Pollution par l'avion : une étude pointe l'écart entre réalité et perception

Par Cécile Chaigneau  |   |  1276  mots
Une étude de la chaire Pégase analyse la perception de l'impact environnemental du trafic aérien chez les Français. (Crédits : Reuters)
Comment expliquer l’engouement du flygskam (la honte de prendre l’avion) ? Pourquoi le transport aérien cristallise-t-il autant les critiques alors qu’il ne représente qu’entre 2 et 3 % des émissions de CO2, soit moins que les secteurs du textile ou des activités liées à internet ? La Chaire Pégase, rattachée à Montpellier Business School, publie une étude sur la perception de l’impact environnemental du trafic aérien chez les Français.

« Le fort développement du "flygskam" (la honte de prendre l'avion, en suédois - ndlr) est le résultat d'un écart entre la réalité et la perception des Français concernant les pratiques environnementales du secteur aérien. »

C'est la conclusion rendue par l'étude publiée le 10 février par la chaire Pégase et intitulée « Les Français et l'impact environnemental du transport aérien : entre mythes et réalités ».

Créée en 2019 et rattachée à Montpellier Business School (MBS), la chaire Pégase est dédiée à l'économie et au management du transport aérien et de l'aérospatial et développée en collaboration avec plusieurs institutions scientifiques dont l'Université de Montpellier (une vingtaine de chercheurs au total). Elle est dirigée par Paul Chiambaretto, professeur associé en Stratégie et marketing à Montpellier Business School, chercheur associé à l'École Polytechnique, et spécialiste du transport aérien.

« Personne n'aurait pu imaginer que le flygskam prendrait tant d'ampleur, commente Paul Chiambaretto. L'intuition qui nous a menés à conduire cette étude est la suivante : alors que le transport aérien représente 2 à 3 % des émissions de CO2 mondiales*, selon le consensus des scientifiques, et fait beaucoup d'efforts pour réduire son empreinte environnementale, il fait l'objet d'une importante polémique car les gens pensent que c'est le secteur qui pollue le plus... C'est ce décalage qui m'a le plus surpris dans les résultats de l'étude. »

Une amplification en 2019

Selon l'analyse de la diffusion du flygskam sur les réseaux sociaux, sur Google et dans la presse nationale, le hashtag #flygskam est apparu sur Twitter en novembre 2017, et le phénomène a connu une amplification notable en 2019.

Parmi les pays ayant réalisé le plus de requêtes sur Google, on retrouve la Suède, la Finlande et la France (notamment en Ile-de-France et en région Rhône-Alpes). Mais l'étude conclut que « si le flygskam semble avoir un impact sur le trafic domestique en Allemagne ou en Suède, cela ne semble pas être le cas en France. L'effet du flygskam n'est donc pas certain, d'autant plus que les évolutions du trafic à l'étranger peuvent s'expliquer par d'autres facteurs ».

« Analyser l'impact de ce phénomène sur le trafic n'est pas évident, confirme Paul Chiambaretto. On ne peut pas affirmer rigoureusement de manière scientifique si la baisse du trafic est la conséquence du flygskam... Une étude récente de la banque suisse UBS dit que 20 % des répondants considèrent qu'ils ont renoncé à prendre l'avion une fois dans l'année pour des considérations environnementales. »

Une opinion publique sévère

L'étude de la chaire Pégase rappelle qu'« en dépit de la forte augmentation du nombre de passagers aériens transportés au cours des 20 dernières années, les émissions de CO2 du transport aérien ont certes augmenté mais dans une moindre mesure. [...] Ainsi, pour la France, les émissions par passager transporté ont baissé de 28 % entre 2000 et 2018. Si la majorité des compagnies aériennes ont réalisé une forte baisse des émissions de CO2 par passager transporté, certaines ont même réussi à réduire leurs émissions en valeur absolue ».

Des résultats obtenus par la mise en œuvre de plusieurs mesures pour accélérer leur transition environnementale.

L'étude pointe ainsi que si l'impact environnemental du transport aérien est de l'ordre de 2 à 3 % des émissions globales de CO2, « les activités liées à internet sont de l'ordre de 4 % et celles liées au textile et à l'habillement sont comprises entre 8 et 10 % ».

Après avoir interrogé un échantillon de 1018 personnes, l'enquête révèle que si ces trois secteurs sont globalement perçus comme polluants, les avis (plus de 80 %) sont nettement plus défavorables concernant le secteur du transport aérien.

Plus de la moitié des répondants pensent que le secteur aérien représente plus de 10 % des émissions mondiales de CO2, et 90 % des répondants pensent que l'évolution des émissions de CO2 par passager transporté ont été stables ou ont augmenté « alors qu'elles ont diminué de 25 % au cours des quinze dernières années ». Enfin, « près du quart des répondants pensent que les nouvelles générations d'avions consomment plus de 10 litres par passager pour 100 km parcourus alors qu'elle se situe entre 2 et 3 litres ».

« L'opinon publique considère que le transport aérien pollue plus, or focaliser toute l'attention sur le secteur aérien, c'est s'attaquer à 2 à 3 % du problème », souligne Paul Chiambaretto.

Faire savoir

Quelles leçons tirer de cette étude ?

« Le transport aérien, qui a une culture plutôt technique, ne se pose pas la question du faire-savoir, conclut le chercheur. Il y a donc un effort de pédagogie à faire. Et cette communication ne doit pas se limiter à la presse économique ou à la presse spécialisée mais viser l'ensemble des Français, qu'ils prennent l'avion ou non. »

Mais le secteur aérien doit également poursuivre sa transition environnementale et adopter des objectifs plus ambitieux en matière de réduction (absolue) des émissions de CO2.

« Les mesures engagées contribuent déjà au maintien du seuil actuel et combinées entre elles, devraient contribuer demain à la diminution des émissions de CO2, préconise Paul Chiambaretto. Les objectifs de IATA (l'association internationale du transport aérien, NDLR) sont d'atteindre en 2050 un niveau d'émissions équivalent à 50 % des émissions totales de 2005, c'est à dire autant que dans les années 1990. Et ce, alors que les prévisions prévoient un doublement du trafic aérien à horizon des 15 prochaines années. Certaines compagnies sont plus en avance, notamment les compagnies européennes car le marché est plus mature et le savoir-faire plus poussé. »

La chaire Pégase émet une proposition : faire évoluer les business models des compagnies aériennes en les accompagnant pour devenir des acteurs de mobilité multimodale, avec une offre composée à la fois de routes aériennes et de routes ferroviaires.

« C'est la dernière étape : le GIEC comme l'Ademe disent que si on veut réduire les émissions de CO2, il faut mettre en place de la sobriété. C'est à dire consommer moins et donc voler moins. L'enjeu est alors de convaincre les compagnies aériennes de réduire certaines routes sur lesquelles il y a des alternatives comme le train, ce qui signifie arrêter certains vols domestiques. Cela n'aura un intérêt pour une compagnie qu'à partir du moment où elle aura ses propres trains. Ce qui ne sera possible que s'il y a un accompagnement de l'État. Cela pourrait faire sens à horizon de 15 ou 20 ans. »

Dépassionner le débat

Dès lors, le transport aérien a-t-il du souci à se faire du fait de ce phénomène de flygskam ?

« Sur les prochaines années, les 2/3 de la croissance aérienne seront générés par les pays en développement, notamment en Asie, répond Paul Chiambaretto. Le flygskam est un problème très européen. Les pays en développement, quant à eux, ne se posent pas la question. »

Avec cette étude, le chercheur montpelliérain espère « une sorte de rétablissement de la réalité, afin de rendre le débat un peu moins hystérique que ces derniers mois, plus raisonné et intelligent. Nous, on pose des faits. A partir de là, chacun en tire des leçons ».

* 33 gigatonnes en 2019 (soit un niveau similaire à 2018 après deux années de hausse), selon les chiffres publiés par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) ce 11 février 2020.