« L’évaluation des politiques publiques, c’est une petite révolution culturelle » (Pierre Moscovici)

Une disposition de la loi 3DS confère aux chambres régionales des comptes une nouvelle compétence : l’évaluation des politiques publiques. Alors que le pays sort d’une période inédite du "quoi qu’il en coûte" et se retrouve face aux défis de la soutenabilité de la dette, la qualité de la dépense publique est plus que jamais cruciale. Il en va notamment de la confiance des citoyens, laquelle, on l’a vu lors des derniers scrutins, ont de plus en plus de mal à se mobiliser pour la chose publique... Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, était à Montpellier le 27 juin pour échanger avec Carole Delga, présidente de la Région Occitanie et présidente de Régions de France, et Michaël Delafosse, maire de Montpellier et président de la Métropole, qui ont déjà en tête des sujets d’évaluation.
Cécile Chaigneau
Michaël Delafosse, Carole Delga, Etienne Guyot et Pierre Moscovici, le 27 juin 2022 dans les locaux de la Chambre régionale des comptes d'Occitanie, à Montpellier.
Michaël Delafosse, Carole Delga, Etienne Guyot et Pierre Moscovici, le 27 juin 2022 dans les locaux de la Chambre régionale des comptes d'Occitanie, à Montpellier. (Crédits : Cécile Chaigneau)

La loi 3DS, relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration, confère une nouvelle compétence aux Chambres régionales des comptes (CRC). Le gendarme des finances publiques aura pour mission, à compter de 2023, d'évaluer les politiques publiques mises en œuvre par les collectivités territoriales.

À l'occasion de la venue du Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, le 27 juin à Montpellier, Marie-Aimée Gaspari, la présidente de la chambre régionale des comptes Occitanie, avait invité Carole Delga, la présidente de la Région Occitanie et présidente de Régions de France, et Michaël Delafosse, le maire de Montpellier et président de la Métropole, à échanger sur les apports d'une telle mission ou sur les modalités pour mettre en œuvre des démarches partenariales avec les collectivités concernées. Les deux élus étaient aussi interrogés sur quelles politiques publiques et quels dispositifs
gagneraient à être évalués en priorité par la chambre régionale des comptes.

Pierre Moscovici le rappelle : le développement de l'évaluation des politiques publiques est l'une des orientations majeures du plan stratégique des juridictions financières, baptisé "JF2025" et dévoilé en février 2021. La Cour des comptes, elle, disposait de cette compétence depuis la réforme constitutionnelle de 2008.

16 commanditaires possibles en Occitanie

« Les CRC n'ont pas attendu la loi 3DS pour lancer des travaux, par exemple la CRC Bretagne sur les algues vertes en 2021 ou cette année, un travail sur le RSA porté par 10 CRC dont celle de l'Aude, déclare Pierre Moscovici. L'objectif est ambitieux : que l'évaluation des politiques publiques représentent 20% de nos travaux quand elle représente aujourd'hui 5% pour la seule Cour des comptes. C'est une petite révolution culturelle mais nous avons la capacité de le faire. Et on ne fait pas une évaluation des politiques publiques seuls, vous travaillerez avec des partenaires, par exemple les universités de la région... Je suis enthousiaste mais pas totalement candide, car je sais qu'il n'est pas simple de se défaire d'une démarche de contrôle pour aller vers une démarche partenariale d'évaluation. »

Les chambres régionales des comptes pourront se saisir d'elles-mêmes de sujets d'évaluation mais elles pourront aussi être mobilisées par les Départements, les Régions et les Métropoles pour évaluer leurs politiques publiques et leurs projets d'investissements structurants. En Occitanie, cela concerne les treize Conseils départementaux, la Région et les Métropoles de Montpellier et Toulouse. Soit seize commanditaires possibles...

A l'heure où de plus en plus de politiques publiques sont partagées entre l'échelon national et l'échelon territorial, une même saisine pourra être réalisée conjointement par ces différents échelons. Au cours de chaque mandat, chacun ne pourra saisir la CRC qu'une fois de manière autonome et qu'une fois de manière conjointe.

« Lors de ces évaluations, il s'agira d'émettre un jugement sur la valeur de l'action publique, de porter une appréciation sur la pertinence, la cohérence, la pertinence, l'efficience et l'utilité des politiques publiques, explique Marie-Aimée Gaspari. C'est un outil puissant pour les décideurs publics et les citoyens car cela contribuera à la transparence et à la vitalité de l'action publique. »

Evaluer la rénovation thermique des logements

Gérard Terrien, président de la mission d'inspection des chambre régionales des
comptes, souligne que l'ampleur de la tâche nécessitera « de déterminer
le périmètre d'évaluation le plus efficace possible, de recenser en amont les bases de données numériques utiles, les partenaires possibles, les moyens humains, et de nouer des relations avec les collectivités territoriales qui ne soient plus fondées sur le contrôle mais sur un échange, une confiance ».

Le nombre possiblement important d'évaluations à réaliser alors que les CRC conserveront par ailleurs leur mission de contrôles des finances publiques, imposera également de choisir les sujets d'évaluations avec discernement. Michaël Delafosse et Carole Delga, qui se disent tous les deux favorables à ce type de démarche, ont déjà réfléchi à la question.

« J'étais favorable à ce dispositif de la loi 3DS car nous avons besoin d'évaluation des politiques publiques à partir des retours du terrain, indique ainsi Carole Delga. Par exemple, la question de la transition écologique et énergétique est au cœur de nos politiques publiques régionales, avec notamment la question des transports collectifs et de leur tarification : en Occitanie, gratuité sur le ferroviaire pour les moins de 26 ans, gratuité des transports scolaires ou gratuité des transports en commun sur la Métropole de Montpellier. L'autre sujet qui me semble intéressant, c'est la rénovation thermique des logements où des moyens budgétaires publics significatifs sont mis mais sur laquelle j'ai une interrogation quant à l'efficacité de l'ensemble des dispositifs, leur complémentarité, l'information données aux citoyens et le suivi des travaux... De même sur l'apprentissage : c'est une réussite mais à quel coût, pour quel public et avec quels effets sur la cohésion républicaine, sur le déterminisme social et pour la confiance en l'avenir pour la jeunesse ? »

Eclairer le débat démocratique

Michaël Delafosse, quant à lui, pose une question : « Aujourd'hui, qui nous évalue, nous, les collectivités ? Les citoyens tous les six ans. Sinon, des classements faits par la société civile ou des palmarès dans quelques magazines... L'évaluation est une mission de service public à part entière, d'autant plus utile aujourd'hui dans le débat démocratique. Chaque euro dépensé doit l'être de façon utile et il est donc important d'en évaluer la pertinence. Par exemple, ce matin, nous avons lancé les travaux de la ligne 5 de tramway et donc fermé la circulation sur l'avenue Georges Clémenceau, ce qui aura un impact positif sur la qualité de l'air. Mais quel impact sur les dépenses du CHU ? Et sur l'accidentologie ? J'ai été élu pour faire la gratuité des transports : elle aura besoin d'être évaluée mais j'ai aussi besoin que cette évaluation m'aide à lutter contre les lieux communs qui prétendent qu'alors on n'investit plus, ce qui c'est faux, de manière à bien éclairer le débat démocratique ».

Autre exemple de sujet d'intérêt pour l'élu montpelliérain : le partage de voieries en faveur des différentes mobilités « pour quelle réduction des émissions de CO2 ? ».

Enfin Michaël Delafosse est lui aussi sévère sur la rénovation thermique des logements : « On est nul ! On en fait 1.000 par an à Montpellier, les Allemands en font quatre fois plus ! ». Et il pointe le « voyage en absurdie » qui, en respectant strictement les frontières administratives de la métropole au lieu de considérer celles du bassin de vie, aboutit à « un tramway qui s'arrête sur un rond-point ».

L'angle mort des politiques publiques partagées

Étienne Guyot, préfet de la région Occitanie voit, quant à lui, l'intérêt particulier que pourra servir ces évaluations quand elles porteront sur les politiques publiques partagées : « Par exemple, le contrat de plan Etat-Région, avec 15 thématiques que nous partageons avec la Région Occitanie pour 6 milliards d'euros d'investissement. Or il existe beaucoup de politiques partagées sur le logement, sur l'eau, etc... Et il y a aussi un intérêt sur la lisibilité des politiques publiques car elles sont tellement enchevêtrées depuis quarante ans que nos concitoyens n'y comprennent plus rien. L'évaluation permettra de dire s'il faudrait clarifier les compétences, qui fait quoi, les circuits, etc. ».

« Cette nouvelle compétence intervient dans un contexte où on avait l'impression que l'évaluation des politiques publiques n'était plus une priorité de l'action publique, fait observer Bruno Acar, inspecteur général de l'administration et membre de la Société 
française d'évaluation (SFE). Elle revient dans le débat : on retrouve une évaluation qui part du terrain, plus proche des usagers, et elle revient aussi avec l'évaluation des politiques partagées, qui était un angle mort. Les attentes fortes sont là. Les Régions savent ce qu'il se passe dans une autre région mais elles savent assez mal ce qu'il se passe dans les autres collectivités de leur région. Les politiques partagées, ce sont les contrats de plan, dont on fait un suivi mais pas d'évaluation d'impact, les fonds européens ou encore les expérimentations qui sont de plus en plus nombreuses. »

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes.

Un poids légitime

Alors que le pays sort de la crise sanitaire et d'une période inédite du "quoi qu'il en coûte", et se retrouve face aux défis de la soutenabilité de la dette, la qualité de la dépense publique est plus que jamais cruciale et il en va de la confiance des citoyens, laquelle, on l'a vu dans les urnes lors des derniers scrutins nationaux, ont de plus en plus de mal à se mobiliser pour la chose publique...

« Dans une période de crise économique et politique, on a besoin de s'appuyer sur des données fiables, objectives, contrôlées, évaluées, et les juridictions financières ont ce rôle de vigie démocratique à jouer, déclare Pierre Moscovici. La Cour des comptes et les CRC font partie des institutions les plus respectées donc ces évaluations de politiques publiques auront un poids légitime. Nous avons une responsabilité vis à vis des générations futures... Je souhaite que les juridictions financières soient la maison des citoyens et ça passe par la transparence. Nous irons donc vers le 100% accessibles aux citoyens. »

Quant à savoir si les CRC auront les moyens de faire face à l'ampleur des demandes, le Premier président de la Cour des comptes répond : « Assurément non. Il y aura un problème de gestion de flux, qu'il faudra étaler sur plusieurs mandatures ».

Le Premier président de la Cour des comptes a pris bonne note des deux sujets d'évaluation qui intéresseront la Région Occitanie et la Métropole de Montpellier : rénovation thermique des logements et les mobilités. Les textes d'application de cette disposition de la loi 3DS sont attendus pour l'automne, avec un démarrage prévu des évaluations des politiques publiques par les chambres régionales des comptes à partir de janvier 2023.

Cécile Chaigneau

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