Une coordination "laborieuse" des collectivités locales d’Occitanie pendant la crise sanitaire ? Ce que dit la Cour des comptes…

En parallèle de l’action de l’État, les collectivités locales se sont elles aussi mobilisées en faveur des acteurs économiques de leur territoire. Dans son rapport annuel, la Cour des comptes, qui a choisi d’analyser ces différentes dynamiques de soutien en Occitanie, parle d’une efficacité de leurs actions affectée par une coordination laborieuse. Le gendarme financier pointe notamment la mobilisation des Conseils départementaux en matière d’intervention économique alors qu’ils n’ont plus cette compétence, et invite à tirer des leçons en matière de gouvernance des politiques de développement économique. Décryptage.
Cécile Chaigneau
(Crédits : CHRISTIAN HARTMANN)

La publication du rapport public annuel 2022 de la Cour des comptes est intervenue ce 16 février. La juridiction financière s'est concentrée, cette année, sur les effets de la crise sanitaire et sur les enseignements à tirer de cette crise et de ses conséquences budgétaires, financières, économiques et sociales.

En Occitanie, le gendarme financier s'est penché sur la mobilisation des collectivités territoriales pour contribuer à l'effort général de soutien aux entreprises et à l'activité économique.

« Une analyse globale des interventions de la Région et des groupements de communes en faveur des entreprises d'Occitanie montre que l'efficacité de ce soutien, d'une bien moindre ampleur que celui de l'État, a pâti d'une coordination insuffisante entre les collectivités concernées, notamment parce que les Départements, qui ne disposent pourtant plus de compétences dans ce domaine, ont néanmoins souhaité intervenir directement », indique le rapport.

Parallèlement aux dispositifs de soutien mis en place par l'État, plusieurs collectivités occitanes ont mobilisé des dispositifs existants, en les adaptant parfois, ou en en créant de nouveaux.

La chambre régionale des comptes d'Occitanie a procédé, entre mars et juin 2021, aux contrôles de la Région Occitanie, de quatre Départements (Haute-Garonne, de l'Ariège, des Pyrénées- Orientales et du Gard) et de deux de leurs opérateurs (SPL Haute-Garonne Développement et association Agence Ariège Attractivité), et a élargi le périmètre de son enquête en procédant à une analyse de l'impact de la crise sanitaire sur la situation financière des neuf autres départements d'Occitanie et sur plusieurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou structures intercommunales.

Stratégies de contournement des Départements

En sa qualité de cheffe de file en matière de développement économique, la Région Occitanie a adopté un plan spécifique de soutien d'urgence doté d'une enveloppe globale d'environ 394 millions d'euros, dont 316 millions d'euros en faveur des acteurs économiques de l'Occitanie : participation au fonds de solidarité national, création de deux fonds de soutien à l'économie (le fonds de solidarité exceptionnel Occitanie et le fonds L'Occal, cofinancé avec les Départements, les EPCI et la Banque des Territoires) et de fonds sectoriels, mobilisation d'outils préexistants (Pass Rebond et Relance), aides financières (sous forme d'avances remboursables ou de facilités de prêts) dans le cadre d'un fonds régional de garantie, d'un dispositif de prêt rebond et d'un contrat "entreprise en crise de trésorerie Covid 19".

Si pendant la crise sanitaire, l'État a accordé une dérogation temporaire aux Départements afin de les autoriser à abonder le fonds de solidarité national, la Cour des comptes dénonce les stratégies de contournement déployées par les Départements pour maintenir leur appui au tissu économique local : « Les collectivités occitanes ont déployé leurs propres mesures de soutien économique, en tentant de rattacher leurs interventions aux compétences dont elles disposent, notamment en matière d'agriculture et de tourisme, pointe son rapport. Elles ont aussi parfois apporté leurs contributions à des dispositifs locaux qui ne relevaient pas de leur champ d'intervention. C'est ainsi que 12 des 13 Départements d'Occitanie se sont placés de facto en dehors du champ de compétence défini par la loi NOTRe en finançant le fonds régional L'Occal ».

Dans l'ensemble, les Départements occitans ont consacré près de 101 millions d'euros à l'action économique en 2020, contre 94 millions d'euros en 2019, le rapport concédant qu'une partie des fonds mobilisés en 2020 a été utilisée pour soutenir des activités qui relèvent du champ départemental (soutien aux laboratoires départementaux d'analyse ou promotion touristique).

C'est ainsi, par exemple, que le Département de la Haute-Garonne a adopté, en avril 2020, un "Plan d'urgence pour soutenir l'activité et l'emploi local" avec une enveloppe de 27,6 millions d'euros, finalement mis en conformité, transformé en aide directe à la personne via un fonds de prévention de la précarité et ramené à 3 millions d'euros. Mais le rapport souligne que « bien qu'irréguliers, certains dispositifs de soutien économique ont été maintenus en faveur du secteur du tourisme et d'entreprises de transport ».

Superposition et hétérogénéité

Selon la Cour des comptes, la multiplication de ces nouveaux dispositifs de soutien aux entreprises n'a pas contribué à améliorer la lisibilité du panel de mesures, « même si les collectivités ont rapidement adopté le principe du guichet unique ».

« À l'échelle infrarégionale, les natures d'intervention en matière de soutien économique des départements et des EPCI ont été très hétérogènes, pointe le rapport. Le soutien des EPCI a pris la forme d'exonérations et d'annulations de charges diverses en faveur des commerçants de centre-ville. En complément, certains EPCI, tels que Montpellier Métropole, la communauté urbaine de Perpignan ou Toulouse Métropole, ont proposé aux entreprises des aides ciblées. L'investissement public a aussi été utilisé comme levier pour la mise en œuvre de plans spécifiques, comme le plan de voirie de Toulouse Métropole. »

Par ailleurs, le foisonnement de dispositifs aurait été peu propice à l'efficience, la juridiction financière dénonçant « une complémentarité non garantie et une concurrence possible entre dispositifs nationaux et locaux ». Exemple : alors qu'en offrant une aide à la trésorerie, le fonds de solidarité national et le premier volet du fonds L'Occal répondent au même objectif, le second dispositif, dont l'objet est l'octroi d'une avance remboursable, est plus contraignant. Ce qui s'est traduit par un franc succès du fonds de solidarité et une lente montée en charge du fonds L'Occal.

Décalage entre engagements et exécution

Autre problème soulevé dans le rapport : une mise en œuvre des fonds de soutien parfois peu sécurisée sur le plan juridique. Ainsi, l'abondement du fonds L'Occal par les collectivités territoriales repose sur la conclusion d'une convention signée entre la Région et les autres contributeurs, notamment les Départements, hors champ de compétences et donc hors cadre réglementaire.

D'autant que « en retenant un critère fondé sur la population, l'assiette de calcul des participations des contributeurs locaux (Région comprise) ne tient pas compte des caractéristiques économiques du territoire », regrette la Cour des comptes, générant un abondement du fonds L'Occal et des aides sans lien avec les besoins des territoires.

« Les entreprises implantées dans le ressort des collectivités contributrices ont été financièrement davantage soutenues par le fonds L'Occal, ajoute le rapport. Celles installées sur des territoires non-contributeurs au fonds régional n'en ont que tardivement bénéficié. »

Le rapport indique qu'au titre du fonds l'Occal, la Région n'avait perçu que 15,4 millions d'euros sur les 19 qu'elle aurait dû percevoir en première avance à fin 2020, un « décalage qui confirme le faible intérêt du fonds L'Occal ainsi qu'un affichage budgétaire ambitieux ».

Enfin, le rapport pointe « un net décalage entre les engagements et l'exécution de certains dispositifs d'aides ». Ainsi, le plan d'urgence de la Région, qui devait mobiliser 394 millions d'euros, dont 316 millions d'euros dédiés au soutien à l'économie, n'a été réalisé qu'à hauteur de 54% (46% pour les seules mesures de soutien à l'économie). Même constat de sous-consommation des crédits pour les dispositifs régionaux : les taux d'exécution du Pass relance et du contrat "entreprise en crise de trésorerie" de la Région s'élevaient, en juillet 2021, respectivement à 38,4% et 55%.

Concernant le fonds L'Occal, le bilan de sa mise en œuvre fait en juillet 2021 a mis en évidence un décalage persistant entre les contributions inscrites aux budgets des contributeurs (77,2 millions d'euros, hors Banque des Territoires) et les aides mandatées aux entreprises (39 millions d'euros), soit un taux de consommation du fonds d'environ 50%.

Situation financière des collectivités : pas d'alerte

Ces efforts financiers pour contenir les effets de la crise auront-ils sévèrement affecté les finances des collectivités territoriales d'Occitanie ? Selon la Cour des comptes, non : « Ce contexte de crise n'a, dans l'ensemble, que peu affecté la situation financière des collectivités territoriales, compte tenu de la diminution de leurs dépenses, notamment d'investissement, et de la mise en place par l'État de dispositifs de compensation de pertes de recettes fiscales. Malgré tout, la phase de relance appelle une vigilance particulière de leur part. Elles devront ainsi veiller à obtenir le remboursement des avances et prêts consentis.

La Région Occitanie, « qui abordait la crise avec une situation financière saine », en a évalué le coût net à 276,9 millions d'euros, sur un budget total de 5,1 milliards d'euros. Le rapport de la Cour des comptes indique que si ses indicateurs principaux se sont certes dégradés (capacité d'autofinancement diminuée de 11 % par rapport à 2019 et encours de dette en hausse de 444 millions d'euros), « ces indicateurs demeurent néanmoins en deçà des seuils d'alerte », ajoutant que « la Région conserve ses capacités de financement dans le cadre de la relance ».

Pour les Départements, « les ajustements et efforts de gestion ont, de manière générale, compensé les engagements complémentaires liés à la crise, notamment ceux résultant de la progression des dépenses d'aides sociales ». Grâce à des droits de mutation qui se sont maintenus, leurs recettes sont restées stables, et la capacité de désendettement n'atteint ou ne dépasse cinq ans que pour les Départements du Gard, du Gers et de l'Hérault. La moitié des départements a ralenti son effort d'équipement et leur situation financière, appréciée au regard de leurs capacités d'autofinancement et de désendettement, ne s'est dégradée que pour le Gers, la Haute-Garonne et l'Hérault.

Quelles réponses des collectivités ?

Suivant une procédure habituelle d'échanges contradictoires, les collectivités ont eu la possibilité d'apporter des observations au rapport de la Cour des comptes. Cinq n'ont pas répondu (les Conseils départementaux de l'Aveyron et du Tarn-et-Garonne, Toulouse Métropole, la Communauté d'agglomération du Muretain et la direction régionale de la Banque des Territoires), neuf n'avaient pas d'observation à formuler (les Conseils départementaux du Gers, de l'Hérault, du Lot, des Hautes-Pyrénées et du Tarn, Montpellier Méditerranée Métropole, les Agglomérations d'Alès et du Sicoval, et la communauté urbaine de Perpignan).

« L'intervention des départements et des EPCI dans L'Occal était destinée à sauver les entreprises touristiques d'une région où le tourisme représente 10% du PIB et près de 100.000 emplois, répondant à la même nécessité d'agir selon des modalités exceptionnelles face à une situation exceptionnelle, a pour sa part répondu Carole Delga, la présidente de la Région Occitanie. Je souligne d'ailleurs le partenariat innovant et totalement inédit impulsé par la Région et la Banque des Territoires avec 166 collectivités d'Occitanie au bénéfice des commerçants, artisans, professionnels du tourisme, de la culture, du sport, etc. dans le cadre de ce dispositif L'Occal. [...] Je suis davantage étonnée des remarques relatives à la faible lisibilité des mesures mises en place et de la complémentarité non garantie de celles-ci. Je les trouve d'autant moins étayées que dans son rapport d'observations définitif, la chambre régionale des comptes d'Occitanie rappelle au contraire la très bonne collaboration entre les services de l'État, le SGAR en particulier, et ceux de la Région pour la mise en œuvre des mesures d'urgence, et il précise que le "bilan qualitatif des aides régionales aux entreprises, notamment par rapport aux aides nationales" reste encore à effectuer, avec le recul nécessaire, ce que bien entendu je souhaite et prévois de mettre en œuvre également. »

Des effets « pour l'heure » contenus

La présidente de Région récuse par ailleurs le décalage entre engagement et mobilisation des aides, évoquant notamment des mesures qui concernent, au moins pour partie, des aides à l'équipement des entreprises, à l'intersection entre les mesures d'urgence de très court terme et les mesures de relance de moyen terme.

Enfin, sur la situation financière de la Région Occitanie qui aurait été « faiblement impactée par la crise financière », « à mon sens, l'analyse de la Cour est doublement inexacte », plaide Carole Delga : « La baisse des investissements est vraie pour le bloc communal mais elle ne l'est pas pour les Régions, dont les investissements ont augmenté de 14,9% en 2020 (+ 28% pour la Région Occitanie). L'évolution de la situation financière de la Région Occitanie en 2020 et 2021 doit donc être appréciée au regard d'un cycle d'investissement élevé, que la crise sanitaire a amplifié ».

L'élue préfère évoquer « une crise sanitaire aux effets "pour l'heure" contenus sur la situation financière de la Région », soulignant notamment que « la capacité de désendettement de la Région s'établira autour de sept ans fin 2021, alors qu'elle aurait été d'environ cinq années dans une trajectoire hors Covid ».

« Un soutien utile et pertinent »

Du côté des Conseils départementaux, le président Georges Méric, en Haute-Garonne précise que « même si certains de ces dispositifs ne rentraient dans un cadre juridique totalement stabilisé, ils ont néanmoins permis d'apporter très rapidement un soutien utile et pertinent dans une période particulièrement difficile, tant pour les citoyens que pour l'ensemble des acteurs du territoire ».

« Le Département prend acte des observations visant la mise en œuvre du fonds L'Occal en tant que mesure d'urgence au soutien des entreprises affectées par la crise sanitaire, déclare notamment Hermeline Malherbe, la présidente du Département des Pyrénées-Orientales. La multiplication des signes de fragilité de l'économie locale a appelé une réponse publique d'une ampleur exceptionnelle. Le fonds de solidarité national a été perçu comme incomplet pour répondre immédiatement aux problématiques territoriales par définition multiples et hétérogènes. »

Cécile Chaigneau

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