Politique logement : « L’Etat continue à mettre des emplâtres sur une jambe de bois » (Marc Pigeon)

INTERVIEW – Marc Pigeon, le fondateur de la société montpelliéraine de promotion immobilière Roxim, également président de Build Europe et ancien président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers, observe avec circonspection et critique les solutions proposées par l’Etat pour sortir le secteur du logement de l’impasse. Alors que les conclusions du Conseil national de la refondation sur le volet logement sont attendues d’ici peu, le dirigeant s’agace d’un manque de hauteur de vue…
Cécile Chaigneau
Marc Pigeon, président de la société montpelliéraine de promotion immobilière Roxim, président de Build Europe (union européenne des promoteurs immobiliers) et ancien président de la Fédération des promoteurs immobiliers.
Marc Pigeon, président de la société montpelliéraine de promotion immobilière Roxim, président de Build Europe (union européenne des promoteurs immobiliers) et ancien président de la Fédération des promoteurs immobiliers. (Crédits : Roxim)

LA TRIBUNE - Pour sortir les promoteurs immobiliers et les bailleurs sociaux de l'impasse, le gouvernement mobilise la Caisse des Dépôts qui vient de leur commander 17.000 logements neufs pour 3,5 milliards d'euros... Une mesure que vous critiquez. Pourquoi ?

Marc PIGEON, président de la société montpelliéraine de promotion immobilière Roxim, président de Build Europe (union européenne des promoteurs immobiliers) et ancien président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) - D'abord, rappelons que la crise immobilière actuelle est liée au décalage entre les prix de l'immobilier et les revenus des ménages. Ce décalage a quatre raisons  : la hausse des taux d'intérêt, la hausse des coûts de construction - matériaux, énergie, salaires, réglementation -, la péréquation pour le logement social et la hausse des prix du foncier... L'objectif de cette opération, c'est de sauver les stocks des promoteurs immobiliers. Dans un premier temps, il est prévu que la Caisse des dépôts les loue pour du locatif intermédiaire, mais elle ne s'engage pas à les garder ad vitam aeternam et pourra un jour les revendre avec une plus-value. Quand j'étais président de la FPI, Nicolas Sarkozy avait fait la même chose et les promoteurs s'étaient offusqués d'avoir été spoliés, oubliant au passage que ça les avait sauvés... Ainsi l'argent de la Caisse des Dépôts va être utilisé pour sauver ceux qui ont conçu des programmes en décalage avec une demande solvable. La méthode gouvernementale actuelle étant aux chèques pour étouffer les revendications, on fait un chèque ! Je ne critique pas la profession de la promotion immobilière, mais la politique : cette opération ne solutionnera qu'un problème immédiat et évitera à la profession de sombrer, mais elle ne règle pas un problème de fond, alors qu'avec le ZAN (zéro artificialisation nette, NDLR) notamment, il n'y a pas de doute que les prix du foncier et donc des logements vont continuer d'augmenter.

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Vous sous-entendez donc que l'Etat choisit une solution de court-terme au détriment d'une réflexion qui examinerait en profondeur les raisons de la crise, et notamment de ce décalage entre le coût du logement et les moyens des ménages ?

On ne tire pas leçon du passé... L'État, une nouvelle fois, manque une occasion de faire des réformes de fond sur le sujet du logement et continue à mettre des emplâtres sur une jambe de bois ! On va faire des chèques non plus aux citoyens, mais aux pyromanes. Ainsi, l'Etat incite même indirectement certains dans la profession de l'immobilier à continuer de pratiquer la surenchère foncière au détriment des besoins en logements abordables de nos concitoyens. Car ce sont les promoteurs qui proposent aux vendeurs les prix d'achat de leurs terrains. Ce sont donc les promoteurs qui font le marché. Ils participent donc à cette augmentation des prix. Les opérateurs publics, comme la SERM à Montpellier, qui ont suffisamment de terrains, peuvent se permettre de ne pas vendre trop cher, encore qu'aujourd'hui, les collectivités ont des problèmes de budget et vendent de plus en plus au plus offrant, s'inscrivant aussi dans cette spirale d'augmentation foncière. Quand vous êtes promoteurs, si vous êtes raisonnables, vous refusez d'acheter un terrain à un prix trop élevé mais à un moment, chacun a une entreprise à faire tourner donc s'il veut travailler et se développer, il est obliger de participer à la démarche. Chez Roxim, on essaie d'être le plus "sages" possible mais bien des terrains nous passent sous le nez...

Où est la solution, selon vous ?

Comme disait Sénèque, « il n'y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va »... Il faut réfléchir aménagement du territoire. En dehors des métropoles, où se situe logiquement la majorité de la demande en logements, il y a des villes qu'on laisse mourir ! Qu'on investisse dans les infrastructures et les équipements, et puisqu'on parle de réindustrialisation, qu'on fasse venir les entreprises sur ces territoires, et du coup, on fera venir des gens et on fera des logements à des prix compatibles avec leurs revenus... Pour ça, on a besoin de financements publics et de financements privés, alors qu'aujourd'hui, chacun joue dans son coin, par exemple les promoteurs d'un côté, les bailleurs sociaux de l'autre. Il faut s'y mettre tous plutôt que se tirer dans les pattes ! On a besoin de réfléchir en termes d'ingénierie et de financement.

Justement, il existe des outils comme les organismes de foncier solidaire (OFS) et le bail réel solidaire (BRS)...

Les  OFS et le BRS, c'est super ! D'ailleurs, la loi dit qu'ils sont ouverts aux investisseurs publics et privés. Mais il faut une autorisation préfectorale, or elle est toujours refusée aux privés. Il existe des solutions, si on veut, mais il faut réfléchir à une cohérence globale !

La CPME a rencontré la Première ministre le 22 mai dernier, et a fait des préconisation en matière de politique de logement, comme la réduction des délais de délivrance des permis de construire, ou le versement d'une partie de la TVA aux maires qui acceptent de démolir pour reconstruire. Qu'en pensez-vous ?

Réduire les délais de délivrance des permis de construire, ça ne veut rien dire. On l'a déjà fait quand j'étais président de la FPI, mais la plupart des grandes métropole ont rallongé les délais des pré-instructions donc on est revenu au point de départ...  Créer un régime de droit de mutation différent pour la première acquisition d'un logement à titre d'habitation principale, pourquoi pas. Quant à verser de la TVA aux maires, tout le monde le propose mais dans quelle politique générale ça s'inscrit ? La mise en place d'un système qui détermine le nombre de logements nécessaires sur une commune en fonction du nombre d'emplois, ça me paraît indispensable et ça s'inscrit dans une réflexion globale. Car encore une fois, toutes ces mesures, c'est bien mais il faut au préalable prendre de la hauteur. Le logement est le premier poste de dépenses des ménages, c'est prioritaire. On est au bord d'une crise sociale mondiale !

Qu'espérez-vous du Conseil National de la Refondation sur le volet logement ?

J'ai lu les conclusions. Il y a des mesures. Mais pas de politique générale ! Quelle est la ligne directrice ? Avec quel argent ? Les métropoles continuent-elles de faire chacune dans leur coin ? Continue-t-on de faire des logements là où il n'y a pas d'emploi ? Il faut regarder loin alors qu'on fait du court terme partout. C'est quoi, la colonne vertébrale ?

On parle là de politique logement de la France, mais quelle va être votre prochaine action avec votre casquette de Build Europe ?

Le problème du logement abordable est le même dans toute l'Europe mais aussi aux Etats-Unis, au Canada ou au Japon. Le G7 des ministres du développement urbain aura lieu le 9 juillet prochain, à Takamatsu (Japon, NDLR). Quelques jours avant, le 5 juillet, Build Europe donnera une conférence de presse pour faire un état des lieux du logement abordable et donner trois ou quatre pistes vers lesquelles orienter les politiques publiques du logement pour éviter la catastrophe sociale.

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Cécile Chaigneau

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