La Chambre régionale des comptes tacle la gestion RH de la Ville de Montpellier

Intrigué par le volume de la masse salariale, en augmentation de 12 millions d’euros sur les seules années 2020 et 2021, le gendarme des comptes publics s’est penché sur la gestion des ressources humaines de la Ville de Montpellier (3.700 agents) entre 2015 et 2021. Vingt-et-une recommandations ont été formulées. Quelques-unes ont d’ores et déjà été mises en œuvre. Alors que le rapport définitif était présenté au conseil municipal ce lundi 5 juin, le maire (PS) Michaël Delafosse, en poste depuis juillet 2020, répond à la Chambre régionale des comptes.
Cécile Chaigneau
La Ville de Montpellier (photo : hôtel de ville) emploie un peu plus de 3.700 agents municipaux.
La Ville de Montpellier (photo : hôtel de ville) emploie un peu plus de 3.700 agents municipaux. (Crédits : Ville et Métropole de Montpellier)

Associée à la métropole et au CCAS, la ville est, après le centre hospitalier de Montpellier, le deuxième employeur local. Elle compte 3.710 agents, et la masse salariale de la Ville est de 180 millions d'euros en 2021, mobilisant plus de 77% de ses ressources fiscales propres.

« On s'est intéressé à la question des ressources humaines de la Ville de Montpellier car dans autre rapport, en 2020, sur la situation financière de la commune, on s'est aperçu que les dépenses de personnels occupaient une grande place, plus grande que dans d'autres communes. Et elles ont beaucoup augmenté : avec une masse salariale de 180 millions d'euros en 2021, c'est 18 millions d'euros de plus par rapport à 2015 et même près de 12 millions d'euros supplémentaires sur les seules années 2020-2021. »

C'est ainsi que Valérie Renet, la présidente de la Chambre régionale des comptes (CRC) d'Occitanie explique l'intérêt du gendarme des finances publiques pour la gestion des ressources humaines de la Ville de Montpellier entre 2015 et 2021. Elle met toutefois en garde de ne pas jeter de discrédit sur les agents municipaux de Montpellier : « Le problème, c'est le pilotage », martèle-t-elle.

Un fort absentéisme

L'instruction du dossier s'est terminée en mars 2022 et le dialogue contradictoire entre la CRC et la Ville de Montpellier en mars 2023. Le rapport définitif était présenté au conseil municipal ce lundi 5 juin.

Portant sur la période allant de 2015 à 2021, il analyse des données relevant majoritairement de la mandature de Philippe Saurel, qui avait commencé en 2014, et un peu sur celle de son successeur Michaël Delafosse, qui a débuté en juillet 2020.

Pour résumer les points saillants de son rapport, la Chambre régionale des comptes pointe une gestion des RH « défaillante », « quelques irrégularités » et « une origine ancienne à ses défaillances, c'est à dire un mode de gestion ancien qui s'est poursuivi ».

« L'augmentation de masse salariale s'explique par un problème de non-présence au travail avec deux points principaux : un absentéisme fort, soit 44 jours par agent et par an, et 297 agents sans affectation fin 2021, des situations individuelles non résolues au fil des années, détaille la présidente de la CRC. Du coup, pour assurer ses missions de service public, la collectivité est obligée de recruter, notamment beaucoup de contractuels... »

Le rapport évalue « au minimum à 10,8 millions d'euros » le coût annuel de ces agents non affectés, et à 37 millions d'euros par an le coût global du temps de travail altéré (durée du temps de travail, absentéisme et absence d'affectation).

Autre problème relevé par la CRC : le trop grand nombre de collaborateurs (un nombre encadré par la loi) rattachés au cabinet du maire.

« Le cabinet compte 14 collaborateurs Ville et Métropole, mais 220 agents sont rattachés au directeur de cabinet, et nous avons relevé un problème sur leurs fonctions, avec des missions, politiques ou administratives, dont la nature apparaît floue et donc une action qui excède les missions traditionnellement dévolues au cabinet d'une collectivité, indique Valérie Renet. Cette situation, là aussi, perdure depuis de nombreuses années. »

« Des problèmes qui s'auto-entretiennent »

La CRC conclut à une faiblesse des outils de gestion et de pilotage, notamment sur des données essentielles comme les effectifs réels, ainsi que des données RH insuffisamment fiabilisées.

La présidente de la CRC résume ainsi la situation : « Ce sont des problèmes de gestion qui s'auto-entretiennent les uns les autres dans le temps : une absence de données fiables, des recrutements qui ne sont pas optimisés avec notamment des recrutements de contractuels qui sont ensuite titularisés et un assez faible recours aux agents titulaires et au mécanisme de mobilité interne - ce qui constitue une atteinte aux règles de recrutement et un problème d'accès égal aux emplois publics -, et des personnels qui restent longtemps sur des postes difficiles, ce qui alimente l'absentéisme ».

La CRC a formulé 21 recommandations mais elle indique que « l'ordonnateur a engagé, depuis le contrôle de la chambre, plusieurs réformes structurantes » et que « certaines sont d'ores et déjà en voie de finalisation notamment en matière de temps de travail, de rémunération, et d'organisation des services ».

« Une situation héritée du passé »

Dans ses réponses, le maire actuel, Michaël Delafosse, évoque à plusieurs reprises « une situation héritée du passé » et ne manque pas de rappeler que son mandat a démarré en pleine crise Covid.

« Nous avions parfaitement conscience des graves manquements sur la gestion des ressources humaines, c'est pourquoi dès notre arrivée, nous avons agi pour conduire les transformations indispensables », écrit-il dans un courrier adressé à la CRC le 1e mars 2023.

Et il liste : recrutement d'un nouveau DGS, refonte complète de l'organigramme, réorganisation complète des services « qui s'est traduite par un passage de 70 directeurs à 20 responsables de pôles animés par trois directeurs généraux délégués ». L'élu assume le recours à de nombreux contractuels afin de maintenir ouverts les services publics durant la crise sanitaire.

« Nous nous sommes également employés à respecter précisément la réglementation du temps de travail, enfin, en appliquant les 1.607 heures, écrit le maire. Cette évolution s'est accompagnée d'une prime d'intéressement collectif d'un montant annuel de 300 euros et d'une revalorisation des salaires les plus modestes. »

L'édile répond également à la question de l'absentéisme, pointant au passage « des manquements de responsabilités et l'absence de gestion de cette problématique » chez l'exécutif précédemment en place : « J'ai souhaité faire délibérer un plan de prévention et de lutte structuré autour de trois orientations fortes : comprendre les causes et responsabiliser chaque acteur, prévenir et renforcer la qualité de vie et les conditions de travail, contrôler et sanctionner les abus dans un souci d'équité entre agents ».

Sur le trop grand nombre de services rattachés au cabinet, l'édile indique, le 1er mars dernier, qu'« immédiatement, nous avons engagé les démarches pour un rattachement à l'administration qui est sur le point d'être opérationnel ».

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Non affectations : « une trentaine de situations complexes »

La mise en œuvre de la recommandation portant sur l'accompagnement des agents sans affectation est en cours. La Ville précise toutefois que « sur ces 297 agents, 273 sont des agents Ville et 24 d'entre eux sont des agents Métropole », et que parmi eux, figurent « 192 agents en cours d'accompagnement, et 105 agents en arrêt long donc bien affectés sur des postes mais pas présents ». La collectivité estime donc faire face « à une trentaine de situations individuelles complexes, dont l'accompagnement à l'emploi ou vers des dispositifs hors collectivité n'a pas abouti à ce stade ». 


Deux recommandations se sont vues opposer un refus de mise en œuvre de la part de la collectivité : régulariser les modalités de versement des compléments indemnitaires des chauffeurs, et arrêter un schéma de mutualisation actualisé entre les services de la Ville et ceux de la Métropole.

Sur ce dernier point, facultatif du point de vue réglementaire, la CRC souligne que « la mutualisation avec la métropole a connu un essoufflement dès 2018 et s'est souvent limitée à la juxtaposition de services aux missions proches mais travaillant en silo sous l'autorité d'une direction mutualisée », ajoutant toutefois que « la volonté affichée par le nouvel ordonnateur (le maire actuel, NDLR) de revoir l'organisation de ses services a aujourd'hui quasiment trouvé son point d'aboutissement, la crise sanitaire ayant retardé son déploiement ».

« C'est l'aboutissement de toutes les mutualisations jugées opportunes qui justifie aujourd'hui le refus de mise en œuvre par la Ville d'un schéma de mutualisation actualisé : il n'y pas lieu de dresser un état des lieux global d'avancement d'un projet quand celui-ci est achevé », répond la Ville, ajoutant que « l'absence de schéma n'a pas empêché la mutualisation d'aboutir ».

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« Des chantiers trop souvent mis sous le tapis »

« Je partage les conclusions du contrôle mené par la chambre régionale des comptes qui pointe le travail titanesque qu'il nous fallait établir (...), conclut Michaël Delafosse dans son courrier du 1er mars. Je souligne qu'à beaucoup d'égards, je n'aurais pas souhaité, en ma qualité de maire, devoir consacrer autant d'énergie et de moyens pour engager ces chantiers qui ont été trop souvent mis sous le tapis ou fait l'objet d'un traitement bien trop léger par le passé. »

Au moment de la rédaction du rapport définitif, six recommandations étaient considérées totalement mises en œuvre, « treize aujourd'hui », annonce Michel Aslanian, adjoint au maire délégué aux finances communales et aux ressources humaines, lors du conseil municipal du 5 juin, « et six en cours de mise en œuvre », ajoute-t-il.

« Ce rapport est une alerte pour la collectivité mais on part de très loin, commente-t-il lors du conseil municipal. Il donne un état de fait compliqué mais qui nous oblige, c'est un travail de fonds qui nous donne une feuille de route. »

Michaël Delafosse, peu prolixe sur ce sujet qui arrivait à la toute fin du conseil municipal, admet que « le niveau du taux d'absentéisme est anormalement élevé, parmi les plus élevés des collectivités ». En décembre 2022, la Métropole de Montpellier a voté un plan de prévention et de lutte contre l'absentéisme de ses agents, adoptant notamment une mesure de réduction des primes des salariés à partir du onzième jour d'arrêt-maladie. L'élu indique aujourd'hui qu'« il y aura une discussion avec les organisations syndicales (farouchement opposées à cette mesure, NDLR) en juillet sur les jours de carence ».

Après un tel rapport, quel suivi sera effectué par le gendarme des comptes publics sur ce dossier de la gestion des RH de la Ville de Montpellier ?

« Un an après le rapport définitif, la collectivité doit nous envoyer une délibération actant de ce qu'ils ont fait de nos recommandations, répond Valérie Renet. Et une fois par an, nous établissons un suivi de l'ensemble des recommandations de tous les rapports. Nous pouvons ainsi décider de revenir sur le sujet... »

A venir, des évaluations de la politique de rénovation énergétique des bâtiments

Outre leur mission première de contrôle de régularité et de gestion des finances publiques, les Chambres régionales des comptes ont, depuis janvier 2023, une nouvelle mission : l'évaluation des politiques publiques.

« En accord avec la présidente de Région Carole Delga, nous nous sommes engagés sur une évaluation de la politique de rénovation énergétique des bâtiments, elle se fera dans un délai d'un an, annonce Valérie Renet, en marge de la conférence où elle présente le rapport sur la gestion des ressources humaines de la Ville de Montpellier. Pour début 2024, nous travaillerons à l'évaluation de l'adaptation des acteurs du tourisme au changement climatique, notamment en montagne, et dans le cadre d'une enquête thématique à la prise en compte des risques naturels sur le littoral dans l'aménagement du territoire. Enfin, nous prévoyons une évaluation de la gestion des clubs de rugby professionnels en Occitanie. »

Cécile Chaigneau

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