Unique en France, la Cinémathèque de Toulouse sollicite les entreprises

Franck Loiret a été nommé le 23 juin dernier directeur délégué de la Cinémathèque de Toulouse, succédant ainsi à Natacha Laurent. À 46 ans, celui qui était jusqu'alors directeur administratif et financier de la Cinémathèque prend les rênes d'une institution qui vit plusieurs bouleversements. Premier défi : trouver de nouvelles sources de financements. Pour rappel, la Mairie de Toulouse a diminué le budget alloué à la Cinémathèque de 9,5 %. Pour que la Cinémathèque ne devienne pas "un musée", Franck Loiret multiplie les actions. Interview.
Franck Loiret, nouveau directeur délégué de la Cinémathèque de Toulouse

La Cinémathèque de Toulouse est une institution reconnue dans le milieu du cinéma, mais paradoxalement peu connue des Toulousains, pour quelle raison ?
C'est vrai, la Cinémathèque est un endroit unique, une institution respectée. Mais pas encore assez ouverte. Il faut que les Toulousains comprennent que ce n'est ni un musée, ni un lieu réservé aux cinéphiles ou aux élites. Nous avons développé les séances famille, juniors, sourds et malentendants. Ce travail commence à porter ses fruits.
Les archives de Balma ont un succès considérable lors des journées du patrimoine. La récente rétrospective Stanley Kubrick a rassemblé 4 524 spectateurs en 31 séances. Plus de 650 personnes n'ont malheureusement pas pu entrer en salle pour cause de séances complètes. Parmi les spectateurs, des jeunes, des lycéens qui vivent là, sur grand écran et en plein air, de vrais "chocs de cinéma". J'espère que ces émotions les feront revenir.

Cinémathèque / Franck Loiret

--> Franck Loiret devant l'affiche du film le Miroir d'Andreï Tarkovsky (©photo Rémi Benoit)

Quel est le modèle économique de la Cinémathèque ?
La Cinémathèque est une association privée qui a été créée en 1954 et qui emploie 32 personnes. Le budget est de 2,4 millions d'euros, financé à 75 % par les subventions, notamment en provenance du CNC (1 tiers), et de la Ville de Toulouse (1 tiers). Le derniers tiers est partagé entre le Conseil départemental et le Conseil régional. Les 25 % restants sont des recettes propres. Néanmoins, la Ville ayant diminué ses subventions d'environ 10%, nous devons renouveler nos sources de financement.

Comment trouver de nouvelles sources de financement ?
Nous avons déjà commencé avec la vente de produits dérivés (reproduction d'affiches par exemple), l'édition et la vente de livres mais aussi la location de salle. Étant donné qu'il n'y a pas de projection le lundi, nous mettons la salle à disposition d'entreprises qui viennent y faire des séminaires, des réunions, de l'événementiel. Cela nous permet d'obtenir des recettes supplémentaires, mais aussi d'inscrire la Cinémathèque dans un milieu économique. Les entreprises sont les financeurs de demain.

Êtes-vous un homme de réseaux ?
J'ai la chance de ne pas tout commencer de zéro et d'être identifié par le milieu économique et politique toulousain. Je suis membre de Capitolium. La Cinémathèque a trop longtemps été considérée comme une institution à part. Au contraire, il faut qu'on soit identifié par ces réseaux-là, surtout si l'on sollicite le mécénat, ce que nous serons contraints de faire si l'on ne veut pas voir la Cinémathèque vivoter et régresser. La Cinémathèque doit être en phase avec son temps et avec les milieux qui vont participer à son activité. Notre force, c'est le cinéma : c'est très fédérateur, ça intéresse tout le monde, c'est une porte d'entrée pour rencontrer des interlocuteurs et vendre ce que l'on a à vendre...

Avec le numérique, il est plus facile de valoriser les films, mais plus difficile de les conserver. Cela remet-il en cause l'existence même d'une Cinémathèque ?
La question se pose. Nous vivons un véritable bouleversement. Le numérique est un support formidable pour la valorisation des films. Il permet de les envoyer, de les diffuser très facilement. En revanche, en ce qui concerne la conservation, on ne sait pas aujourd'hui comment conserver les données numériques plus de 10 ans. La seule solution est de conserver une version pellicule, car on sait préserver une bobine 200 ou 300 ans. C'est une révolution technique, comme le cinéma en a déjà connu avec le passage au parlant et à la couleur. Aujourd'hui, nous vivons les dernières années de l'argentique. La cinémathèque du 21e siècle sera-t-elle un musée du cinéma ? Les collections vont-elle s'arrêter avec le tout numérique ? Saura-t-elle conserver les produits numériques "natifs" ? C'est un défi assez incroyable d'imaginer comment on va conserver plus tard le cinéma qui est produit actuellement.

Que pensez-vous de la ministre de la Culture Fleur Pellerin et de la politique de la France à l'égard du cinéma ?
Je n'ai pas rencontré Fleur Pellerin mais, étant donné ses fonctions précédentes (secrétaire d'État au Numérique NDLR), elle est au courant de cette évolution du numérique. Je ne sais pas si elle a pris la mesure de ce que cela signifie pour le cinéma, mais elle est au courant. Je constate néanmoins qu'il faut sans cesse expliquer... Il y a beaucoup d'idées fausses sur le numérique comme quoi ce serait une solution à tout, que tout est disponible gratuitement... Pour le cinéma, le numérique n'est pas une solution.
En ce qui concerne la politique culturelle de la France, je ne peux pas m'empêcher d'aller voir ce qu'il se passe ailleurs, et ce recul permet de constater qu'on a la chance d'avoir une forte politique culturelle en France. Le cinéma français est le plus fort du monde en termes de création. Le CNC est un modèle européen et mondial. La France est consciente de la richesse de son patrimoine.

Avez-vous des projets d'agrandissement de la Cinémathèque ?
Je présenterai en septembre prochain ma feuille de route. Il est en effet prévu d'agrandir le site de Balma. C'est un projet qui est dans les tuyaux depuis 2012. Cela permettrait de rapatrier une partie de la collection, qui est conservée dans de moins bonnes conditions sur le site de Vernet. Nous envisageons également de faire des travaux d'agrandissement du bâtiment de la rue du Taur, mais cela est compliqué (des études sont en cours NDLR).

Cinémathèque / Franck Loiret

--> Franck Loiret dans la bibliothèque de la Cinémathèque (©photo Rémi Benoit)

Retrouvez le reportage photo réalisé par La Tribune-Objectif News à la Cinémathèque de Toulouse ici.

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En savoir plus

Franck Loiret

Franck Loiret (46 ans) a effectué tout son parcours professionnel au sein d'institutions culturelles. Après avoir été comédien, en France et à l'étranger, il devient directeur adjoint du Wyndham's Theatre à Londres. Chargé de mission au Théâtre National de Toulouse, puis directeur délégué du Centre chorégraphique James Carlès, Franck Loiret rejoint la Cinémathèque de Toulouse en 2007 en tant que directeur administratif et financier.

La Cinémathèque de Toulouse

Fondée en 1964 par Raymond Borde, la Cinémathèque de Toulouse est la plus importante de France après celle de Paris. Ses archives contiennent 40 000 films, 70 000 affiches, 500 000 photos, et 2 000 scénarios. Raymond Borde disait : "Nous ne cherchons pas dans les films anciens je ne sais quel plaisir morose d'archéologue, nous y cherchons ce qui nous touche : la liberté, la poésie, l'amour."

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