Emploi maritime : « Avant, les recrutements se faisaient par cooptation, mais aujourd’hui, le secteur est sous tension »

Faire connaître des métiers méconnus, qui plus est, souffrant d’une image dégradée. Donner envie. Susciter des réorientations. La Place de l’emploi maritime, organisée par Pôle Emploi le 30 mars sur les quais du port de Sète, avait vocation à faire se rencontrer des entreprises du secteur maritime et de potentiels candidats à l’embauche. Dans un contexte de tension sur le marché de l’emploi, la manifestation a-t-elle rempli sa mission ? Reportage.
Cécile Chaigneau
La Place de l'emploi maritime et de l'économie bleue, organisée par Pôle Emploi le 30 mars 2023 à Sète, invitait les entreprises qui recrutent à rencontrer des candidats à l'embauche.
La "Place de l'emploi maritime et de l'économie bleue", organisée par Pôle Emploi le 30 mars 2023 à Sète, invitait les entreprises qui recrutent à rencontrer des candidats à l'embauche. (Crédits : Cécile Chaigneau)

Au bout du quai du Maroc, dans le port de Sète, des pavillons bleus ont été installés pour accueillir des entreprises en quête de candidats à l'emploi. Le 30 mars à 14h, devant les grilles encore fermées, une petite trentaine de personnes attendent l'ouverture, pochette sous le bras.

La "Place de l'emploi maritime et de l'économie bleue", organisée par Pôle Emploi dans le cadre de la semaine des métiers du maritime et du fluvial (27-31 mars), a vocation à faire découvrir les métiers et débouchés de ce secteur. Et c'est une première : alors que depuis octobre 2021, Pôle Emploi a testé sa formule des "Places de l'emploi" multisecteurs dans une vingtaine de villes, la structure expérimente pour la première fois une "Place de l'emploi" sectorielle.

« Pendant longtemps, les recrutements pour des emplois maritimes se faisaient par connaissance, par cooptation, mais aujourd'hui, le secteur est sous tension et il s'agit de s'ouvrir à un public plus large, raison pour laquelle désormais, ce secteur fait aussi appel à Pôle Emploi pour élargir son sourcing et s'ouvrir à des candidats qui viennent d'autres secteurs, explique Philippe Soursou, le directeur de Pôle emploi Hérault. Nous avons trois grands secteurs d'activité dans les emplois maritimes. Tout d'abord en mer : la pêche, l'éolien, la culture marine, la pêche étant une activité faiblement demandeuse de main d'œuvre car en pleine transformation. Mais le secteur est amené à se diversifier, on le voit avec Port-la-Nouvelle qui devient un hub de l'éolien en mer. Le deuxième, qui occupe beaucoup d'emplois, c'est sur terre, avec les services portuaires, le fret, le transport multimodal, l'aménagement des ports, mais aussi les métiers de la construction navale. Enfin, la troisième grande catégorie, ce sont les métiers liés au tourisme, à la thalasso, aux loisirs nautiques. Mais cette catégorie n'est volontairement pas présente sur cette "Place de l'emploi maritime" car nous n'avons pas souhaité faire un forum de l'emploi saisonnier touristique. »

Motivation, savoir-être et appétence

Les demandeurs d'emploi ont été informés et certains sélectionnés en raison de leurs aptitudes et expériences, potentiellement compatibles avec les métiers maritimes, « l'idée étant notamment de susciter des réorientations », précise Philippe Soursou.

Si le nombre de postes à pourvoir à ce jour en Occitanie est difficile à établir selon Pôle Emploi, le directeur territorial souligne qu'hors tourisme, c'est la construction navale qui est la plus pourvoyeuse d'emplois en raison de la présence d'entreprises comme Grand Large Yachting à La Grande Motte (marques Outremer et Gun Boat) ou Catana dans les Pyrénées-Orientales.

« Ils cherchent des profils d'électriciens, de stratifieurs, d'ébénistes, de spécialistes en agencement-ameublement mais aussi des compétences en intégration de station d'épuration, en gestion des eaux, en hydraulique, en mix énergétique, etc. »

En effet, chez le fabricant de yachts héraultais Grand Large Yachting, Guillaume Pérez, chargé de recrutement, confirme que « la vingtaine de postes à pourvoir porte essentiellement sur des postes en production : stratifieur, menuisier, accastilleur, électricien, plombier, peintre... ».

« Nos carnets de commandes sont pleins, nous fabriquons plus de 30 yachts par an, donc nos besoins augmentent et nous faisons aussi en sorte d'alimenter notre vivier de candidats pour plus tard, ajoute Franck Godin, responsable système. Nous recherchons des gens avec des compétences ou des gens qui sont motivés, avec un savoir-être et une appétence pour nos métiers. »

Alors l'entreprise multiplie les occasions de se faire connaître via des salons de l'emploi ou des visites de ses ateliers organisées par Pôle Emploi.

Une image peu attractive

Chez Buesa, spécialiste des travaux publics, c'est la branche travaux maritimes et fluviaux (travaux sur le trait de côte, dragage des ports ou canaux, entretien et génie civil sur les quais, travaux d'assainissement, etc.) qui est venue avec trois postes de capitaines de bateau (pilotage de bateaux pour travaux maritime et fluviaux) et deux postes de matelots.

« Nous recrutons en CDI pour des postes basés à Sète, précise Christophe Balez, le directeur de l'agence Buesa à Sète (50 personnes). C'est difficile de recruter du monde, notamment parce que nos métiers souffrent encore de méconnaissance et d'une image peu attractive. Sur la Place de l'emploi maritime aujourd'hui, nous avons rencontré une quinzaine de personnes donc oui, c'est une bonne journée... »

Caroline Menzaghi, collaboratrice RH du port de Sète Sud de France, fait elle aussi le constat de cette difficulté à trouver la perle rare : « Nous recherchons un grutier hydraulicien-mécanicien en CDI pour le port de commerce, mais c'est compliqué car c'est un marché de niche, donc nous recherchons plutôt des candidats qui sont hydrauliciens-mécaniciens et que nous formerons à la grue pendant trois à six mois ».

Sur le stand voisin mais dans un tout autre domaine, Manon Arcangeli, chargée RH pour le groupe agroalimentaire Terre et Mer (dont les marques Marie-Amélie, Le Marmiton et Carré Potager sont fabriquées à Frontignan, près de Sète), cherche à pourvoir deux CDI : l'un en logistique et préparation de commande, l'autre en production. Et les candidats ne se bousculent pas au portillon...

« Sur le salon TAF (salon Travail Avenir Formation, organisé par la Région Occitanie, NDLR) où nous étions récemment, nous sommes repartis avec zéro candidat !,  regrette-t-elle. C'est vrai qu'il s'agit de métiers difficiles, peu attractifs. Mais nous sommes dans une situation inédite. Nous cherchons depuis plusieurs mois mais nous avons peu de candidats et la plupart n'ont pas le bon profil. Certains ont des difficultés de transport quand il faut venir tôt le matin à l'usine de Frontignan et qu'il n'y a pas de bus... »

« Les jeunes ont du mal à se projeter »

Côté pêche, l'enjeu se concentre sur la préservation des métiers et la transmission des entreprises. Chloé Jehl, chargée de la promotion des métiers de la pêche pour le Comité régional des pêches maritimes et élevages marins, dresse un état des lieux de la filière : « En 2020, une étude a révélé que 50% des marins avaient plus de 45 ans. Quand on se rappelle qu'ils peuvent prendre leur retraite à 50 ans, on comprend que la moitié va partir bientôt. Il y a donc des entreprises à reprendre et des postes à pourvoir. Or ce sont des métiers difficiles, dans lesquels les jeunes ont du mal à se projeter alors que des évolutions sont possibles... Nous cherchons aussi des candidats à la reprise de bateaux de pêche notamment : quelques mois d'expérience en mer suffisent, qu'on complètera avec une formation de trois mois ».

« En venant ici, on cherche surtout à faire connaître nos métiers, déclare Fabrice Grillon-Gaborit, chargé de mission Stratégie et partenariats pour le Comité régional de conchyliculture de Méditerranée. Nos entreprises conchylicoles fournissent 8% de la production nationale, et ce sont majoritairement de petites entreprises familiales. Rien que sur le bassin de Thau, il y a 400 à 450 entreprises et environ 660 salariés permanents et 880 saisonniers... Elles recherchent surtout de la polyvalence, des gens capables de travailler de la production à la commercialisation, mais aussi des serveurs et des cuisiniers pour les dégustations pendant la saison estivale... Mais c'est difficile de recruter. Aujourd'hui, on travaille aussi beaucoup sur la dimension installation-transmission. »

Il est 15h30 et déjà, sur les stands, les rangs se sont éclaircis et les candidats à l'embauche se font plus rares. Chez certains recruteurs, on sent poindre une certaine déception : « Finalement, on n'aura pas vu beaucoup de monde... ». Dans le maritime comme dans de nombreux secteurs, surtout quand les métiers sont connus pour une certaine pénibilité, les candidats ne se bousculent pas.

L'emploi maritime et fluvial en France

En France, l'emploi salarié de la filière maritime et fluviale rassemble près de 482.450 salariés en 2021 (+7,2% par rapport à 2020), dont 268.800 hors tourisme, employés par 56.790 établissements. Ces effectifs sont surtout localisés sur la façade ouest (46%), mais également en façade méditerranéenne (31%) dont 25.967 emplois en Occitanie (5% des emplois maritimes en France et 2% des emplois salariés de la région). La répartition par secteur était la suivante : 14.390 dans le tourisme (55%), 5.362 dans les services portuaires et nautiques (21%), 2.244 dans les travaux en mer (9%), 1.166 dans la construction et maintenance navale (4%), 1.461 dans la transformation des produits de la mer (6%), 39 dans le personnel embarqué, 1.028 dans les pêches et cultures marines (4%), 198 dans la R&D et ingénierie maritime (1%), 72 dans le fluvial, et 7 dans la défense et administration marine.

Selon les données de Pôle Emploi, en 2022, plus de 370.000 offres d'emploi dans les métiers de la mer en France ont été diffusées par Pôle Emploi et ses partenaires (+22,2% en un an), dont 57,8% dans la construction et maintenance navale, 22,4% dans l'hôtellerie-restauration et 9,7% dans les services portuaires. En face, en 2022, ce sont 172.900 demandeurs d'emploi en catégories ABC qui recherchaient un emploi dans cette filière (-10,3% en un an), dont 15.000 en Occitanie, majoritairement dans le tourisme et la la construction et maintenance navale.

Toujours en 2022, 928.200 déclarations préalables à l'embauche liées à la filière mer ont été déposées par les entreprises, dont 82,2% pour l'hôtellerie-restauration et 3,8% pour les activités et loisirs littoraux.

Source : Pôle Emploi.

Cécile Chaigneau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.