et métropolitain.

« Les associations d'usagers du vélo sont experts et force de proposition, déclare Nicolas Le Moigne. On est là pour faire augmenter l'exigence et l'attente des usagers. C'est une bonne nouvelle que le nouveau maire soit lui-même pratiquant du vélo. Michaël Delafosse a affiché du volontarisme sur le sujet (notamment une aide de 500 euros pour tout achat d'un vélo électrique pour les habitants de la Métropole, NDLR). Nous avons eu quelques entrevues ponctuelles mais il va falloir organiser la façon de travailler ensemble. »

Pour faire œuvre utile, Vélocité continue son action sur le terrain et s'attache à démontrer. Ainsi fin septembre dernier, déplorant un manque de prise en compte des alternatives écologiques dans le débat autour du Contournement ouest de Montpellier (6 km reliant l'A750 et l'A709 entre Juvignac et Saint-Jean-de-Védas, plus de 300 millions d'euros d'investissement), l'association organisait une course entre différents modes de transports : piétons, cyclistes et automobilistes. Résultats : 25 minutes pour 6,8 km en vélo, 47 minutes pour 8,8 km en voiture, et 50 minutes pour 10 km en transports en commun.

Inverser la pyramide des priorités

Pour Nicolas Le Moigne, la démonstration est faite : « On propose que soit mis en place un réseau cyclable de l'ouest de Montpellier, réclame-t-il. Si on refait une autoroute, on va attirer encore plus de voiture et donc plus de pollution. Avec 300 millions d'euros, on a le choix de faire autre chose, comme le mettre dans le vélo. D'autant que ces choix ont un coût sociétal : 1 km en voiture, c'est 60 à 70 centimes d'euros par km alors que 1 km à vélo rapporte 60 centimes d'euros à la société en raison d'infrastructures moins coûteuses et de problèmes de santé réduits ».

Le militant assure que Vélocité « ne se focalise pas tant sur le nombre de kilomètres de pistes cyclables que sur l'existence d'un réseau de pistes sécurisées, continues et entretenues, avec des stationnements sécurisés, des écoles accessibles à vélo, et des employeurs qui incitent à mobilité durable... Avec une politique cyclable ambitieuse, ça peut aller vite. A Séville, ils sont passés de 1 à 10% des trajets du quotidien faits à vélo en six ans. Mais faut-il s'arrêter à 10%, l'objectif du gouvernement français ? Selon moi, il ne faut pas de limite supérieure... Ce que nous voulons, à Vélocité, c'est inverser la pyramide des priorités : d'abord les piétons, puis les vélos, puis les transports en commun et en dernier les voitures ».

« En améliorant tous les modes de transport, on entretient le statu quo »

Un argument soutenu par l'ADEME, qui plaide pour une redynamisation des centres-villes passant par un rééquilibrage des modes de transports dans l'espace public.

« Sur les sept ou huit dernières années, le taux de vacances commerciale a quasiment doublé sur les villes françaises en raison du développement des commerces en zones périphériques et du e-commerce, pointe Mathieu Chassigné, ingénieur en charge des mobilités durables pour l'ADEME Hauts-de-France et expert vélo à l'échelle nationale. Les centres-villes doivent aussi donner envie aux consommateurs de venir. En général, on surestime le nombre de personnes qui viennent en voiture, environ 15 % contre les 2/3 à pied et 10 à 15% en transports en commun. Toutes les politiques favorisant un afflux de voitures, comme le stationnement gratuit, seront contre-productives car cela dégrade l'expérience des piétons. Il faut donner plus de place aux modes alternatifs, dont le vélo. »

Et l'expert va encore plus loin, s'adressant aux élus : « Il faut surtout chercher la cohérence des mesures : beaucoup d'agglomérations font des choses pour le vélo, pour les transports en commun et construisent aussi des routes nouvelles. Ce qui revient à ne pas faire de choix : on améliore tous les modes de transport donc on entretient le statu quo. La cohérence dans les actions est assez rare ».

Un point de vue partagé par Olivier Schneider : « La gratuité des transports en commun, comme le stationnement gratuit, risquent d'avoir un effet pervers si ça revient plus cher de se déplacer en vélo qu'en transports en commun ou en voiture. On peut favoriser le vélo sans pénaliser les transports en commun... D'autant que le premier avantage du vélo, c'est la santé ».

Le vélo, une réponse santé, économie et crise sanitaire

Car c'est là l'autre argument de bataille des militants cyclistes, notamment de Nicolas Le Moigne : « Faire du vélo, c'est bon pour la santé. Les enfants ont perdu 25% de leurs capacités physiques et pulmonaires sur les deux dernières décennies... Et aller au travail à vélo apporte du bien-être, évite le stress et renforce les défenses immunitaires ».

Enfin, pour le militant, le vélo est une réponse à la crise économique, et il cite volontiers les « 9,6 milliards d'euros par an de retombées économiques et à près de 80.000 emplois, en l'état actuel des pratiques (part modale d'à peine 3%, ndlr) » annoncés en avril 2020 par l'étude « Impact économique et potentiel de développement des usages du vélo en France » (réalisée à la demande de la Direction Générale des Entreprises, la Direction Générale des Infrastructures, des Transports et de la Mer, l'ADEME et la Fédération Française de Cyclisme).

« La 2e vague et la crise sanitaire renforcent la place du vélo qui est une alternative crédible pour garantir la distanciation physique, notamment dans les transports, ajoute enfin Nicolas Le Moigne. Avec le "Coup de pouce vélo" (50 € dédiés à la réparation d'un vélo, lancé par le gouvernement, ndlr), durant les 15 jours qui ont suivi le déconfinement, les vélocistes de Montpellier ont rattrapé le manque à gagner durant le confinement. La plupart ont embauché, de nouveaux magasins de vélos se sont créés. Le souffle ne retombe pas et n'est pas près de retomber avec l'aide de la Métropole ! »

Cécile Chaigneau

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