P. Dessertine : “Mieux vaut internet dans les champs que de construire le Grand Paris”

Par Pauline Compan  |   |  673  mots
P. Dessertine est directeur de l'Institut de Haute Finance et membre du Haut conseil des finances publiques (Crédits : Pauline Compan)
La Tribune a interrogé l'économiste Philippe Dessertine, lors d’une conférence donnée pour les 120 ans de la CCI Lozère, le 18 novembre. Le directeur de l'Institut de Haute Finance annonce un cycle de ruptures technologiques qui devraient bouleverser en profondeur les modes de vie.

Le système économique mondial rentre, d'après vous, dans une importante période de ruptures technologiques, liées au grand défi de notre époque : le changement climatique. Quelles sont les conséquences attendues ?

Philippe Dessertine : Le ralentissement économique observé sur la période 2019-2020 annonce une nouvelle décennie de changements incroyables. Nous allons vivre une rupture technologique sans précédent, qui va bouleverser le modèle économique. Cette révolution, induite par le changement climatique et l'évolution des outils digitaux, sera mathématique : il s'agit de gérer les données massives avec l'intelligence artificielle et la blockchain. Nous ne sommes qu'au début de ce mouvement qui sera très profond et rapide. Cette rupture annonce aussi un changement de leadership au niveau mondial, qui va se décaler vers l'Asie avec la Chine et l'Inde.

Comment les régions et les territoires ruraux peuvent-ils se positionner face à une économie globalisée et aux changements à venir ?

Philippe Dessertine : La mondialisation est un système économique en complète mutation. La question à se poser pour les territoires est de trouver leur place dans le monde qui vient, avec leurs atouts. Aujourd'hui, les jeunes Lozériens de moins de 25 ans se demandent comment vivre dans la ruralité et dans le monde. Le digital est désormais indispensable au développement économique ; il peut permettre de vivre et de travailler sur un territoire, mais aussi de transformer une activité comme l'agriculture. Les jeunes, qui hésitent aujourd'hui à reprendre les exploitations agricoles familiales, ne veulent pas travailler sur un modèle ancien, mais l'agriculture est amenée à connaître des changements considérables dans les années à venir. Nous ne sommes qu'au début du mouvement.

Vous parlez d'un phénomène d'"aplatissement" pour les territoires, qui pousse à ré-investir les villes moyennes et les territoires ruraux. Faut-il entamer une dé-métropolisation ?

Philippe Dessertine : La population des grandes villes évoque cet idéal de vie à la campagne, mais le travail n'y est pas, donc on ne bouge pas. Ces changements technologiques offrent la possibilité d'aller vers des villes à taille humaine, plus proches des aspirations des nouvelles générations, avec un coeur de ville vivant et moins de transports quotidiens. Mais attention à ne pas transposer les normes : Toulouse ne doit pas être un petit Paris, et pas question pour Mende de devenir un petit Toulouse. Il s'agit d'inventer de nouvelles façons de vivre via un réseau de petites structures connectés : c'est cela l'aplatissement et la modernité de demain. La vision de l'urbain comme seule évolution de la planète est passéiste et intenable. Les nouvelles générations l'ont déjà compris, notamment avec le changement climatique. Mais il faut investir dans les connexions digitales et les datas, car il y a encore trop de zones blanches en France. Il est plus important d'avoir internet dans les champs agricoles français que de construire le Grand Paris.

Quels sont justement, d'après vous, les investissements à réaliser pour anticiper ces bouleversements ?

Philippe Dessertine : Les équipements comme la fibre et la sécurisation des données sont un sujet où il faut investir beaucoup d'argent. Les Français et les Européens investissent encore massivement dans les activités du passé. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de devenir dépendants et simples consommateurs sur des activités stratégiques et vitales pour le futur. Je pense à la méthanisation qui se développe déjà chez tous les exploitants aux Pays-Bas, il faut y aller ! Un autre exemple : l'intelligence artificielle. Le rapport de Cédric Villani sur le sujet préconise d'investir des dizaines de milliards sur le sujet, et nous n'en sommes qu'à des centaines de millions. Mais on continue à mettre l'argent dans des activités anciennes, souvent pour la mauvaise raison de l'emploi. On a peur de l'effet que pourrait produire la violence du progrès sur soi-même. Pourtant l'humain s'adapte vite, ces dernières années l'ont déjà prouvé.