« Dans les industries culturelles et créatives en Occitanie, on oublie trop souvent le livre »

SERIE filière du livre en Occitanie (1/2) : l’édition - Leviers de croissance, évolutions des pratiques culturelles, responsabilité environnementale... Les enjeux ne manquent pas pour la filière du livre. En Occitanie, une étude sur les maisons d’édition dresse la photographie inédite d’une filière diversifiée mais dynamique. Parmi elles, Au Diable Vauvert, qui a récemment bénéficié d’un coup de projecteur à la faveur d’un épisode politique mêlant Gabriel Attal et l’un de ses auteurs-phares, Juan Branco.
Cécile Chaigneau
(Crédits : DR)

« Dans les industries culturelles et créatives, il n'y a pas que le cinéma, les séries télé et les jeux vidéo, il y a aussi les livres ! revendique haut et fort Jérôme Sion, vice-président de Occitanie Livre & Lecture, bras armé de la Région Occitanie sur la filière. En termes de visibilité, c'est encore le parent pauvre. C'est injuste car le livre occupe une place loin d'être secondaire en Occitanie et on l'oublie trop souvent sur la photo. »

Pour savoir où en est le secteur de l'économie du livre, Occitanie Livre & Lecture a commandé deux études sur le secteur de l'édition et sur celui de la librairie indépendante (réalisées en 2023 sur les données de septembre 2022 à juin 2023, respectivement par le réseau de consultants Axiales et l'organisme Book Conseil). Des données inédites à l'échelle de l'Occitanie.

Globalement, le poids de l'économie du livre est stable dans les maisons d'édition et en légère augmentation pour les librairies. Si la crise sanitaire du Covid a été un accélérateur d'activité, la reprise a été plus difficile.

« On voit apparaître un réel manque de communication et d'information entre les différents acteurs de la filière et une nécessité de travailler en interprofession pour être plus forts », indique Jérôme Sion.

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Livre numérique : une offre réduite

L'Occitanie compte 247 maisons d'édition (38% dans les grandes villes de Toulouse, Montpellier, Perpignan et Nîmes) dont 85,3% sont indépendantes, pour un catalogue de 32.382 titres. Parmi elles, 81 font du livre imprimé, 31 du livre numérique, 9 du livre audio, 16 des revues et 16 des livres d'artistes.

Sur le livre numérique, 80,6% des titres sont une version numérique du livre papier. Sur les 86 éditeurs ayant répondu à l'enquête, 31 ont déclaré proposer une offre numérique, soit un volume de 5.363 titres disponibles. Si l'étude note que le déploiement de catalogues numériques n'est pas généralisé, elle rappelle aussi qu'au niveau national, le poids cumulé des ventes de livres numériques sur les segments grand public et littérature reste également modeste.

« Le cœur du marché du livre numérique, ce sont beaucoup les publications scientifiques et universitaires, observe Adeline Barré, au pôle Economie du livre de Occitanie Livre & Lecture. Il y en a peu en Occitanie, mais par exemple, c'est le cas de l'éditeur de livres médicaux Sauramps Médical - ils sont très peu nombreux en France sur cette niche -  qui vend ses publications au format numérique. »

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15 éditeurs occitans dans le classement de Livres Hebdo

Les maisons d'édition publient en moyenne 20 nouveautés par an, soit une relative stabilité (-1,3% par rapport à 2019, année de référence pré-Covid) quand la baisse a été de -15,3% au niveau national. A l'échelle nationale, les principaux domaines éditoriaux sont la littérature, la BD et les mangas, la jeunesse et les SHS. En Occitanie, si la littérature est aussi en tête (46,5% des éditeurs régionaux), la région se démarque par une particularité : les arts (34,9%) et les SHS (32,6%) sont en 2e et 3e places.

Sur les 66 éditeurs qui ont bien voulu répondre à l'enquête sur la question du chiffre d'affaires, 38 ont un chiffre d'affaires de moins de 100.000 euros, 15 de 100.000 à 500.000 euros, 4 à plus de 500.000 euros et 9 à plus d'un million d'euros. Le chiffre d'affaires moyen des éditeurs est réalisé principalement entre les librairies et les ventes directes.

L'étude souligne qu'une quinzaine de maisons d'éditions occitanes figurent dans le classement réalisé par la revue de référence Livres Hebdo des 200 maisons d'édition d'envergure nationale en France, « chiffre élevé par rapport à d'autres régions », souligne Adeline Barré, citant quelques noms : « Les Editions Milan (47e), Pictos (47e), les Editions du Rocher (49e), les Editions du Rouergue (60e), Erès (65e), Artège (76e), les Editions Les liens qui libèrent (78e), Des quais de Brouère (78e à égalité), les Editions de la Loupe (81e), Au diable Vauvert (84e), les Editions Verdier (85e), les Editions Cepaduès (92e) ou les Editions Climat (93e) ».

L'étude conclut à une dynamique qui résiste bien, avec des « maisons d'édition pérennes et des créations prometteuses » mais les entretiens avec les éditeurs ont laissé transparaître une inquiétude très forte sur le coût de l'énergie et des matières premières, notamment le papier pour lequel les devis ont beaucoup augmenté...

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« Le volet économique est presque sale »

Parmi les pistes de travail évoquées : renforcer les relations avec les autres acteurs de la chaîne du livre et faire émerger des possibilités de partenariat avec les industries culturelles et créatives de la région. Avec l'engouement actuel pour les séries notamment, la question du passage du livre à l'écran est posée : « Il existe une envie des auteurs, et ça a créé le métier de "scout littéraire", c'est-à-dire quelqu'un qui travaille pour une chaîne de télévision ou une maison de production et qui repère les livres adaptables », raconte Jérôme Sion.

« Dans le livre, on est dans une dimension intellectuelle et le volet économique est presque sale, ajoute-t-il. Pourtant, s'il faut préserver la diversité des maisons d'édition, il faut aussi travailler le développement économique. »

Lors d'un événement en novembre dernier, rassemblant toute la filière édition et librairies d'Occitanie, il faisait amèrement remarquer qu'il était « regrettable que le député du Lot Aurélien Pradié (Les Républicains, NDLR), qui prétend défendre l'économie locale, n'ait pas choisi une maison d'édition d'Occitanie pour son livre (Tenir bon, publié en novembre 2023 aux Editions Bouquins - NDLR) »...

Juan Branco, un auteur sous les projecteurs

Locomotive des éditeurs d'Occitanie, en termes de notoriété notamment, les éditions Au Diable Vauvert, basées à Vauvert (Gard) et emmenées par Marion Mazauric. L'éditrice, qui valorise la diversité des maisons d'édition occitanes, s'inquiète toutefois de « la concentration dans le secteur de l'édition et des médias qui ne contribue pas à la diversité »...

Pour le Diable Vauvert, elle témoigne d'une très bonne année 2023 : « Nous avons bouclé l'année sur un chiffre d'affaires de 1,5 million d'euros et une progression de +30 à 35%, une croissance liée à l'augmentation du fonds, notamment de grands auteurs de science-fiction, des féministes, et à nos bons résultats sur la rentrée littéraire ».

La petite maison d'édition gardoise a bénéficié d'un épisode politique début janvier : la nomination de Gabriel Attal au poste de Premier ministre a remis sous les projecteurs l'un des auteurs-phares de la maison d'édition gardoise, le militant politique et avocat franco-espagnol Juan Branco. Il a publié Au Diable Vauvert La République ne vous appartient pas (2020), Treize Pillards, petit précis de la Macronie (2022), Coup d'État (2023) et Hanouna (2023). La querelle entre Gabriel Attal et Juan Branco a largement été mise en scène par l'avocat dans son dernier livre, Crépuscule, d'abord publié sur le web à l'automne 2018 puis aux Diable Vauvert en 2019, écoulé à plus de 100.000 exemplaires, plaçant l'Ecole alsacienne, qu'ils ont tous les deux fréquentée, sous le feu des projecteurs...

« La personne qui a le plus parlé du Premier ministre, c'est Juan Branco, et quand Attal a été nommé, Crépuscule est ressorti et est remonté dans les ventes, se réjouit Marion Mazauric.

Marion Mazauric, fondatrice des Editions Au Diable Vauvert

Marion Mazauric, fondatrice et dirigeante des éditions Au Diable Vauvert.

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« Pilonner nos livres nous rend malades ! »

Quant au passage du livre à l'écran, c'est un sujet dont le Diable Vauvert s'est emparé depuis longtemps : « Nous sommes l'un des éditeurs qui a fourni le plus d'adaptations par rapport au nombre de livres publiés, et nous avons d'ailleurs une personne dédiée... Par exemple Le liseur de 6h27 (de Jean-Paul Didierlaurent, dont les droits ont été rachetés depuis par un producteur américain - NDLR), Alfie (de Christopher Bioux, NDLR), ou encore un livre de Thomas Gunzig dont les droits ont été vendus à celui qui a réalisé Le Dernier testament (Lynne Littman, 1983 - NDLR). La cession de droits est un axe non négligeable en termes de chiffre d'affaires ».

Quid de l'écologie dans les maisons d'édition ? Les rapporteurs de l'étude évoquent une question abordée pour la première fois. S'auto-évaluant, les éditeurs se révèlent « sensibles à l'écologie, notamment sur la conception des livres » : 90% font imprimer dans les pays de l'Europe, 25% jamais en France, et 30% jamais en Occitanie. Une majorité des éditeurs interrogés ne connaissent pas certaines problématiques, notamment l'origine du papier ou la question des encres.

Marion Mazauric assure d'une vraie prise de conscience des enjeux écologiques dans la profession : « L'impact écologique de l'édition est principalement lié à l'impression, surtout quand on sait que 25% des livres en moyenne sont détruits. Or on ne sait pas la réalité des engagements de nos imprimeurs. Les éditeurs s'interrogent beaucoup sur comment réduire cette part de gâchis lié au mécanisme des retours : rapatrier les stocks, les nettoyer et les renvoyer chez les diffuseurs, mieux gérer les tirages ? Il y a donc une vraie sensibilité au sujet car pilonner nos livres nous rend malades ! »

Cécile Chaigneau

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