« La gratuité des transports est une mesure écologique et de pouvoir d'achat » (Michaël Delafosse, Métropole de Montpellier)

INTERVIEW – La Métropole de Montpellier entre dans la dernière ligne droite du plein déploiement de la gratuité des transports publics pour ses habitants. Michaël Delafosse, le président de la Métropole, était à Tallinn, capitale de l’Estonie, du 16 au 18 mai pour échanger avec les élus locaux qui ont mis cette mesure en place depuis 2013.
Cécile Chaigneau
Michaël Delafosse, président de la Métropole de Montpellier, et Julie Frêche, vice-présidente au transport et aux mobilités actives, était en déplacement à Tallinn, capitale de l'Estonie, du 16 au 18 mai sur la thématique de la gratuité des transports.
Michaël Delafosse, président de la Métropole de Montpellier, et Julie Frêche, vice-présidente au transport et aux mobilités actives, était en déplacement à Tallinn, capitale de l'Estonie, du 16 au 18 mai sur la thématique de la gratuité des transports. (Crédits : DR)

Dans le cadre du déploiement de la mesure de gratuité des transport, qui sera pleinement mise en œuvre le 21 décembre prochain, Michaël Delafosse*, maire de Montpellier et président de Montpellier Méditerranée Métropole, accompagné notamment de Julie Frêche, vice-présidente au transport et aux mobilités actives, conduisait, du 16 au 18 mai, une  délégation à Tallinn, capitale de l'Estonie et, à ce jour, plus grande ville européenne à appliquer la gratuité des transports. Le dispositif est en place depuis 2013. Objectif : échanger avec Mihail Kõlvart, maire de Tallinn, et ses équipes, sur le déploiement, les enjeux et les vertus d'une politique publique de gratuité des transports.

Lire aussiGratuité des transports : Montpellier et Tallinn (Estonie), même combat !

LA TRIBUNE - Comment et quand vous est venue cette idée de la gratuité des transports ?

Michaël DELAFOSSE - J'en parlais déjà en 2013, quand le prix de l'essence avait beaucoup augmenté, jusqu'à 2 euros le litre. Aujourd'hui dans un contexte d'inflation, c'est une mesure de pouvoir d'achat et une mesure écologique... Mais pour l'anecdote, quand j'étais étudiant et que je militais à l'UNEF-ID, nous avions organisé une opération qui consistait à entourer de chatertone tous les distributeurs de billets de bus de la ville de Montpellier pour revendiquer la gratuité des transports pour les étudiants. A cette époque, Georges Frêche était maire de la ville et il avait peu apprécié !

Vous venez de rendre visite au maire de Tallinn, une ville qui a instauré la gratuité des transports depuis 2013. Qu'est-ce qui vous a marqué dans cette expérience estonienne ?

La ville de Tallinn connaît aujourd'hui une croissance de sa population et donc du nombre de voitures, et pourtant, elle a enregistré une diminution de 4% du trafic automobile (entre 2012 et 2015, alors que la population augmentait d'environ 7%, NDLR). Ce report modal de la voiture vers les transports prouve bien que la mesure de gratuité intéresse les gens financièrement. A Montpellier, c'est 6.000 voitures de plus par an sur la métropole ! Il y avait donc nécessité à trouver des solutions comme le développement du vélo ou la gratuité des transports.

Michaël Delafosse et Julie Frêche dans le bureau du maire de Tallinn, le 16 mai 2023.

Michaël Delafosse et Julie Frêche dans le bureau du maire de Tallinn, le 16 mai 2023.

Quelle est la mesure accompagnant le déploiement de la gratuité des transports à Tallinn qui vous semble la plus intéressante ?

La collecte de la data via le titre de transport (l'Estonie est très en avance dans la transition numérique, notamment sur l'identité numérique, les démarches administratives ou la collecte de datas, NDLR). Elle permet le pilotage en temps réel du nombre de voyageurs et un meilleur suivi de la fréquentation, notamment sur les trajets domicile-travail. Elle permet aussi l'amélioration de la qualité de service et une meilleure optimisation du réseau. Quand on est gestionnaire d'un réseau public, on a à cœur qu'il transporte le plus de monde possible. A Montpellier, nous avons fait le choix d'utiliser une application, M Ticket, qui englobe la gratuité, le stationnement, l'accès à des box vélo et demain les informations de retards sur le réseau. L'autre mesure intéressante, qui est un sujet à venir pour nous, c'est l'intermodalité par rapport aux autres opérateurs de transports en commun (la ville de Tallinn a conventionné avec l'Etat pour rendre gratuit, sur son périmètre, l'accès aux RER qui irriguent la ville, augmentant leur fréquentation de 400.000 en 2013 à 3 millions en 2019, NDLR). La métropole de Montpellier compte 31 communes et un million d'habitants sur son aire urbaine : cette mesure pourrait se discuter avec la Région Occitanie sur les TER. C'est un des sujets possibles à explorer.

La gratuité des transports nécessite d'importants investissements sur le réseau, comme on l'a vu à Tallinn...

Comme l'a expliqué le maire de Tallinn, la gratuité ne suffit pas, il faut l'adosser à une offre de qualité pour favoriser encore plus le report modal de la voiture vers les bus ou les tramways. A Montpellier, rien n'avait été anticipé et, par exemple, la ligne 5 avait été lancée mais rien n'a été enclenché, et cette inaction a engendré un surcoût de 70 millions d'euros ! Le 3e dépôt, indispensable pour accompagner ce redimensionnement du réseau, n'avait pas été anticipé, ce que nous venons d'acter. Avant, un tramway déraillait tous les mois en raison d'un sous-investissement sur le réseau et aujourd'hui, nous n'avons pas de marge de manœuvre sur le remplacement des rames de tramway si l'une d'elles a un problème. C'est la raison pour laquelle la Métropole a commandé 77 rames (pour couvrir les besoins liés au renouvellement du matériel roulant de la ligne 1, à la future ligne 5 et à la hausse de la fréquentation associée à la gratuité des transports, NDLR). On améliore l'offre de tramway, de bus et bientôt on crée un réseau de bustram. Enfin, on crée une importante police des transports pour que les gens aient le sentiment que leur réseau est sûr.

La ville de Tallinn finance la gratuité des transports par une part de l'impôt sur le revenu, reversé par l'Etat. Le mécanisme, qui est différent à Montpellier, permet-il de garantir la pérennité du financement de la mesure de gratuité sur le long terme ?

En effet, la gratuité est financée, à Montpellier, par les entreprises (de plus de dix salariés, NDLR) implantées sur le territoire via le versement mobilité. Notre priorité est donc d'avoir une dynamique de ce versement mobilité : plus on accueille des entreprises, plus il est important. En 2019, il représentait 93 millions d'euros, et aujourd'hui, 107 millions d'euros. C'est notamment grâce aux stratégies de soutien de filières mises en place par la Métropole, et c'est aussi la raison pour laquelle la future agence de développement économique sera une agence d'accélération du développement des entreprises pour les faire croître... La gratuité des transports représentera 6% du budget de la Métropole, quand elle représente entre 10 et 15% du budget de la ville de Tallinn. En 2023, la Métropole de Montpellier aura un meilleur autofinancement qu'en 2019 alors qu'on a déjà déployé deux étapes de gratuité. Montpellier n'est pas une métropole en déclin entrepreneuriale et la dynamique fiscale qui finance le transport se porte très bien ! Les chefs d'entreprises voient d'ailleurs la gratuité des transports d'un bon œil car c'est une aide au pouvoir d'achat pour les salariés... Il faut aussi préciser que la billettique continuera de rapporter. Tallinn enregistre 6 millions d'euros de recettes tickets, notamment par les gens qui arrivent de son aéroport. Montpellier est une ville touristique qui a enregistré 5 millions de nuitées en 2019, et des recettes conséquentes sur la part non-métropolitaine proviendront donc des touristes. Par ailleurs, nous ferons des économies sur la suppression de bon nombre de distributeurs de billets... On tient notre équation !

Au vu du contexte économique, social ou énergétique, comment ces expériences de gratuité des transports résonnent-elles ?

La gratuité des transports, ça touche au quotidien, ça change la vie des gens et ça change la ville. Dunkerque a fait ce même choix de rupture. La ville d'Heidelberg, inspirée par Montpellier (les deux villes sont jumelées, NDLR), instaure un forfait à 3 euros par mois. L'Allemagne vient de lancer l'abonnement mensuel à 49 euros qui permet de voyager en illimité sur les bus, métros et trains régionaux dans tout le pays. Et le 21 décembre 2023 à Montpellier, l'ensemble des transports en commun sera gratuit pour tous les habitants de la métropole, et nous deviendrons le plus grand réseau gratuit en Europe... La gratuité des transports, c'est l'idée de la décennie ! C'est le sens de l'histoire. On change de paradigme, et vous verrez qu'en 2026 (au moment des élections municipales, NDLR), ce sera un sujet national et tout le monde voudra le faire ! Pas d'écologie sans social, et plus de social sans écologie. La gratuité est une vraie mesure aussi pour les classes moyennes qui sont exclues des tarifications sociales. Elle relève de l'universalité, c'est le retour au consentement à l'impôt : on paie des impôts mais on reçoit aussi.

* Ce déplacement était également l'occasion, pour Michaël Delafosse, de rencontrer l'ambassadeur de France à Tallinn et, dans le cadre de la candidature de Montpellier Capitale européenne de la culture 2028, de se rendre dans la ville estonienne de Tartu, Capitale européenne de la culture 2024.

Julie Frêche : « Pas de dogmatisme pour limiter la voiture, mais on est à l'embolie ! »

Julie Frêche, vice-présidente de Montpellier Méditerranée Métropole, en charge du transport et des mobilités actives, était elle aussi en déplacement à Tallinn pour observer les modalités de déploiement de la gratuité des transports.

Report modal : la preuve

« Les opposants à la gratuité disent qu'elle ne favorise pas le report de la voiture vers le tramway. Tallinn prouve que c'est faux : la ville n'a pas de problème de congestion automobile, ni de pollution de l'air, l'achat d'une voiture coûte six fois moins cher qu'en France, l'essence est moins cher. Malgré l'absence de contraintes, la mise en place de la gratuité favorise un report de la voiture vers les transports publics. C'est très encourageant. »

Gouvernance et transports

« La question de la gratuité des transports peut dépasser aujourd'hui les collectivités territoriales dans la mesure où il y a un éclatement de la gouvernance transports, notamment quand les gens se déplacent vers la métropole en habitant hors métropole. Ce sujet interroge la dissociation entre le périmètre administratif des métropoles et le territoire vécu par les gens, et c'est là que l'Etat devrait soutenir une dynamique d'innovation en facilitant la convention entre chaque autorité de transport. Or il est absent sur ces questions. »

Intermodalité

« On voit dans toutes les villes qui instaurent la gratuité qu'elle ne se fait jamais sans augmentation de l'offre de transports. A Montpellier, on fait aussi un nouveau plan de circulation anti-transit, pas par dogmatisme pour limiter la place de la voiture mais parce que ça ne fonctionne plus, on est à l'embolie ! On déploie aussi un plan vélo, et contrairement à ce qu'on croit, les associations de cyclistes ne sont pas contre la gratuité car elles considèrent que tout ce qui participera à réduire l'usage de la voiture favorisera l'intermodalité. »

Cécile Chaigneau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 20/05/2023 à 8:27
Signaler
C'est la gauche ou tout est gratuit en oubliant de dire que derrière quelqu'un paye ou alors on s'endette, les politiques se font mousser avec cette démagogie ou rien ne coûte et on rend les gens irresponsables. Plus de 50% des ménages ne paient pas ...

à écrit le 19/05/2023 à 20:24
Signaler
C’est à l’usager de payer pas au contribuable

le 20/05/2023 à 14:44
Signaler
oui !

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.