« L’immobilier commercial doit se réinventer et s’adapter aux tendances de fond de retour dans les cœurs de ville » (N. Chambon, SOCRI)

Après avoir été délaissés au profit des méga-centres commerciaux de périphérie, les cœurs de ville retrouvent un souffle à la faveur d’une nouvelle dynamique commerciale pour les commerces de proximité. À Montpellier, Béziers ou Nîmes, ils sont notamment boostés par les grosses locomotives que sont les centres commerciaux type Polygone ou Coupole. Mais des signaux d’alerte démontrent qu’ils ne peuvent s’exonérer d’une démarche d’adaptation aux nouveaux modes de consommation. Décryptage.
Cécile Chaigneau
Rénové en 2019 et 2020, le centre commercial de centre-ville Polygone Montpellier compte actuellement 100 commerces et annonce plus de 14 millions de visiteurs en 2023.
Rénové en 2019 et 2020, le centre commercial de centre-ville Polygone Montpellier compte actuellement 100 commerces et annonce plus de 14 millions de visiteurs en 2023. (Crédits : Socri Immo)

Augmentation des charges, explosion des coûts des matières premières, baisse du pouvoir d'achat et changement des habitudes de consommation. Les commerces de centres-villes doivent s'accrocher dans un contexte difficile. Habitat, Camaïeu, NafNaf, Pimkie, Burton... Les enseignes de prêt-à-porter et d'équipements de la maison ferment en cascade, comme autant de mauvais signaux.

Le 9ème baromètre du Centre-Ville et des Commerces, dévoilé en avril dernier par l'association Centre-Ville en Mouvement (président : Philippe Laurent, maire de Sceaux), indique que 64% des Français sont attachés à leur centre-ville et même 70% dans les 244 villes du programme « Action cœur de ville » où la fréquentation est revenue au niveau d'avant-crise. Pourtant 40% des habitants considèrent que le centre-ville est en déclin et 34% que le commerce de proximité doit être la priorité pour le dynamiser. En revanche, les commerces indépendants s'en sortent mieux, « car ils ont une clientèle qui leur est propre, fidèle », souligne Philippe Laurent.

Ainsi, selon l'observatoire Ankorstore du Commerce Indépendant 2024, réalisé en partenariat avec le Conseil du Commerce de France, même si 60% des Français (64% en Occitanie) ont déclaré que leur pouvoir d'achat s'était (encore) dégradé cette année, ils se disent très attachés à leurs commerces indépendants de proximité : 40% des Occitans les fréquentent au moins une fois par semaine. Du côté des commerçants occitans, 63% considèrent que leur situation est tendue et 53% constatent qu'ils ont été de plus nombreux à fermer en 2023. Pour faire face, 56% ont augmenté leurs prix en 2023 et 43% l'ont déjà fait ou l'envisagent pour 2024.

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« Splendeur et attractivité commerciale »

Alors que les prêteurs sont plus regardants et que l'accès aux financements est encore difficile, le groupe montpelliérain d'immobilier commercial SOCRI Limited vient de consolider sa structuration financière en souscrivant, à la mi-juillet, un prêt hypothécaire à impact de 103 millions d'euros auprès d'un pool bancaire (La Banque Postale, Natixis et NBK France) pour refinancer le Polygone de Béziers, un actif de 123 commerces (120 millions d'euros de chiffres d'affaires cumulés) sur 39.000 m2, entré dans le groupe en 2012 et qui annonce « près de 5 millions de visites annuelles » en 2023.

SOCRI Limited opère principalement sur l'arc méditerranéen, avec un chiffre d'affaires annuel d'environ 30 millions d'euros (65 salariés) pour une gamme d'actifs incluant des commerces (le cinéma Gaumont de Montpellier, les murs des Galeries Lafayette à Béziers), des centres commerciaux (Polygone Béziers depuis 2012, une partie du Polygone Montpellier depuis 2019, Coupole de Nîmes depuis 2021), des bureaux et des résidences de luxe aux Etats-Unis (la première sera livrée en septembre). Le groupe a aussi décroché, en 2019, le vaste projet de renouvellement urbain du quartier de Fontvieille initié par la Principauté de Monaco pour redynamiser l'offre commerciale et résidentielle : un dossier complexe, toujours en phase d'étude et qui pourrait aboutir en... 2029.

En juin 2021, le président de SOCRI Limited, Nicolas Chambon, promettait de redonner « splendeur et attractivité commerciale » à La Coupole, en cœur de ville de Nîmes. Après une première phase de travaux (1 million d'euros), l'exploitant annonce un chiffre d'affaires des commerces de 45 millions d'euros, « supérieur de 17,8% à celui de 2019 », et une fréquentation en hausse de 6% par rapport à il y a cinq ans, « alors qu'elle baissait depuis dix ans, avec 30% de vacance des locaux commerciaux ». La deuxième phase des travaux (9 millions d'euros) a démarré en juin et se terminera à l'automne 2025, avec l'arrivée de l'enseigne emblématique des Galeries Lafayette, poursuivant une collaboration de SOCRI et du groupe Planet Indigo initiée par la reprise du magasin Galeries Lafayette de Béziers en 2016 et consolidée en 2022 avec la reprise des Galeries Lafayette en Avignon.

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« L'immobilier commercial s'est professionnalisé »

Le groupe vient de fêter ses 20 ans. Vingt ans de métier dans le rétroviseur pour Nicolas Chambon.

« Dans l'immobilier commercial, trois grandes tendances sont intéressantes, observe-t-il. D'abord, la part de marché des ventes de détail en ligne baisse en France depuis trois ans (plu précisément, selon les chiffres de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance, elle stagne à 10% en 2022 et 2023, après être montée de 9% en 2019 à 12% en 2020 et 2021, NDLR). L'inflation n'a pas amené de gros changement à nos paniers moyens. Mais la tendance lourde à la concentration des acteurs vers des grands groupes nationaux ou internationaux qui tirent prix vers le bas met les commerçants indépendants en difficulté... La deuxième tendance, c'est un vrai coup d'arrêt vingt ans d'étalement urbain et d'appauvrissement des villes moyennes : depuis cinq ans, on observe une forte décélération des autorisations en matière d'urbanisme commercial. À ce titre, le ZAN (zéro artificialisation nette, NDLR) est une bonne chose, et conforte notre modèle de centres commerciaux en cœur de ville. Enfin, il y a aussi un phénomène de concentration dans l'immobilier commercial : pendant un temps, il était facile de trouver des commerces locataires mais aujourd'hui, c'est plus compliqué, donc le secteur s'est professionnalisé. »

SOCRI Limited est copropriétaire du Polygone de Montpellier avec Elancia, propriétaire majoritaire, et SOCRI Promotion (deux autres entreprises de la famille Chambon), « mais nous ne sommes pas les mieux placés pour en parler, nous sommes propriétaires de la coque Monoprix au sein du Polygone, qui fonctionne très bien et a bénéficié de la rénovation du centre commercial », souligne Nicolas Chambon. Grâce un long chantier de rénovation de 67 millions d'euros, le Polygone de Montpellier, énorme locomotive commerciale de l'Ecusson montpelliérain, s'est en effet refait une jeunesse. Sollicitée, Elancia s'est contentée d'un mail de son service marketing en guise de réponse : « Le Polygone compte actuellement 100 commerces, plus de 14 millions de visiteurs en 2023 avec plus de 90 événements gratuits organisés. Nous ne communiquons jamais sur les chiffres d'affaires et les taux d'occupation ».

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Un taux de vacance commerciale de 6%

Si les cœurs de villes ont retrouvé de la fréquentation, les commerces ne sont pas pour autant sortis d'affaires, et les enseignes ayant tiré le rideau ou les locaux commerciaux laissés vacants ne sont pas un bon signal... Montpellier se targue pourtant d'un taux de vacance commerciale bas : 6% selon le maire Michaël Delafosse, qui concède « une faiblesse : les loyers sont chers ! »...

« Dans les villes moyennes, ce taux peut monter à 20%, se félicite l'élu PS. Nous sommes très attentifs à lutter contre ce phénomène, que ce ne soit pas des enseignes disqualifiantes qui s'y installent... Avec la CCI, nous avons une stratégie d'accompagnement, notamment l'opération Visio Commerce (la dernière a eu lieu en décembre 2022 avec 50 développeurs et commercialisateurs présents et la prochaine se déroulera au 1er trimestre 2025, indique la CCI - NDLR). »

Philippe Laurent, le maire de Sceaux juge lui aussi les loyers commerciaux dans certains cœurs de villes « beaucoup trop élevés » et appelle de ses vœux « des évolutions législatives et règlementaires », ainsi qu'un changement de règles sur la taxe sur les locaux commerciaux vacants pour éviter cette déshérence... Une mesure que valide Michaël Delafosse, rappelant que la Ville de Montpellier impose déjà, à son initiative, « une taxe, la plus haute possible, sur les surfaces commerciales vacantes ».

« S'ancrer dans le digital »

À la CCI, on pondère les bons chiffres de fréquentation : « Fréquentation ne veut plus forcément dire consommation et la vacance commerciale est un indicateur mouvant car les cellules commerciales peuvent être le sujet de succession ou peuvent ne plus être adaptées au fonctionnement commercial actuel, avec des travaux en cours ».

« L'enjeu aujourd'hui pour le commerce physique est de s'ancrer pleinement dans le digital pour gagner des marges de manœuvres qui permettront de faire vivre les points de vente physiques et répondre aux nouvelles façons de consommer, préconise-t-on à la CCI. Même si les enseignes nationales sont des locomotives, les centres-villes de Montpellier et Béziers tirent leur force des 2/3 d'indépendants qui y sont installés. Il s'agit d'un subtil équilibre. »

Nicolas Chambon, qui loue la décision de début de mandat prise par le maire de Montpellier d'abandonner la grosse opération d'urbanisme commercial « Ode à la mer » en périphérie de la ville, en appelle à l'adaptation : « L'immobilier commercial doit se réinventer, les habitudes et les enseignes changent, on s'adapte, notamment aux évolutions vers les loisirs et la restauration qui sont des tendances de fond de retour dans les cœurs de ville ».

Une tendance qui doit cependant composer avec certains changements de taille, comme on le rappelle à la CCI : « Il y a un an déjà, nous avons amorcé le sujet du changement de modèle économique avec les commerçants, car les habitudes de consommation ont évolué : l'essor du télétravail par exemple, ce sont des potentialités de consommation en moins pour les cafés-hôtels-restaurants et les commerçants en général ».

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« Aujourd'hui, la priorité, c'est le cœur de ville »

Selon le baromètre du Centre-Ville et des Commerces, 85% des Français considèrent que le maire et son équipe sont les plus pertinents pour moderniser les centres-villes et le commerce. Des attentes auxquelles le maire de Montpellier affirme apporter des réponses.

« Les modes de consommation dans les grandes enseignes ont montré leur limites, rappelle l'édile socialiste. On doit s'adapter : pas de nouvelles surfaces qui concurrencent les commerces de centre-ville. L'Écusson est une priorité. Pendant longtemps, l'argent public allait au quartier Port-Marianne, un projet formidable, mais aujourd'hui, la priorité, c'est le cœur de ville. »

L'édile préconise « une centralité forte, puissante, lisible » et énumère les efforts en matière de sécurité, l'amélioration des dessertes en transports en commun, l'offre de parking, les événements comme Cœur de ville en Lumière qui viennent soutenir la dynamique commerçante, l'extension en cours de la piétonisation (boulevards Gambetta et Clémenceau, connexion vers Antigone) et la stratégie d'embellissement de la Ville avec « aujourd'hui, la reprise des dalles et l'unification du mobilier de terrasses de la place de la Comédie, la nouvelle esplanade Charles de Gaulle, et demain la transformation de la place de la Préfecture et de la place des Arceaux ».

« Je m'appuie surdeux références : Nîmes et Bordeaux », revendique l'élu montpelliérain.

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« En 2013, le Jeu de Paume, c'était 26.000 voitures »

Le 13 juin dernier, l'Atelier Tuffery, entreprise lozérienne de fabrique de jeans, s'est installé en grande pompe rue du Jeu de Paume, un secteur légèrement à l'écart du cœur battant de la capitale languedocienne où la greffe commerçante a tardé à prendre.

« Ce n'est plus le cas, assure le maire. En 2013, le Jeu de Paume, c'était 26.000 voitures et des enseignes à l'abandon. Aujourd'hui, c'est un circuit de chalandise. Nespresso, The North Face ou la librairie Le Grain des mots sont là, et la Comédie du Livre ou les Hivernales installées au Peyrou dynamisent les flux marchands. »

Quid du dossier de rénovation de la galerie du Triangle, à deux pas de la Comédie ? Ne s'enlise-t-il pas dans le temps ? Michaël Delafosse défend le projet : « Non ! Altemed (aménageur de la Métropole de Montpellier, NDLR) est entré dans le jeu pour monter un projet de rénovation qui s'inscrit dans le projet de ZAC Bofill et qu'on présentera en 2025, mais il faut composer avec de nombreux copropriétaires ».

Quant à l'immeuble Le Capoulié, immeuble historique de la rue Maguelone, inoccupé depuis 2018 et objet d'un projet d'extension de la librairie Sauramps abandonné en juin 2023, Michaël Delafosse confirme que l'enseigne de décoration danoise Søstrene Grene s'y installera en novembre 2025.

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 24/07/2024 à 17:36
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Le plus important des handicaps est le montant des loyers et des charges afférentes et quelques grosses locomotives ne suffisent pas à attirer suffisamment de clients pour faire vivre les autres commerces sous enseignes nationales. Je le constate r...

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