
La promesse de campagne de Michaël Delafosse, maire (PS) et président de la Métropole de Montpellier, est à sept mois de se réaliser : le 21 décembre 2023, l'ensemble des habitants de la métropole languedocienne auront un accès gratuit à tout le réseau de transports en commun du territoire (tramway, bus et bientôt bustram). Le dispositif se déploie progressivement : après la gratuité pour les habitants de la métropole les week-end opérée à partir de septembre 2020, l'offre a été étendue tous les jours depuis septembre 2021 aux moins de 18 ans et aux de plus de 65 ans.
L'édile montpelliérain conduit, du 16 au 18 mai, une délégation (Julie Frêche, vice-présidente au transport et aux mobilités actives, Loïc Messner, directeur général de TaM, et la direction des mobilités) à Tallinn, capitale de l'Estonie et, à ce jour, plus grande ville européenne à appliquer la gratuité des transports. Le dispositif est en place depuis 2013. Objectif : échanger avec Mihail Kõlvart, maire de Tallinn, et ses équipes, sur le déploiement, les enjeux et les vertus de la gratuité.
Si la configuration des villes de Montpellier et Tallinn, le calendrier ou encore le financement du dispositif diffèrent, des points communs aux deux villes jalonnent cette démarche, tant dans la décision politique que dans la façon de déployer le réseau de transports en commun et sa gratuité.
A l'origine, la crise économique
Tallinn, par ailleurs Capitale verte de l'Europe pour 2023, compte 446.000 habitants, avec une population à nouveau en croissance depuis 2017 (due à une immigration de pays voisins et au retour d'Estoniens dans leur pays) et une estimation de 50.000 à 90.000 habitants supplémentaires à horizon 2050. La métropole de Montpellier, quant à elle, aligne les 500.000 habitants, avec une courbe démographique qui grimpe régulièrement et des projections de 700.000 habitants d'ici à 2050.
Le réseau de transports de Tallinn compte quatre lignes de tramway, soit 65 tramways en circulation mais aussi 46 bustram et 572 bus, ainsi que cinq dépôts. La ville est en train de construire la 5e ligne de tramway, comme à Montpellier.
Mais dans cet ancien état de l'URSS, où l'ère post-communiste s'est notamment matérialisée par la volonté d'acquérir sa propre voiture, le déploiement de la gratuité des transports n'a pas été un long fleuve tranquille.
Si le maire de Montpellier a inscrit la gratuité des transports en commun dans une démarche sociale et écologique, les origines de ce choix politique à Tallinn - une ville qui ne connaît ni congestion automobile ni pollution de l'air (ni ZFE) - sont à rechercher du côté de la crise économique de 2008.
« Il y a dix ans, nous avons affronté une importante crise économique et la gratuité des transports est apparue comme un outil social pour soutenir le pouvoir d'achat », explique Mihail Kõlvart.
Des tramways volontairement rétro
La réponse politique a trouvé un écho favorable chez les habitants qui, interrogés via un référendum, se sont prononcés à 75% favorables.
« Les points d'inquiétude exprimés portaient sur la crainte que la qualité du service pâtissent de la gratuité, qu'il y ait trop de monde dans les bus et les tramways, ou que des sans-abri dorment dans les bus et tramways, alors qu'il y a peu de sans abri à Tallinn, précise Grigori Parfjonov, responsable Mobilités de la ville de Tallinn et président de TLT, le gestionnaire du réseau. La première chose que nous avons faite, ce sont donc des investissements massifs dans les matériels et la flotte de véhicules, avec la création d'un nouveau dépôt. Nous avons aussi fait un benchmark sur le choix de l'énergie pour alimenter les bustram, car nous n'avions pas les moyens de nous tromper... Sur le design des tramways, on a découvert que la population aimait le côté rétro donc nous avons commandé des rames neuves mais avec un habillage rétro sur la base d'anciens tramways slovaques. »
A Montpellier, la Métropole a passé commande de 77 rames neuves au constructeur espagnol CAF (qui seront construites dans l'usine du groupe à Bagnères-de-Bigorre dans les Hautes-Pyrénées) afin de couvrir les besoins liés au renouvellement du matériel roulant de la ligne 1, à la future ligne 5 de tramway, mais aussi à la hausse de la fréquentation associée à la gratuité des transports.
Plus d'habitants, plus de recettes
« Les opposants au projet pointaient un gouffre financier, mais comme le budget de la ville évolue avec la population, la part consacrée à la gratuité des transports reste entre 10 à 15% du budget global, avec un coût de 0,54 euros par voyageur », explique Grigori Parfjonov.
Si en France, les transports en commun sont financés par le versement mobilité opéré par les entreprises d'un territoire, il en va tout autrement en Estonie, comme le rappelle le maire de Tallinn : « Chez nous, les transports sont financés par une taxe, transférée par l'Etat, sur l'impôt sur le revenu en fonction du nombre d'habitants, donc quand nous avons mis en place la gratuité des transports, comme elle était réservée aux habitants de Tallinn, beaucoup de gens sont venus s'inscrire sur les listes électorales de Tallinn, notamment ceux qui étaient partis vivre en banlieue, ce qui a généré des recettes supplémentaires pour financer la gratuité ».
Le gain pour les habitants est de 18 euros par mois, le montant de l'abonnement mensuel avant la gratuité.
Plus de voitures mais hausse du report modal
Les résultats de la gratuité ne se sont pas fait attendre à Tallinn : la fréquentation des bus et tramways a bondi de 6,5% dès la première année, en 2013, et continue d'augmenter régulièrement, de 0,7 à 1,3% par an. D'autant que l'attractivité du dispositif de gratuité a été amplifiée par des conventions passées entre la ville de Tallinn et l'Etat portant sur le passage à la gratuité du réseau de RER pour les habitants de Tallinn dans les limites géographiques de la ville.
« La fréquentation des RER a augmenté régulièrement, pour monter à près de 3 millions de personnes en 2019 contre 400.000 en 2013, ce qui correspond à un report modal de la voiture vers les transports en commun », précise Grigori Parfjonov.
Le report modal de la voiture vers les transports en commun est une réalité, même si les voitures sont très peu chères à l'achat (300 euros), qu'il n'y a pas de taxes sur les carburants, et que les assurances-auto sont peu onéreuses (moins de 10 euros par mois).
« Entre 2012 et 2015, il y a eu une forte augmentation de population et donc de voitures, mais le trafic voiture a quand même baissé de 4% et continuent de baisser malgré cette croissance démographique », indique Grigori Parfjonov.
La gratuité des transports constitue toutefois un argument et un outil écologique.
« Le nombre de gens qui aujourd'hui prennent les transports en commun a recommencé à augmenter après le Covid, en raison de la crise de l'énergie et de l'augmentation du coût de l'essence, et l'enjeu pour nous maintenant est de stabiliser ces nouveaux usagers, déclare le maire de Tallinn. Ça passera par un réseau plus performant, ce que nous sommes en train de faire, et par un changement des mentalités et la prise de conscience de l'urgence écologique à moins utiliser la voiture. Et déjà aujourd'hui, les gens qui utilisent les transports ne retourneront pas à la voiture. »
Enfin, la gratuité des transports s'avère un outil d'attractivité intéressant pour les habitants mais aussi pour les entreprises : « Pour leur image, c'est bien d'avoir leur siège social dans une ville verte où les transports sont gratuits », affirme Grigori Parfjonov.
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