Prévention du suicide chez les agriculteurs : les pistes du sénateur héraultais Henri Cabanel

Le sujet du suicide des agriculteurs a fait l'objet d'un premier débat parlementaire fin 2019 au Sénat, dans le cadre de la proposition de loi du sénateur héraultais Henri Cabanel dédiée à la prévention de ce fléau. Aujourd'hui, l’élu héraultais, convaincu que l’État doit développer une réelle politique publique en la matière, copilote un groupe de travail sur le sujet afin de mieux prévenir ces drames. Entretien avec le sénateur, qui a lancé un appel à témoignages.
Cécile Chaigneau
Henri Cabanel, sénateur de l'Hérault, a pris le sujet de la prévention des suicides chez les agriculteurs à bras le corps.

La Tribune - Quels sont les chiffres connus sur le suicide des agriculteurs en France ?

Henri Cabanel - Ce sera l'objet de notre travail car chacun donne les siens et il faut mettre de la clarté. Les plus récents connus par Santé Publique France sont ceux de 2015, ce qui est inconcevable... Selon la MSA (Mutualité Sociale Agricole, NDLR), il y en aurait 604 par an. Mais on demande des efforts sur la clarification, notamment parce que les agriculteurs qui mettent fin à leurs jours en dehors de l'exploitation agricole ne sont pas comptabilisés.

Pourquoi ce choix de travailler sur cette douloureuse question ?

Tout le monde partage le sentiment que les agriculteurs vont mal, et étant moi-même viticulteur dans l'Hérault, je ne voyais pas comment mettre la main devant les yeux et fermer les oreilles ! Mon groupe (RDSE, ndlr) a bien voulu l'inscrire dans le débat parlementaire alors que c'était un sujet tabou... Le député Olivier Damaisin (LREM, Lot-et-Garonne, NDLR) a remis un rapport sur ce sujet en décembre, mais nous avons demandé au ministère d'attendre la fin de nos travaux. Nous entamons la dernière phase : après avoir fait le tour des institutions, ministères et syndicats, nous allons dans le dur avec la collecte de témoignages - anonymes - et nous rencontrons des familles touchées.

Votre groupe de travail a pour objectif de dégager des pistes en vue d'améliorer l'accompagnement des agriculteurs en situation de détresse. Qu'est-ce qui existe aujourd'hui et que souhaitez-vous ?

En 2011, le ministre de l'agriculture de l'époque, Bruno Le Maire, a chargé la MSA de trouver des outils pour écouter et aider les agriculteurs en détresse. Donc il en existe bien. Mais la problématique demeure. Un agriculteur en détresse, c'est une honte qui s'abat sur lui. Or aujourd'hui, il faut que ce soit eux qui fassent le premier pas. Et en général, ils ne le font pas. Par exemple, la MSA, qui a déjà mis en place un n° vert (Agri'écoute, NDLR), est l'organisme qui à la fois appelle les cotisations et à la fois peut aider les agriculteurs. Or on s'aperçoit que dans la vision des agriculteurs, la MSA est celle qui tend le bâton en cas de retard de cotisations... Il faut inverser le processus : ne pas attendre que les agriculteurs en difficulté viennent s'exprimer mais que les organismes comme les banques, la MSA, les impôts, les fournisseurs, les conseillers de la Chambre d'agriculture, les associations, les élus locaux, etc. soient des sentinelles qui alertent.

Comment travaillez-vous avec les professionnels concernés ?

Il n'est pas question qu'on oublie un acteur autour de la table. Nous savons les efforts que font les chambres d'agriculture par exemple, mais il faut des moyens derrière... Beaucoup de travaux dorment au fond de tiroirs. Nous irons jusqu'au bout, c'est à dire jusqu'à obtenir des moyens.

Vous avez ouvert une plateforme d'appel à témoignages pour les proches des victimes. La consultation en ligne est ouverte depuis le 9 décembre 2020 et jusqu'au 15 janvier 2021. Qu'espérez-vous ?

Nous appelons les proches des victimes à se saisir de cet outil, qu'ils soient de la famille, des amis, des voisins, des collègues, etc. La parole est entièrement libre, et chaque contribution (anonyme, NDLR) sera utile. Ce fléau se renforce du silence qui l'entoure, nous devons briser ce cercle vicieux. Ces témoignages participeront au renforcement de la capacité d'intervention des pouvoirs publics dès l'apparition des premiers signaux d'alerte, élément déterminant pour pouvoir apporter un soutien humain, utile et efficace à celles et ceux qui en ont besoin. Fin décembre, nous avions déjà enregistré une centaine de témoignages. Nous n'espérions pas en avoir autant ! Nous allons analyser tout ça et aller sur le terrain.

La détresse des agriculteurs vient majoritairement de leur niveau de revenus. Quelles sont les filières les plus exposées ?

Les agriculteurs nous disent en effet que c'est un problème de revenus, même si bien sûr c'est souvent multifactoriel... Il faut que les gens comprennent que les agriculteurs sont dans une situation compliquée depuis des années. Ça ne s'arrête pas aux frontières françaises, et l'agri-bashing n'aide pas le désespoir de certains. Ce travail montrera l'effort énorme que font les agriculteurs en matière environnementale notamment... Les filières les plus touchées par le suicide chez les agriculteurs sont celles du bovin viande et du bovin lait. Je suis allé voir Patrick Maurin (ancien conseiller municipal de Marmande, ayant fondé l'association Le marcheur de l'espoir 47 sur la prévention du suicide dans le milieu agricole, NDLR) dans le Lot-et-Garonne, qui m'a présenté un agriculteur bovin lait. Dans cette filière par exemple, c'est un véritable scandale ! Tous les agriculteurs veulent vivre dignement de leur travail, or aujourd'hui, notamment dans ces deux filières, la moitié de leurs revenus vient de la PAC. Selon nous, il faut influer pour une meilleure politique agricole. Ce travail sera peut-être une façon de faire évoluer le modèle agricole et du revenu.

Comment est perçue l'idée d'une proposition de loi sur ce sujet sensible ?

Le film Au nom de la terre, d'Édouard Bergeon, a été vu par plus de deux millions de spectateurs et a fait l'objet d'une importante communication dans la presse, et l'auteur principal (Guillaume Canet, NDLR) a pris fait et cause pour la démarche. On n'a jamais autant parlé de ce malaise existant et ça m'a permis d'avancer, contre vents et marée. Car les syndicats notamment n'aimaient pas trop parler de ça pour ne pas rajouter un problème aux problèmes.

Quelle sera l'étape suivante ?

En fonction de ce que nous dirons les familles, nous ferons des propositions au ministre. Nous rendrons nos travaux fin février, début mars, pour une première résolution fin mars. La période est difficile, mais si c'est un problème de moyens que le gouvernement ne voudrait pas mettre, nous le dénoncerons ! Nous avons un ministre de l'Agriculture à l'écoute, et à la tête de Bercy un ancien ministre de l'Agriculture qui avait lancé l'alerte : les planètes sont alignées !

Cécile Chaigneau

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