Relance : « On ne veut pas des aides, on veut du travail » (F. Carré, FFB Occitanie)

INTERVIEW - Secteur stratégique en Occitanie, le BTP pèse pour plus de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires et quelque 156.000 emplois. Même si les entreprises ont rapidement pu se remettre au travail, elles craignent le trou d’air que risque de générer la crise Covid et compte sur le plan de relance et l’engagement de la fin du plan Marshall (lancé par la Région Occitanie en 2016) pour maintenir leur activité à flot. Frédéric Carré, président de la FFB Occitanie, fait le point.
Cécile Chaigneau
Frédéric Carré, président de la FFB Occitanie, craignant le trou d'air généré par la crise Covid, compte sur les chantiers qui seront financés dans le cadre du plan de relance dès 2021.
Frédéric Carré, président de la FFB Occitanie, craignant le trou d'air généré par la crise Covid, compte sur les chantiers qui seront financés dans le cadre du plan de relance dès 2021. (Crédits : DR)

La Tribune - Le bâtiment pèse quelque 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel en Occitanie, soit 6% du PIB, et emploie 156.000 actifs. Un poids lourd de l'économie régionale. Quel bilan d'activité faites-vous sur l'année 2020 ?

Frédéric Carré, président de la FFB Occitanie - « Après un arrêt brutal lors du premier confinement au niveau national, on a pu reprendre assez vite le travail sur les chantiers. Malgré tout, nous avons travaillé en mode dégradé, avec des ruptures d'approvisionnement notamment. Ce mode dégradé a affecté toute la chaîne du BTP. On prévoyait 20% de chiffre d'affaires en moins, et finalement on aura fait - 15% au national. Mais cela reste une baisse historique ! En Occitanie, la chute a fait un peu moins mal, avec une baisse du chiffre d'affaires de - 12%, ce qui est déjà beaucoup. »

Les entreprises ont-elles tenu le coup et réussi à préserver les emplois ?

« Oui, on a pu maintenir l'emploi. Le secteur était déjà en tension mais l'intérim a souffert, en agissant comme variable d'ajustement. Il affiche une chute de - 30%. Les entreprises tiennent bon parce que les aides de l'État jouent encore à plein - reports de charges fiscales et sociales, PGE notamment - mais demain, il faudra rembourser. Et en parallèle de ces charges financières à venir, on va subir un effet ciseaux avec moins de volumes d'activité moins bien vendus en raison d'une guerre des prix féroces qui va s'opérer. »

Le Plan de relance du gouvernement sera-t-il à la hauteur pour assurer 2021 dans votre secteur ?

« Dans le Plan de relance, il y a 7 milliards d'euros pour la rénovation énergétique dont 4 milliards d'euros sur les bâtiments publics et 2 milliards d'euros sur la prime rénovation. En octobre dernier, le gouvernement a débloqué 2,7 milliards d'euros pour la rénovation des bâtiments publics, et en Occitanie, nous avons 10% de cette enveloppe, soit 270 millions d'euros pour 96 projets qui peuvent être déclenchés avant fin 2021. Autrement dit, l'État injecte 25% de la baisse de notre chiffre d'affaires en 2020, et joue donc l'amortisseur. A condition que ces chantiers arrivent maintenant ! Comme tous ils sont en dessous 5 millions d'euros, ils sont plus rapides et plus accessibles aux TPE et PME locales. C'est bien réfléchi ! »

Cela suffira-t-il ?

« Attention, je veux casser l'idée reçue que le bâtiment, ça va : on va se prendre un trou d'air énorme ! C'est pour ça qu'on a besoin que l'État joue son rôle maintenant. Car même s'il y a de l'argent disponible, les entreprises n'investissement pas. Il faut redonner de la confiance... Les investissements sont en chute libre. D'habitude, notre activité provient à 65% du privé et à 35% du public, et la typologie des travaux, c'est 55% d'entretien, dont tout ce qui est réhabilitation et rénovation, et 45% de neuf. Or aujourd'hui, sur l'entretien, l'activité a chuté de 8% au niveau national et le neuf de 22%, notamment en raison des permis de construire qui ne sortent pas... Par ailleurs, on doit faire face à une augmentation brutale du prix de la matière première depuis janvier. Elle est de + 30% en moyenne sur l'acier et le bois va suivre, le verre aussi. Et on ne peut même pas répercuter cette hausse sur nos clients car les marchés sont signés. C'est une problématique qui vient se rajouter. »

La filière BTP compte également sur le Plan Marshall 2016-2020 (800 millions d'euros), lancé par la présidente de la Région Occitanie, Carole Delga...

« Il reste en effet la fin du plan Marshall. La Région s'était engagée sur un montant et elle va tenir ce plan d'investissement. Aujourd'hui, on travaille avec la Région sur le contrat de filière pour les cinq prochaines années. »

Forte de ces dispositifs de soutien, à quoi pourrait ressembler 2021 dans le BTP ?

« On prévoit un rebond de 11% par rapport à 2020, ce qui sera quand même 5% en dessous du niveau d'activité de 2019, ce qui représente un risque de perte de 5.000 emplois, soit - 4%... C'est pour ça que tous les projets du Plan de relance, ça doit être maintenant ! Il manque un million de logements en France et les équipements publics qui vont avec, il faut rénover les infrastructures, etc. Les objectifs fixés par le gouvernement sont de 500.000 logements produits par an, or en 2019, on n'était qu'à 410.000... Et on prévoit d'en construire 310.000 en 2021. On souffre de la raréfaction des sols, des nouvelles municipalités qui ne veulent plus construire. Il y a de vrais problèmes sur les permis de construire ! Par exemple, chez Promologis, que je préside, on n'a jamais déposé autant de permis de construire qu'en 2019 mais 30% ne sont pas sortis. Le problème, c'est surtout la "vague verte" qui fait qu'on ne veut plus densifier, qu'on ne veut plus d'étalement urbain, donc les droits à construire sont revus à la baisse. Mais alors on construit où ?! Le problème est à la fois administratif et politique... Aujourd'hui, il faut surtout éviter ce trou d'air. On ne veut pas des aides, on veut du travail. Or il y a des besoins. »

Les entreprises régionales du BTP rencontrent des difficultés pour pouvoir les emplois. Quels sont les métiers en tension et comment pensez-vous pallier ces difficultés ?

« On était déjà en tension avant la crise liée au Covid-19 et on y est encore. Les métiers les plus en tension sont le gros œuvre, la métallerie, la plomberie, la menuiserie, les métiers de la rénovation énergétique. Sur ces derniers, c'est normal car ce sont de nouveaux métiers et il faut qu'on forme des gens... Aujourd'hui, il y a 18.000 emplois non pourvus dans le BTP en région sur la plateforme de Pôle Emploi, et dans le même temps, Pôle Emploi enregistre 30.000 demandeurs d'emploi dans le BTP... C'est un secteur où il y a un important turn-over, une pyramide des âges vieillissante et une forte diminution des jeunes qualifiés. On a environ 25% de jeunes en moins qui sortent des écoles depuis une dizaine d'années... Nous venons de signer une convention avec Pôle Emploi (et la CAPEB, ndlr) pour favoriser les embauches dans le secteur. Il faut qualifier les fichiers de Pôle Emploi, regarder territoire par territoire, mieux aiguiller les demandeurs d'emploi, faire de l'immersion professionnelle... Le BTP peut être un amortisseur de la crise en aidant à reconvertir des salariés. »

Quel impact pourrait avoir la nouvelle réglementation environnementale RE 2020 ?

« Nous travaillons avec la méthode de calcul du label Bâtiments à Énergie Positive et Réduction Carbone (E+ C-, basée sur deux indicateurs : le bilan BEPOS et le bilan carbone (bilan énergétique et performance environnementale du bâtiment, NDLR). Et d'un coup, ils changent de méthode et ce qui rentre en compte, ce sont les matériaux utilisés et leur coût carbone dans le temps ! Par exemple, le bois a un bilan carbone négatif donc à 2027, toutes les maisons seraient en bois. Pour la filière, c'est catastrophique ! Et c'est impossible et suicidaire ! La FFB n'est pas contre, mais il faut nous donner du temps et il faut conserver une mixité de matériaux... Si on pouvait nous laisser un peu tranquilles en ce moment. Avec la crise Covid, c'est intenable ! D'autant que cette règle n'existe nulle part ailleurs. »

Cécile Chaigneau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.