« C’est ça, être une mairie de gauche : trouver des solutions ! »

SERIE (2/2) - Début octobre 2020, Michaël Delafosse, maire et président de la Métropole de Montpellier, lançait son plan de lutte contre la pauvreté sur plusieurs fronts en même temps. En pleine crise sanitaire, laquelle n’a pas fini de révéler ses répercussions sociales, et six mois après l’engagement de ce plan, où en est-on de son application sur le terrain ? Revue de détail avec les deux élus à la Ville et à la Métropole, en charge de ces questions : Clara Gimenez et Michel Calvo.
Cécile Chaigneau
En décembre 2020, Michaël Delafosse, maire et président de la Métropole de Montpellier, et Jacques Witkowski, préfet de l'Hérault, rendaient visite aux associations en charge du marché de la solidarité, un espace dédié essentiellement à l'aide alimentaire.
En décembre 2020, Michaël Delafosse, maire et président de la Métropole de Montpellier, et Jacques Witkowski, préfet de l'Hérault, rendaient visite aux associations en charge du "marché de la solidarité", un espace dédié essentiellement à l'aide alimentaire. (Crédits : DR)

La crise sanitaire du Covid-19 n'aura fait qu'aggraver la situation des plus précaires, notamment des jeunes, avec des conséquences sociales et économiques dont on ne peut encore pleinement prendre mesure... Si les répercussions attendues seront « majeures » selon l'Observatoire des inégalités, ce sont surtout les remontées de terrain et les alertes des associations en charge de la distribution alimentaire qui ont, pour l'heure, renvoyé les premiers signes d'une montée de la pauvreté.

Avec 26% de la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté, quand la moyenne nationale est de 14%, Michaël Delafosse, le maire et président de la Métropole de Montpellier, a voulu acter son engagement dans la lutte contre la pauvreté dès le début de son mandat. La Ville, la Métropole et le Centre Communal d'Action Sociale (CCAS) de Montpellier ont donc dégainé un plan dédié dès octobre 2020.

Ce plan à 1 million d'euros par an sur trois ans est financé par les différentes parties prenantes : 484.500 euros pour la Ville de Montpellier, 152.000 euros pour le CCAS et 363.500 euros pour la Métropole, 50% de ces subventions étant financés par l'État, soit 500.000 euros. Soit la mobilisation d'un million d'euros par an, pour les années 2020 à 2022. Il a été orienté selon trois axes prioritaires : l'accès au droit et à la santé, la lutte contre la précarité alimentaire et l'inclusion sociale et professionnelle.

« On ira chercher le moindre euro avec les dents »

Depuis plusieurs mois maintenant, deux élus à la Ville et à la Métropole sont sur le pont : Michel Calvo, délégué à la Ville fraternelle et solidaire (PS), et Clara Gimenez, vice-présidente à la Métropole déléguée à la politique de la ville et à la cohésion sociale (PCF).

« Je suis en charge de la vie étudiante et je vois leur situation se dégrader, témoigne aujourd'hui Clara Gimenez. Ce qui m'inquiète, ce sont les conséquences sur le plus long terme, les entreprises qui vont fermer. Nous voulons rendre visibles les dispositifs qui existent pour les étudiants, mis en place par l'université, le Crous, des associations, et apporter une réponse sur l'isolement social et le risque de suicide. Par exemple, nous ouvrons les Maisons pour tous pour qu'ils puissent y travailler en petits groupes. »

Michel Calvo précise que « le CCAS est en train de réaliser une analyse précise des besoins sociaux et nous y verrons plus clair au sortir de l'été. Ce million d'euros vient en plus de nos diverses activités sur le social qui passent par d'autres services de la ville, comme par exemple les repas pour les familles monoparentales (cantine à 50 centimes pour les familles monoparentales modestes, NDLR). En organisant des États généraux de la solidarité, probablement reportés en septembre, nous avons lancé un bilan de mise à plat de la distribution de l'aide alimentaire et de l'accès au droit ».

« Nous savons que nous avons un taux de pauvreté important et de vrais besoins sur le territoire, il y a peu de chance de taper à côté de la cible, s'exclame la jeune vice-présidente à la politique de la ville et à la cohésion sociale. L'objectif est de travailler sur les États généraux, sur la Nuit de la solidarité à venir qui permettra de compter le nombre de sans-abris. Nous voulons évaluer les politiques publiques pour être sûrs d'être dans le juste. L'objectif, c'est de donner du sens et de la cohérence aux dispositifs... La base, c'est un million d'euros chaque année, on fera le bilan tous les ans et on réévaluera si besoin. On ira chercher le moindre euro avec les dents ! »

Aide alimentaire et "marché de la solidarité"

A qui s'adresse ce million d'euros ? Comme partout, les fonds sont souvent attribués à des opérateurs et associations qui portent les actions, « car ce sont eux qui connaissent le mieux le territoire et les publics cibles », admettent les deux élus.

Sur le volet de l'aide alimentaire, « notre 1e étape, c'est faire un diagnostic sur ce qui existe sur la ville car nous voulons créer un réseau de huit épiceries sociales et solidaires couvrant tout le territoire, venant renforcer les cinq qui existent déjà, précise Michel Calvo. Nous allons lancer deux appels d'offres et le CCAS va aussi en créer une. En pratique, nous voulons profiter que les familles viennent pour vérifier qu'elles ont bien accès au droit, à la santé, au logement, etc. pour les pousser à devenir acteur de leur situation ».

Parce que les épiceries sociales couvrent les besoins des familles mais pas ceux des sans-domicile-fixe, une plateforme de distribution alimentaire inter-associative avait été créée en mars 2020 pour les personnes séjournant dans des squats, des bidonvilles ou dans la rue et, plus globalement, à toute personne en situation de précarité. Durant deux mois, près de 4.000 personnes dont 2.000 personnes à la rue, ont bénéficié de colis alimentaires. La plateforme est devenue une épicerie solidaire, baptisée « Marché de la solidarité » et pilotée par le Secours Populaire, et soutenue financièrement par la Ville et la Métropole.

« Sur l'année 2020, 200.000 euros ont été dépensés à ce jour pour huit initiatives d'aides alimentaires, et nous conserveront ce même niveau de soutien en 2021 », précise Michel Calvo.

De l'habitat intercalaire en alternative aux squats

Parce que l'une des mesures du plan de lutte contre la pauvreté prévoit un meilleur accès à l'hygiène pour les personnes en grande précarité, la Ville et la Métropole soutiennent des actions comme celle de la bulle-douche ou de distribution de kits d'hygiène portées par les associations.

« L'enjeu est de renforcer les maraudes de la bulle-douche nomade dans un camping-car pour les SDF (afin d'offrir une alternative à la douche dans les sanisettes publiques, NDLR) et une personne a été recrutée pour se substituer aux bénévoles, précise Clara Gimenez. Il est prévu de distribuer 20.000 kits d'hygiène. Des conventions ont été signées pour augmenter les capacités de la bagagerie de l'association ISSUE (Centre d'hébergement et de réinsertion sociale, NDLR) et nous fournissons des jetons de laverie. Les travaux d'amélioration des douches existantes dans les associations ont été réalisés pour la plupart... Il y a la volonté de créer un lieu multi-partenarial pour les familles à la rue, c'est à dire celles qui sont à l'hôtel, en bidonville ou en squat. Ce sera un lieu d'accueil spécifique avec PMI, CAF, Planning familial, accompagnement scolaire, des moyens pour cuisiner... Le porteur de projet est choisi, il s'agit d'une association languedocienne pour la jeunesse, et nous recherchons des locaux. »

Pour les sans-abris, Michel Calvo évoque la difficulté à trouver un hébergement « malgré les efforts des préfets ou du 115 qui cherchent des solutions en priorité aux familles ». Pour contrer l'augmentation des squats qui, d'habitat précaire devient habitat pérenne, il évoquait fin mars le lancement d'un lieu expérimental avec l'association Luttopia « sous le statut d'habitat intercalaire dans des locaux municipaux destinés à des opérations immobilières et qui vont être vides pendant quelques années ».

Le 12 avril dernier, la Ville de Montpellier, le CCAS, la Préfecture de l'Hérault, la Direction Départementale de la Cohésion Sociale, l'association Luttopia, la Fondation Abbé Pierre et le Secours Catholique ont en effet acté collectivement la mise à disposition pour trois ans par la Ville de Montpellier et la SA3M de trois maisons pour ce projet d'expérimentation sociale. Il s'articulera autour d'un accueil de jour inconditionnel (ouvert à tous et d'une capacité d'une vingtaine de personnes) et d'hébergements (environ 20 à 25 places) pour des personnes en précarité. Afin d'accompagner ce projet, la Ville de Montpellier et l'État soutiendront l'association Luttopia à hauteur de 40.000 €.

« Nous sommes également en train de réfléchir à l'organisation de cantines populaires qui serviraient des repas le soir à la fois pour les publics de la rue et les personnes hébergées en hôtel qui n'ont pas les moyens de préparer leurs repas et qui ont droit eux aussi à manger dans des conditions acceptables, assis à une table, en pouvant parler à leur voisins », déclare Michel Calvo.

« Ni pro ni anti-squats »

« Nous avons désigné le bidonville de Celleneuve, le plus important sur les dix que compte la ville, pour le fermer en juin 2022, ajoute l'élu municipal. Cela représente 200 personnes à reloger sur deux ou trois sites, dont certains vers un village d'insertion. Nous sommes en train d'identifier les terrains. Ce village fonctionnera comme un sas vers l'intégration pour les habitants des bidonvilles. »

« Jusqu'à présent, il existait des sujets tabous qui n'étaient pas pris à bras le corps, souligne Clara Gimenez. Pour moi, c'est ça, une mairie de gauche : n'être ni pro ni anti-squat mais trouver des solutions. »

Début 2019, sous la présidence de Philippe Saurel, le prédécesseur de Michaël Delafosse, et dans le cadre de la déclinaison du plan quinquennal du gouvernement "Logement d'abord", la Métropole de Montpellier avait été sélectionnée par le ministère de Logement comme « territoire de mise en œuvre accélérée ».

« L'objectif est de réduire significativement le nombre des sans-abris, rappelle Clara Gimenez. Différentes pistes ont été examinées, dont la création d'un observatoire des inégalités et des situations, la création de pensions de famille, la mise à disposition du "bail d'abord" - un bail glissant : les gens sortent de la rue, bénéficient d'un bail signé par une association et au bout d'un an le bail glisse à leur nom - ou la création d'un foncier solidaire (évoqué lors du conseil métropolitain du 29 mars par le président Delafosse, NDLR). »

Insertion et emplois

Enfin, sur le volet du développement des dispositifs d'insertion par l'économique, Clara Gimenez évoque trois chantiers lancés : « "La Fabrique à vélo" portée par l'association Recycle & Vous, avec 14 bénéficiaires en 2020, le dispositif "Tremplin pour les métiers du sanitaire et social" porté par l'IMEIF avec quatre femmes bénéficiaires en 2020, et 16 personnes qui ont participé au projet de maraîchage "Jardins de cocagne" ».

La collectivité métropolitaine fait aussi appel à la mobilisation des entreprises, au travers d'une action baptisée "Diversifiez vos talents".

« L'objectif est de mettre en relation des candidats en recherche d'emploi, dont 50% vivant en quartiers prioritaires, explique l'élue. Le candidat se fait connaître, son profil est établi par la plateforme et les entreprises, qui ont déposé des offres d'emploi, ont accès à ce profil. En 2020, 284 personnes se sont inscrites, 87 bénéficient d'un accompagnement de l'association Coraline et de son dispositif "C'FaitPourVous" dont 46 personnes issues des quartiers prioritaires, 104 offres d'emplois ont été publiées et on a enregistré 30 sorties positives : 15 CDI, 7 contrats d'alternance et 8 CDD. »

Dans le centre d'expérimentation et d'innovation sociale, créé depuis deux ans par le CCAS, Michel Calvo souligne qu'« une équipe lutte contre l'isolement informatique et l'inégalité d'accès à internet et accompagne les publics en grande difficulté vers l'emploi, et nous avons ajouté un volet d'accompagnement pour les réfugiés en parcours de droit d'asile. Idéalement, il faudrait une structure semblable sur le quartier de la Mosson et sur les quartiers sud de la ville ».

Retrouvez le 1e épisode de cette série ici : Banque alimentaire, Restos du cœur dans l'Hérault : « On ne peut plus fournir, nous cherchons des solutions »

Cécile Chaigneau

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