Festivals en milieu rural : une étude démontre comment ils pèsent (lourd) dans le paysage culturel français

Alors que la ministre de la Culture Rachida Dati a lancé, en janvier dernier, le Printemps de la ruralité, concertation visant à « désenclaver la culture », une étude inédite, initiée et coordonnée par France Festivals, apporte un éclairage concret sur la capacité des festivals ruraux à participer au développement des territoires. Réalisée par des chercheurs, l’étude bouscule nombre d’idées reçues, et démontre que les festivals des champs peuvent parfaitement rivaliser - en ambition artistique, en impact économique ou en portée sociale - avec de grands événements urbains.
La 31e édition du Festival Jazz à Junas aura lieu du 17 au 20 juillet 2024 dans les carrières de cette petite commune du Gard.
La 31e édition du Festival Jazz à Junas aura lieu du 17 au 20 juillet 2024 dans les carrières de cette petite commune du Gard. (Crédits : Festival Jazz à Junas)

Le ministère de la Culture a lancé, le 6 février dernier, une grande concertation nationale sur la vie culturelle en milieu rural qui a pris la forme d'une consultation en ligne. Objectif affiché de Rachida Dati, ministre de la Culture : « développer l'accès à la culture pour tous les habitants des territoires ruraux ». Les Assises de la culture en milieu rural, annoncées en janvier dernier, doivent se tenir le 19 avril et permettre de « définir la feuille de route visant à renforcer la place de la culture au cœur des territoires ».

C'est dans ce contexte que France Festival, réseau rassemblant près de 100 festivals de musique et du spectacle vivant en France, publie "SoFest ! ", une vaste étude portant sur les festivals ruraux. Menés pendant plusieurs mois par une équipe de chercheurs (Emmanuel Négrier, Julien Audemard, Edwige Milery et Aurélien Djakouane), ces travaux vont permettre d'approfondir la connaissance de la structuration et de la diffusion culturelles en milieu rural, de ses acteurs et de ses enjeux.

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« La trace du tropisme urbain »

« Les festivals en ruralité représentent le premier diffuseur de culture en France et l'un des phénomènes culturels les plus dynamiques de ces dernières décennies, synthétise Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS et directeur du Cepel (Centre d'Etudes Politiques et Sociales) à Montpellier. Un tiers des 7.300 festivals se déroulent d'ailleurs dans des espaces ruraux. Néanmoins, beaucoup d'idées reçues persistent, réduisant la culture en milieu rural à des événements à l'ancienne, des fêtes de village organisées par et pour des amateurs, plutôt âgés, dans un désert culturel relatif dont les besoins sont spécifiques. Ces clichés portent en eux la trace du tropisme urbain. »

Alors que la vingtaine de festivals renommés en France (Avignon, les Francofolies, les Vieilles Charrues,...) ne représente que 3% de l'offre, le focus sur la ruralité permet de rééquilibrer la focale et de sortir des lieux communs. Motivations, sociologie, écosystème, public... "SoFest ! " montre une toute autre réalité.

Si certaines régions pâtissent d'une inégalité territoriale en termes de festivals rurals - c'est le cas de la Normandie, du Grand Est et des Hauts de France -, d'autres sont plus attractives comme la région PACA ou la Martinique, deux régions pourtant fortement urbanisées. En Occitanie, où 43% de la population vivent dans le rural, l'offre festivalière est bien manifeste avec quatre festivals sur dix organisés en milieu rural. Si la cartographie de l'étude "SoFest ! " souligne la persistance d'inégalités, elle dit aussi l'attrait des festivals ruraux pour les urbains et l'importance de « souligner les liens qui relient ces territoires ».

« C'est précisément en ayant à l'esprit l'existence de ces liens que l'on peut avancer des propositions qui viseraient à mieux en tirer parti », exprime Aurélien Djakouane, sociologue et maître de conférences à l'Université de Paris Nanterre.

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En avant la musique

Dans leur programmation, quatre festivals sur dix priorisent la musique. Plus facile à mettre en œuvre, ce format bénéficie d'abord aux musiques actuelles puis aux musiques de répertoire (classique, baroque, lyrique ou contemporain) : le Festival des musiques sacrées et des musiques du monde de l'abbaye de Sylvanès dans l'Aveyron, Labeaume en musique en Ardèche, ou Pierres Lyriques à Navarrenx dans les Pyrénées-Atlantiques illustrent cette orientation significative tout en contribuant à se défaire de l'idée reçue selon laquelle les événements ruraux ont un caractère généraliste et artistiquement peu exigeant.

Le spectacle vivant est le deuxième domaine le plus présent, suivi des festivals de livre et de littérature. A l'inverse, les festivals de cinéma et d'art visuels sont beaucoup moins représentés et le sont souvent par des structures itinérantes (Cinémaginaire dans les Pyrénées-Orientales ou Cinem'Aude dans l'Aude).

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Des festivals ruraux plus estivaux

Loin d'être à la traîne en termes de création, près de la moitié des festivals ruraux ont été créés après 2010. Mais leur activité reste très souvent liée à l'été, preuve en est le nombre de festivals estivaux qui se déploient sur les littoraux méditerranéen, breton ou atlantique.

« On pourrait penser que les festivals d'été coïncident avec des espaces très urbanisés : c'est une erreur de perspective, les métropoles étant les espaces où la présence des festivals d'été est la plus réduite, note Emmanuel Négrier. Cette articulation entre festivals et politiques touristiques demeure l'une des clefs de la dynamique d'ensemble. »

Pour certains départements, la moitié des festivals a lieu en saison estivale, c'est le cas en Occitanie des Pyrénées-Orientales mais aussi du Lot et de l'Aveyron. Un tropisme qui s'explique pour plusieurs raisons : la facilité à trouver des espaces en plein air, la disponibilité des professionnels et des bénévoles l'été, et bien sûr l'attractivité touristique.

Des budgets plus modestes

Moins subventionnés (41% contre 56% pour les festivals urbains), les festivals implantés en zone rurale bénéficient du soutien des Départements alors que communes ou intercommunalités sont plus en retrait. Ils sont donc beaucoup plus dépendants de leurs ressources propres, essentiellement la billetterie et la restauration. Cette vertu de l'autonomie les rend aussi plus fragiles, d'autant que leur niveau de dépenses artistiques et technique est plus élevé que leurs homologues urbains.

Quant aux budgets, si la catégorie inférieure à 20.000 euros est sur-représentée, le budget médian est de 50.000 euros (contre plus du double en milieu urbain) pour une fréquentation d'environ 5.000 personnes.

Plus de la moitié des équipes de création de festivals ruraux est liée par des liens familiaux (38,3%) et amicaux (16,1%). Responsables associatifs et bénévoles caractérisent à eux seuls près de deux-tiers des équipes (65,3%), viennent ensuite artistes et professionnels de la culture et agents publics. Mais au sein des équipes, un quart des collaborateurs est extérieur au champ culturel, des données qui font écho au déficit de professionnalisation caractérisant le milieu rural, même si la situation évolue.

Peu de différences sociologiques du public

Qu'ils soient ruraux ou urbains, les festivals attirent des profils assez proches : on y rencontre donc une majorité de femmes (62%) diplômées, un phénomène en phase avec la féminisation des pratiques culturelles observée depuis de nombreuses années. Contrairement à l'image de populations rurales présentées parfois comme vieillissantes, l'âge moyen du public est de 41 ans.

Sur le plan des préférences esthétiques, pas de différence notoire non plus.

« Les publics d'un festival de musique classique sont les mêmes à la ville qu'à la campagne, analyse Aurélien Djakouane. Ce n'est pas le territoire qui fait la physionomie mais l'offre artistique. Il n'y a donc pas, sur le plan sociologique, de différences flagrantes. Ce qui change dans la ruralité, c'est le rapport au festival, la motivation, car l'offre étant plus rare, il faut aller la chercher. Par habitude ou nécessité, les spectateurs sont donc plus mobiles et s'inscrivent d'avantage dans une logique de confiance vis à vis des événements. »

A travers leur étude, les auteurs apportent un nouvel éclairage sur le fait que les festivals, même établis dans un rural très dispersé, peuvent parfaitement rivaliser - en ambition artistique, en impact économique ou en portée sociale - avec de grands événements identifiés spontanément à l'urbain. Une réalité bien loin de l'imagerie d'Epinal, dont vont pouvoir s'emparer organisateurs ou collectivités.

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Commentaires 2
à écrit le 15/04/2024 à 12:12
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La campagne est méprisée par ce milieu du spectacle monopolisé par l'oligarchie spectaculaire parisienne si arrogante et si pauvre intellectuellement, ce qui va de pair avec la volonté de nous abrutir. Car à la campagne nous sommesp lus évolués qu'en...

le 16/04/2024 à 8:20
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"monopolisé par l'oligarchie spectaculaire parisienne" Parce qu'elle capte tout l'argent public hein, c'est notre oligarchie cuculturelle qui quand on voit l'état de la culture française explique tout d'ailleurs.

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