Ces nouveaux coups durs qui affectent le milieu culturel dans l'Hérault

Alors que le budget alloué à la culture a déjà perdu, cette année, plus de 200 millions d’euros au niveau national (entraînant de facto l’annulation de la ZAT à Montpellier notamment), l’annonce par le Département de l’Hérault de l’arrêt du service de prêt de matériel scénique plonge dans le désarroi les organisateurs de spectacles vivants. Un nouveau coup dur pour le secteur qui se dit atterré par le manque de concertation et d’anticipation de la collectivité départementale.
L'association héraultaise Scopie organise notamment Scopie Fun Fest, festival d'arts de la rue dont la 4e édition se déroulera à Balaruc en juin 2024.
L'association héraultaise Scopie organise notamment Scopie Fun Fest, festival d'arts de la rue dont la 4e édition se déroulera à Balaruc en juin 2024. (Crédits : Scopie)

Après le rétropédalage de l'ancienne ministre de la Culture Rima Abdul Malak qui avait annoncé une hausse de 6% de son budget pour 2024, les crédits alloués à la culture auront finalement été amputés de 204,3 millions d'euros. Une coupe budgétaire justifiée par le gouvernement par la nécessité d'économiser 10 milliards d'euros... Si le « pass culture » (qui bénéficie essentiellement aux industries culturelles) et les écoles d'art ont été épargnés par cette baisse drastique, la réduction touche massivement le patrimoine (-100 millions d'euros) et la création (-96 millions).

Tout aussi inquiétante, une enquête flash, menée le 27 mars dernier auprès des adhérents de l'Association des Professionnels de l'Administration du Spectacle (LAPAS) indique une diminution prévisionnelle de 54% du nombre de représentations pour la saison 2024/2025. De plus, 22% des artistes accompagnés disent réfléchir à arrêter leur carrière ou dissoudre leur compagnie.

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Pas de ZAT à Montpellier cette année

A Montpellier, la ZAT (Zone Artistique Temporaire) vient de faire les frais de la rigueur budgétaire. Promue depuis 2010 par le maire (PS) Michael Delafosse, alors adjoint à la culture, cette manifestation annuelle très prisée du public (jusqu'à 80.000 spectateurs) vient d'être annulée.

« Nous sommes dans une situation de forte contrainte financière liée à l'inflation, au coût de l'énergie etc. Plutôt que de réduire les budgets dans le domaine de la culture, nous avons décidé de supprimer cette édition qui représente un an de travail et un budget de 700.000 euros », se défend l'adjointe montpelliéraine à la Culture Agnès Robin. Nous préférons axer nos efforts sur l'extension du cinéma Nestor Burma, le 30e anniversaire du théâtre Jean Vilar, les résidences artistiques, la fête de la musique ou les nouvelles archives qui deviendront un lieu culturel pour porter la mémoire de Montpellier. »

Désengagement du Conseil départemental

Enfonçant le clou, le Département de l'Hérault vient d'annoncer l'arrêt, à compter du 1er octobre 2024, du prêt du matériel scénique, dispositif mis en place depuis 2006 et qui permettait aux artistes et compagnies de disposer gratuitement de micros, câbles, amplificateurs et autres projecteurs. En 2022, 350 acteurs culturels en avaient bénéficié pour un coût supérieur à 1,5 million d'euros.

Raison invoquée justifiant cette décision : un problème de concurrence déloyale dans la pratique de prêts gratuits. Sollicitée par La Tribune, la collectivité territoriale brandit la loi : « Nous avons été interpellés sur nos pratiques dans l'illégalité de nos prêts de matériels, en référence à l'article L 2222-7 du CGPPP (Code Général de la Propriété des Personnes Publiques) : "les opérations de mise à disposition ou de location ne peuvent être réalisées ni à titre gratuit, ni à un prix inférieur à la valeur locative". Le Président du Conseil départemental en étant informé dans le cadre de sa fonction, sa responsabilité personnelle et pénale peut être engagée. En conséquence, il a été décidé d'arrêter le dispositif Hérault Matériel Scénique au 1er octobre 2024 afin d'éviter tout contentieux et de permettre tout de même aux évènements de l'été de se dérouler avec le soutien du Département ».

« Cette annonce est très violente pour les acteurs culturels, d'autant qu'il n'y a eu au préalable aucune concertation ni anticipation, regrette Sandrine Mini, déléguée régionale, avec Samuel Mathieu à Toulouse, du Syndeac (Syndicat des Entreprises Artistiques et Culturelles) Occitanie et directrice du Théâtre de Sète. Or les budgets se préparent en amont. Ce n'est pas la première fois que le Département retire son soutien sans discussion : l'opération "Collège en tournée", qui permettait d'offrir des représentations à des élèves, a été stoppée en pleine tournée, du jour au lendemain ! »

« Contraint de me barrer ailleurs »

Installé à la Halle Tropisme à Montpellier, le dramaturge allemand Dirk Korell, directeur de production de Camin Aktion et organisateur du festival Hype Occ (festival des danses de la culture hiphop) ne cache pas sa déception.

« Déjà, en octobre dernier, trois semaines avant le festival et alors que nous avions lancé la billetterie, le Département a annulé la mise à disposition du lieu d'accueil, le Théâtre d'O, avant de revenir sur sa décision, rappelle-t-il. Aujourd'hui nous apprenons par les médias l'arrêt du dispositif Hérault Matériel Scénique. Ce manque de dialogue est très perturbant et j'ai l'impression que nous sommes entrés dans une économie néolibérale qui va à l'encontre de la démocratie culturelle. »

Accompagnant des artistes et des compagnies régionales et internationales du spectacle vivant, avec une forte sensibilité pour la danse, Camin Aktion a également développé, avec une vingtaine de partenaires culturels (Théâtre de la Vignette, musées, opéra,...), le programme #JeSuis, intégrant « des gens d'ailleurs » (mineurs non accompagnés, réfugiés LGBT,...). Dirk Korell met en garde : « Je ne recherche pas la rentabilité et je pratique volontairement des tarifs peu élevés pour capter un public diversifié. Mais pour organiser un festival, les coûts de fonctionnement se montent à 40.000 euros, dont 16.000 euros sont autofinancés. Le prêt de matériel représentait une aide estimée entre 5.000 et 10.000 euros. Je me pose aujourd'hui concrètement la question : soit la situation évolue, soit je serai contraint de me barrer ailleurs, mais je trouverais cela dommage après le travail accompli et la collaboration avec des équipes passionnées comme celles du Théâtre d'O ».

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« Un maillage qui se détricote lentement »

Sans le dispositif Hérault Matériel Scénique (HMS), la survie d'événements culturels gratuits est en jeu, à commencer par les structures les plus modestes comme le Festival CHAP, à Viols-le-fort, porté par une équipe de bénévoles qui indique sur les réseaux sociaux un manque à gagner de 50.000 euros.

« Une fois encore, la variable d'ajustement reste la culture, secteur en pleine crise », déplore Sandrine Mini.

La déléguée du Syndeac évoque même une situation explosive avec un effet ciseaux : un financement public qui reste stable alors que tout augmente par ailleurs (transports, décors, hébergement,...). Sans compter les répercussions sur le prix des spectacles.

« Je crains que ce nouveau coup dur ne génère une baisse de l'emploi artistique, technique ou administratif, s'inquiète-t-elle. Personne ne parle suffisamment de la destruction de tous ces emplois... Il y a tout un maillage du service des arts et de la culture, pourtant essentiel à nos territoires, qui se détricote lentement. »

Lancement d'un collectif citoyen

Un avis partagé par Sophie Laurent, directrice chez Scopie, association qui accompagne les porteurs de projet dans le développement de leur activité artistique, sensibilise le public à la culture et programme tout au long de l'année des spectacles, dont Scopie Fun Fest. Soutenu par les collectivités, ce festival gratuit coûte globalement 70.000 euros, avec un montant valorisé par le dispositif Hérault Matériel Scénique de 8.000 à 10.000 euros.

« Cette 4ème édition, qui se déroulera à Balaruc au mois de juin, n'est pas impactée mais pour la saison suivante nous avons déjà déposé les demandes de subvention sans prendre en compte la fin du dispositif vu que nous n'étions pas au courant, s'inquiète Sophie Laurent. C'est un surcoût que nous ne pouvons financer donc cela implique de verser moins d'argent aux artistes émergents ou de faire moins de spectacles. C'est tout l'écosystème qui est impacté. Nous sommes une petite structure : aurons-nous les épaules pour combler ce que les financeurs ne peuvent plus subvenir ? Etant d'un naturel optimiste, j'ai espoir que des discussions pourront être menées avec le Département. »

Face à une vague d'incompréhension autour de cette décision de la collectivité départementale, des acteurs culturels indépendants ont monté le collectif « Sauvons HMS ». Une rencontre est prévue avec les équipes du Département de l'Hérault. De son côté, le Syndeac s'est rapproché de son service juridique...

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Commentaires 2
à écrit le 27/04/2024 à 12:35
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Bonjour, je souhaite apporter une correction : notre festival HYPE OCC s'est tenu au Théâtre d'O, et je mentionnais les équipes très engagées de cette institution (à ne pas confondre avec le Domaine d'O, qui est une autre entité juridique). On no...

à écrit le 24/04/2024 à 9:58
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Et la nourriture officiellement empoisonnée elle continue d'être vendue à tout le monde, subventionnée par l'argent public, même les moins de 18 ans peuvent en acheter. Et c'est bien cela qui est important dans leur tout petit monde.

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