Banque alimentaire, Restos du cœur dans l’Hérault : « On ne peut plus fournir, nous cherchons des solutions »

SERIE (1/2) - C’est notamment dans les associations venant au soutien de population en grande précarité que se mesurent les effets de la crise sanitaire du Covid-19… Dans l’Hérault, deux d’entre elles se sont mobilisées sur l’aide alimentaire et observent les premiers dommages sociaux. Comment font-elles face ? Quels sont leurs besoins ? Interviews croisées de Régis Godard, le président de la Banque alimentaire de l’Hérault, et de Joël Papon, le président des Restos du cœur dans l’Hérault.
Cécile Chaigneau
Dans l'Hérault, les Restos du coeur, qui comptent 36 centres qui tournent avec 9 salariés et 1.300 bénévoles, ont enregistré 21.673 personnes inscrites et servi 1,35 millions de repas durant l'hiver 2020.
Dans l'Hérault, les Restos du coeur, qui comptent 36 centres qui tournent avec 9 salariés et 1.300 bénévoles, ont enregistré 21.673 personnes inscrites et servi 1,35 millions de repas durant l'hiver 2020. (Crédits : Restos du coeur Hérault)

 LA TRIBUNE - La Banque alimentaire et les Restos du cœur œuvrent l'une et l'autre au soutien des populations en précarité, principalement sur l'aide alimentaire, mais suivant des modèles différents. Pouvez-vous rappeler le fonctionnement de vos associations respectives et les moyens dont vous disposez ?

REGIS GODARD, président de la Banque alimentaire de l'Hérault - La Banque alimentaire est une sorte de hub logistique pour tout l'Hérault, basé près de l'aéroport de Montpellier : nous collectons des denrées qu'on nous donne, nous les trions, les stockons et les redistribuons à des partenaires associatifs qui eux, donnent aux bénéficiaires. Nous employons six salariés et nous recevons l'aide de 190 bénévoles... Nous collectons tous les jours dans les grands magasins qui nous donnent leur surplus - environ 1.100 tonnes par an - mais aussi du sec auprès du Fonds européen d'aide aux démunis (FEAD, ndlr) - 500 tonnes par an - et des conserves et du lait auprès de l'État via la Caisse nationale des épiceries sociales. Nous cherchons également à collecter dans l'industrie agroalimentaire locale mais il n'en existe pas beaucoup dans l'Hérault... Nous distribuons ensuite à 140 partenaires dont 70 CCAS (Centre communal d'action sociale, NDLR) et 70 associations comme la Croix-Rouge, le Secours Catholique, l'Escale de Terrisse, la Porte ouverte.

JOËL PAPON, président des Restos du Cœurs dans l'Hérault - Nous avons 36 centres des Restos du cœur dans l'Hérault, avec 9 salariés et 1.300 bénévoles. Pour 10 euros récoltés, nous reversons l'équivalent de 9,20 euros aux personnes accueillies et seulement 0,2 euros pour le fonctionnement. Nous voulons rester dans le bénévolat... Nous avons trois filières d'approvisionnement : l'achat de marchandises sur notre plateforme nationale, 25% via le FEAD, et une plateforme d'opportunité pour les industriels qui ont des surplus ou des ratés de production, des dates de péremption qu'ils ne peuvent pas écouler dans le système "normal". Les Restos du cœur ne proposent pas que de l'aide alimentaire, mais aussi un accompagnement des personnes sur l'emploi, le droit à la justice, le soutien scolaire, l'alphabétisation. Nous avons des jardins d'insertion à Villeneuve-lès-Maguelone et les Toits du Cœur qui aident familles en difficulté à se loger pour leur remettre pied à l'étrier. Et enfin, le camion du cœur, sorte de cuisine centrale à Vendargues, cuisine des plats du jour et les distribuent aux gens dans la rue.

Qu'avez-vous observé chez vos bénéficiaires en un an, depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19 ?

Régis Godard - En 2020, le nombre de bénéficiaires finaux de la Banque alimentaire est monté à plus de 50.000, contre à peine 40.000 en 2019, avec 2.500 tonnes de marchandises distribuées contre 2.200 tonnes en 2019. Nous n'avons pas d'éléments précis sur leur typologie des bénéficiaires mais nous savons qu'il y a des étudiants. Au début de la pandémie, nous avons ouvert largement, notamment au CROUS suivant un contrat temporaire sur avril, mai et juin 2020, et tous les jours, on donnait pour 400 étudiants. En novembre, une association d'étudiants est venue nous voir car elle voulait faire des colis pour les étudiants. Le CROUS qui a donné son feu vert et du coup, nous donnons pour 250 étudiants mais pas tous les jours car on ne peut pas aller plus loin ! En 2020 le 1e confinement a surpris tout le monde, en particulier les distributeurs qui avaient leurs frigos pleins et les restaurants qui étaient fermés donc ils nous ont donné ! Il y a des gens qui exceptionnellement ont mangé de la côte de bœuf ! En septembre, c'était différent, les distributeurs et restaurateurs avaient anticipé... En ce moment, le nombre de bénéficiaires que nous touchons en fruits et légumes et en produits frais est de 1.300 par jour contre 900 auparavant. Parfois, on monte à 1.500. Nous alertons sur le fait qu'on ne peut plus fournir !

Joël Papon - Cet hiver 2020, nous avions 21.673 personnes inscrites dans l'Hérault, pour 1,35 millions de repas, quand les hivers précédents, nous étions à 1,3 millions, soit une légère hausse de 2,9%. Mais s'il n'y a pas beaucoup plus de personnes inscrites, c'est parce qu'il y a un phénomène de vases communicants. Nous avons une nouvelle population qui s'inscrit mais il y a aussi une population que nous n'avons pas vu avec le Covid : des personnes âgées ou seules qui n'ont pas osé venir et qu'on voit revenir aujourd'hui. Et nous nous attendons à une augmentation sur la campagne d'été pour laquelle nous prévoyons jusqu'à 1,45 millions de repas... Là où nous avons vu une explosion, c'est sur les colis de dépannage pour les gens qui ne sont pas inscrits et qui viennent nous solliciter : nous sommes passés de 1.800 à 4.940 colis sur les 16 semaines de la période d'hiver. Et cet été, nous prévoyons de monter à plus de 9.000 !... Ce qui nous attriste dans le profil des bénéficiaires, c'est qu'il y a 46% de personnes seules, les grosses familles ne représentant que 12%, et que les moins de 25 ans représentent 50,3% de la population accueillie cet hiver, contre 48% l'an dernier. On observe des situations de pertes d'emplois, parfois des couples avec des crédits sur le dos et qui n'ont plus grand-chose pour vivre. Les 60-64 ans représentent 3,45%, ce qui est un chiffre stable, et les plus de 65 ans, des personnes à la retraite qui ont du mal à joindre les deux bouts, environ 5%, avec une légère augmentation de 1%... Le 3 mars dernier, nous avons ouvert un centre restauration au CROUS de Montpellier : on attendait 300 à 400 étudiants et on est à 750 aujourd'hui ! Les étudiants n'ont plus un sou, plus de petits boulots, et certains n'ont même de quoi se payer un repas à 1 € ! D'où ce partenariat. Ce restaurant va rester ouvert indéfiniment pour l'instant, au moins jusqu'à fin 2022 et au-delà s'il le faut.

Manquez-vous aujourd'hui de moyens financiers, de marchandises collectées ou bonnes volontés bénévoles pour faire face à une nouvelle vague de besoins ?

Régis Godard - Du côté des bénévoles, ça s'est bien passé, ils ont répondu présents. Pendant le 1e confinement, comme les gens étaient confinés, le préfet avait lancé un appel à bénévoles et des jeunes sont venus nous aider. Pour les marchandises, oui aujourd'hui, nous en manquons. Le sec, ça va mais par exemple, nous n'avons plus rien pour les petits déjeuners et les grands magasins nous donnent beaucoup moins de fruits et légumes et produits de frais, probablement parce qu'ils gèrent mieux les stocks... Nous cherchons des solutions, il faut que nous allions voir des agriculteurs, des industriels de l'agroalimentaire en dehors du département. Il faut faire feu de tout bois ! Nous avons fait appel à réserve civique à en novembre pour faire la collecte dans les magasins, et ça a bien marché. La collecte nationale, cela représente 200 tonnes de marchandises pour nous. L'an dernier, nous n'avons pas pu faire la collecte de printemps et nous n'avions plus rien ! Nous en ferons une le 5 juin à Montpellier et Béziers dans les grandes surfaces, ce qui pourrait représenter 80 tonnes de marchandises collectées. Avons-nous besoin d'argent ? Oui et non. Nous faisons participer nos partenaires à ce qu'on donne à raison de quelques centimes d'euro le kilo et les 2/3 du budget sont assumés par cet appel à cotisation. Il reste donc 1/3 du budget à trouver ailleurs, et ce sont des subventions ou des mécènes. Alors oui, aujourd'hui, nous cherchons des mécènes, autant pour financer de l'exploitation que de l'investissement. Par exemple, il faut renouvelle notre flotte de camions frigorifiques.

Joël Papon - Les approvisionnement et les moyens, c'est le problème actuel. Nous allons recruter des bénévoles en masse, peut-être doubler les équipes dans certains centres comme celui du Petit Bard à Montpellier où 1.095 familles sont inscrites. Et financièrement, nous allons lancer des appels aux dons pour avoir des moyens. Tous les jours en me levant, je regarde la trésorerie... Nous avons des partenaires actifs comme la Métropole et la mairie de Montpellier, la Région Occitanie qui nous offre des produits de circuits court, le Conseil départemental de l'Hérault, mais ce n'est pas suffisant. Nous sommes à flux tendu. Nous n'avons que très peu de partenaires privés. Ça peut être sur des achats précis comme les véhicules. Nous allons faire un appel aux dons pour subvenir à notre fonctionnement et renouveler notre matériel. Sur le budget 2021-2022, nous avons besoin de 100.000 euros supplémentaires pour assurer notre mission à fond.

Retrouvez le 2e épisode de cette série ici : « C'est ça, être une mairie de gauche : trouver des solutions ! »

Cécile Chaigneau

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