Gestion du trait de côte : comment Montpellier est devenue une Métropole littorale

SERIE Littoral (1/3) – Avec le réchauffement climatique, l’érosion du trait de côte ou le risque de submersion marine sont revenus sur le haut de la pile des problèmes urgents pour les élus du littoral. Si Montpellier n’a pas directement les pieds dans la Méditerranée, elle est néanmoins considérée désormais comme une métropole littorale du fait de la nécessaire approche intercommunale de gestion du trait de côte. Entretien avec Sylvain Barone, chercheur en sciences politiques à l’INRAE et co-auteur de « Métropole et risques littoraux : vers une gouvernance interterritoriale à Montpellier ? ».
Cécile Chaigneau
Sylvain Barone, chercheur en sciences politiques à l'INRAE, co-auteur avec Laura Michel de « Métropole et risques littoraux : vers une gouvernance interterritoriale à Montpellier ? ».
Sylvain Barone, chercheur en sciences politiques à l'INRAE, co-auteur avec Laura Michel de « Métropole et risques littoraux : vers une gouvernance interterritoriale à Montpellier ? ». (Crédits : DR)

Sylvain Barone est chercheur en sciences politiques à l'INRAE, dans le laboratoire G-EAU, et Laura Michel est maîtresse de conférence à l'université de Montpellier en sciences politiques et chercheuse au CEPEL. Ils ont co-écrit « Métropole et risques littoraux : vers une gouvernance interterritoriale à Montpellier ? », dans la collection « Les cahiers POPSU » qui rassemble les connaissances produites par les travaux de recherche-action dans le cadre du programme « Métropoles » de la plateforme d'observation des projets et stratégies urbaines. Cet ouvrage, publié fin juin 2022, a été présenté à la Métropole et à tous les acteurs du littoral le 27 septembre dernier.

LA TRIBUNE - Pour bien comprendre le contexte, quelle est la vocation de ce document ?

Sylvain BARONE - Le programme « Métropole » de Montpellier se déroule en étroite collaboration avec la collectivité. Les thématiques de recherche retenues portent sur trois axes : la culture, le foncier et le littoral. Le document que nous publions est la valorisation de la recherche, c'est un livre scientifique qui devrait intéresser les scientifiques mais l'ambition, c'est de toucher un large public, les acteurs opérationnels et stratégiques autour du risque littoral, mais aussi le tissu associatif, les urbanistes, etc. Il se veut pédagogique et porteur de messages aux professionnels et aux citoyens.

La ville de Montpellier n'est pas au bord de la mer, et la Métropole ne compte qu'une commune disposant d'un littoral, Villeneuve-lès-Maguelone. En quoi la Métropole de Montpellier est-elle une métropole littorale ?

Je précise que la Métropole compte également deux autres communes littorales au sens de la loi car situées au bord d'étangs... La trame urbaine est très vascularisée dans le sens où il existe de nombreux déplacements entre Montpellier et Palavas, Carnon ou La Grande Motte. Donc on est bien sur une aire urbaine littorale. Par ailleurs, on a longtemps projeté sur cette métropole un destin littoral : c'était le projet politique de Georges Frêche d'urbaniser en direction de la mer. Enfin, aujourd'hui, on considère qu'il ne faut plus gérer le littoral uniquement depuis les plages mais en se référant à un espace plus large, notamment puisqu'il faudra relocaliser des activités, de l'urbanisation, des infrastructures, des flux touristiques. Il est nécessaire d'inclure un territoire plus vaste. Montpellier est donc bien dans l'équation du risque.

Quelle est la position de la Métropole, aujourd'hui, sur la considération du risque littoral ?

Il y a une évolution paradoxale. Pendant trente ans, des années 1970 aux années 2000, le projet de Montpellier était de s'étendre vers la mer et d'inclure les villes littorales dans la métropole, ce qui n'a jamais été réussi. Aujourd'hui, Michaël Delafosse (maire PS et président de la Métropole depuis 2020, NDLR) ne tient plus ce discours de Montpellier vers la mer mais a opté pour un dialogue avec les collectivités voisines. Et les risques littoraux n'ont jamais été autant pris en compte dans les politiques métropolitaines ! Ceux-ci était un impensé politique dans le sens où on ne les voyait nulle part sur les agendas politiques, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. La preuve, c'est que la maire de Villeneuve-lès-Maguelone, Véronique Négret, est vice-présidente de la Métropole avec, dans son portefeuille, les milieux aquatiques, les inondations et les risques littoraux (elle est déléguée au Littoral, à la Prévention des risques majeurs et à la GEMAPI, ndlr). En réalité, il n'y a pas réellement d'enjeux humains sur le littoral de Villeneuve-lès-Maguelone, qui n'est pas urbanisé, hormis pour la cathédrale qui risque d'être sur une île dans quelques décennies. A contrario, les secteurs les plus exposés, comme Carnon ou Palavas, ne sont pas dans la Métropole. Ce n'est donc pas parce qu'elle a des communes exposées que la Métropole s'investit. C'est plus parce que les risques littoraux font partie des risques accentués par le changement climatique et qu'il est urgent de conduire collectivement des actions sur ces questions.

Comment qualifier le risque littoral sur les côtes héraultaises ?

Le recul du trait de côte est fort sur le littoral héraultais, où il existe beaucoup de plages de sable, et le changement climatique crée des submersions plus fréquentes et plus importantes. Ce sont des points sensibles là où il y a de l'urbanisation, de l'habitat. Il y a beaucoup d'enjeux autour de Montpellier : l'aéroport, le canal du Rhône à Sète, des routes, mais aussi des enjeux liés à la biodiversité, à la salinité des sols pour l'agriculture, au tourisme de masse... 22% du Golfe du Lion est concerné par l'érosion du littoral. Par exemple, entre 1895 et 2012, on a comptabilisé un recul de 103 à 158 mètres entre les Aresquiers et le camping de Palavas, ce qui correspond à une évolution d'un mètre par an en moyenne. Le recul est important autour de Villeneuve-lès-Maguelone jusqu'à Frontignan. Il existe des zones où au contraire le sable s'accumule jusqu'à poser problème, comme à l'Espiguette (Gard, NDLR). Et des zones où il n'y a pas d'érosion car des ouvrages de protection ont été mis en place, parfois en captant des sédiments au détriment des communes voisines, ce qui peut accentuer l'érosion sur ces territoires. On comprend qu'il y a ait des ouvrages de protection dans des endroits, comme à Palavas, où il y a des immeubles au bord de la mer, mais aujourd'hui, la nouvelle stratégie de l'Etat, c'est de dire qu'on va les concentrer là où c'est vraiment nécessaire, et que dans les endroits naturels comme Villeneuve-lès-Maguelone, on laisse faire, ce n'est pas grave si la mer avance.

Quels sont les enjeux de gouvernance entre la Métropole montpelliéraine et les territoires littoraux ?

Ce qu'on considère comme être l'espace de gestion pertinent pour le littoral, c'est ce qu'on appelle la cellule sédimentaire, soit la portion de littoral qui a une cohérence du point de vue du déplacement des sédiments. Il existe ainsi une cellule autour du golfe d'Aigues-Mortes, du Grau-du-Roi jusqu'à Frontignan. Une étude a été lancée en 2020 par une entente entre les intercommunalités de la zone, impliquant une quarantaine d'acteurs, sur la gouvernance du golfe d'Aigues-Mortes, pour réfléchir à une gouvernance fédérative à cette échelle et traiter les enjeux de biodiversité marine, d'interface terre-mer ou de risques littoraux. Ça a permis à des gens qui ne se parlaient plus tellement politiquement de se parler à nouveau, de s'acculturer aux problématiques des autres. La conclusion a été de dire qu'il ne fallait pas créer une couche administrative supplémentaire, un syndicat mixte par exemple, mais plutôt procéder via des conventions. Un pas a été franchi et aujourd'hui, cet espace est celui jugé pertinent par l'Etat et la Région pour déployer une stratégie locale de gestion intégrée du trait de côte, dans un espace de gestion incluant Pays de l'Or Agglomération mais aussi la Métropole de Montpellier (la Métropole, Pays de l'Or Agglomération, Sète Agglopôle et Terre de Camargue viennent de se mettre d'accord pour former L'Entente du Golfe d'Aigues-Mortes, à lire demain, NDLR). Si Palavas, Carnon ou La Grande Motte revoient leur urbanisation ou repensent l'occupation de l'espace, Montpellier est juste derrière, donc on ne peut pas imaginer la recomposition spatiale sur le golfe d'Aigues-Mortes sans que Montpellier soit partie prenante. Ce serait un non-sens.

Aujourd'hui, l'ensemble des élus sont-ils impliqués ensemble sur ces questions ?

On part de loin, avec une histoire de conflictualité politique structurelle que Montpellier avait avec ses voisins, et notamment avec les communes littorales, pour des raisons politico-partisanes, auxquelles se sont superposés des enjeux géopolitiques : les communes littorales considéraient Montpellier comme un territoire hégémonique voulant étendre sa domination, et en retour Montpellier considérait que les communes voisines avaient une manne financière liée au tourisme qu'elles voulaient garder pour elles. Cette méfiance réciproque a été très forte du temps de Georges Frêche mais aussi du temps de Philippe Saurel... Depuis l'arrivée de Michaël Delafosse en 2020, on sent un apaisement, un changement d'ambiance assez nette, avec une idée de partenariat et l'ambition de faire les choses ensemble, dans une symétrie entre Montpellier et les collectivités littorales.

Vous listez trois défis de gouvernance pour la Métropole de Montpellier : quels sont-ils ?

Tout d'abord, repenser les solidarités interterritoriales : c'est un défi important car aucun territoire ne parviendra à gérer correctement ses risques seul dans son coin. La gouvernance sera donc interterritoriale ou ne sera pas. Quand on fait de la recomposition spatiale, on regarde comment les territoires peuvent créer des solidarités, des formes de spécialisations spatiales, quel nouveau type de tourisme, etc. Le 2e défi, c'est d'anticiper et agencer des temporalités diverses. Car les risques renvoient à plusieurs temporalités : celle à très court terme de la submersion et de ses situations d'urgence, à moyen terme de l'érosion qui est graduelle, jusqu'au long terme. La loi Climat et résilience restreint plus ou moins fortement l'urbanisation dans les zones soumises à érosion en distinguant les zones exposées à moins de 30 ans et celles exposées entre 30 et 100 ans. Et au milieu, il y a les temporalités politiques de cinq à six ans : les élus sont pris dans des injonctions contradictoires puisqu'ils doivent rendre des comptes à leurs électeurs, et en même temps, avoir une vision de long terme. Beaucoup privilégient le court terme, même s'il y en a aussi de plus en plus qui sont bien conscients de ce qui se passe sur le littoral. L'enjeu est de savoir comment faire pour agencer ces temporalités. Et la piste qu'on évoque, c'est celle du 3e défi : comment on prend les décisions pour ne pas  surexposer les élus à des risques politiques en permanence. Le 3e défi serait donc de démocratiser les choix publics, c'est à dire d'inclure une variété d'acteurs qui ne soient pas que des élus, par exemple les citoyens, le milieu associatif, les chercheurs, etc. D'autant qu'à Montpellier, il n'y a pas d'agence d'urbanisme, ce qui laisse un vide en matière d'expertise collective. On peut donc imaginer plus de démocratie participative, pourquoi pas des dispositifs comme une assemblée du long terme, une instance qui aurait un rôle de vigilance et d'interpellation. On conclut en disant qu'une preuve de maturité politique serait peut-être de stimuler un espace public d'échange pour renforcer une réflexivité permanente. Il y a un vrai enjeu à y réfléchir pour se dégager du simple court terme.

Quel rôle attribuez-vous à l'Etat ?

Le rôle de l'Etat est en effet très important. Ces question de risques sont sur du multi-niveaux : l'Etat gère notamment les solidarités nationales avec le fonds Barnier, il produit des grandes stratégies nationales, valide la cartographie réglementaire avec les fameuses zones rouges au niveau local.... A un niveau intermédiaire, les services de l'Etat ont produit une stratégie régionale de gestion intégrée du trait de côte. L'Etat et la Région interagissent beaucoup, notamment avec le Plan littoral 21.  Ils travaillent main dans la main pour décliner les stratégies nationales et régionales à l'échelle locale et avancer sur le dossier de la recomposition spatiale via des expérimentations, avec des réflexions sur comment on enrôle les collectivités, surtout les intercommunalités, dans ces politiques de gestion du littoral. En Occitanie, depuis la fusion avec Midi-Pyrénées qui n'avait pas de littoral, paradoxalement, on ne s'est jamais autant préoccupé du littoral... L'Etat cherche à être un ensemblier pour mettre de la cohérence.

Retrouver les autres volets de cette série Littoral :

Cécile Chaigneau

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