« La mondialisation est en processus de désamour et l’ESS est une force »

SERIE (1/3) – Le "Mois de l’Economie Sociale et Solidaire" démarre, avec son lot d’événements destinés à faire découvrir l’ESS et comprendre ce que cette forme d’économie apporte à une société en pleine transition. Après deux années de crise sanitaire, dans un contexte mondial poussant la France à améliorer son niveau de souveraineté, et alors que la responsabilité sociale, sociétale et environnementale prend une place de plus en plus grande dans le monde économique, l’ESS répond-elle aux enjeux stratégiques actuels ? En Occitanie, les sociétés coopératives sont au nombre de 650, avec une belle dynamique des Scic. Entretien avec Séverine Saint-Martin, présidente du pôle Méditerranée de l’Union régionale des Scop (URSCOP) Occitanie.
Cécile Chaigneau
Séverine Saint-Martin, présidente du pôle Méditerranée de l'Union régionale des Scop (URSCOP) Occitanie.
Séverine Saint-Martin, présidente du pôle Méditerranée de l'Union régionale des Scop (URSCOP) Occitanie. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Comment se portent les sociétés coopératives régionales (Scop et Scic) d'Occitanie-est ?

Séverine SAINT-MARTIN, présidente du pôle Méditerranée de l'Union régionale des Scop (URSCOP) Occitanie - L'ESS, ce sont les sociétés coopératives Scop et Scic (Sociétés coopératives et participatives et Sociétés coopératives d'intérêt collectif, ndlr), les associations, les mutuelles et les fondations. L'Occitanie est la première région en terme de croissance des sociétés coopératives sur les cinq dernières années, que ce soit en termes de nombre de créations-reprises ou de développement des entreprises, notamment d'emplois. Les sociétés coopératives sont au nombre de 650 en Occitanie pour 9.000 salariés, dont 250 du côté Méditerranée pour 3.000 salariés. La croissance de l'ESS en général est portée par celle des Scop et des Scic... Le choix stratégique de l'URSCOP s'est initialement porté sur l'innovation sociale, ce qui a permis le développement de coopératives. Au niveau national, on dénombre environ 1.000 Scic, et si leur développement est encore récent, il est important. En Occitanie Méditerranée, on compte 2/3 de Scop et 1/3 de Scic, ce qui est conséquent. Et je rappelle que l'URSCOP Languedoc-Roussillon a été la première à se doter d'un incubateur, Alter'Incub, puis d'un accélérateur, Alter'Venture.

Qu'observez-vous parmi les projets récents que l'URSCOP accompagne ?

De ce côté de la région Occitanie, on est plutôt une terre de services, donc on voit globalement plutôt des activités qui se créent dans ces secteurs, liés à l'écologie ou l'agro-écologie notamment. Par exemple Oc'Consigne (réemploi d'emballages en verre, ndlr)... Sur notre territoire, on note aussi la présence de nombreuses entreprises coopératives du numérique : je pense notamment à de belles réussites comme Heredis (généalogie, ndlr) ou Libriciel (logiciels open-source, ndlr). On observe une volonté d'entreprendre autrement dans le commerce de proximité, avec un impact sur la vie de quartier, comme par exemple des librairies coopératives : il existe La Cavale à Montpellier, et trois autres sont créées ou en cours de création. On peut aussi souligner la création en Scop des Coursiers Montpelliérains en réponse à la précarité de Deliveroo, ou la belle reprise de l'Auberge du Cèdre à Lauret, un hôtel-restaurant que les propriétaires ont transmis aux salariés et à quelques clients via une Scic.

La crise sanitaire ou les enjeux de souveraineté ont-ils fait bouger les lignes dans le sens de l'ESS ? Les prises de conscience orientent-elles vers plus de projets écologiquement et socialement responsables ?

Les projets n'ont pas le choix de faire autrement ! On appelle ça avoir un impact. Les structures mêmes traditionnelles n'ont pas le choix que de changer leur mode de production, de distribution, de fonctionnement. L'ESS est tirée aujourd'hui par son mode d'entreprendre, basé sur la gouvernance démocratique, le partage des richesses, l'intégration de l'ensemble des parties prenantes. Autant d'éléments qui sont demandés par les citoyens dans la transformation des modèles économiques pour développer une meilleure souveraineté territoriale et aller vite en réaction au changement climatique. Les entreprises de l'ESS inspirent l'économie dans sa globalité et donc les entreprises traditionnelles... Nous sommes à un moment historique de notre histoire collective : l'impact du changement climatique nous touche au quotidien, et il y a des mutations accélérées à avoir au niveau des territoires dans tous les domaines, habitat, mobilités, consommation, etc. On sort aussi d'une crise sanitaire qui a bousculé les consciences - on a beaucoup parlé du monde d'après - même si on voit bien que ça prend du temps de transformer l'ensemble de l'économie. Elle évolue au travers d'une réglementation sur l'impact environnemental ou sur les entreprises à mission qui fait que les entreprises se questionnent sur leur objectif et leur moteur. Aujourd'hui, on parle de citoyenneté économique : ce qui se passe au niveau de la gouvernance d'entreprises fait grand débat, par exemple avec Total. Or on voit bien qu'une entreprise peut faire des bénéfices et avoir un partage équitable de ces bénéfices avec ses parties prenantes...

Cela se traduit-il justement dans le développement des territoires ?

L'ancrage territorial est un sujet majeur. On parle de plus en plus d'économie territoriale, or c'est exactement ce que fait l'ESS. L'entreprise coopérative n'est pas hors sol par rapport à son territoire, elle permet d'aller au delà de l'impact social et environnemental. Quand il y a des mutations territoriales et qu'on parle d'aller vers une souveraineté territoriale, qu'elle soit alimentaire, énergétique ou industrielle, on voit bien qu'aujourd'hui, la mondialisation est en processus de désamour, qu'on se réinterroge et qu'on a vocation à repartir sur des choses qui nous mettent à l'abri des désordres mondiaux. Et en la matière, l'ESS est une force.

Face à la crise du recrutement qui touche de nombreux secteurs, l'ESS est-elle une réponse ?

Face à ces difficultés à recruter des talents, les entreprises sont en effet amenées à se questionner sur la qualité de vie au travail et sur le sens du travail, sur la façon de créer du collectif. Selon le baromètre OpinionWay d'octobre 2020, 85 % des salariés et 76 % des dirigeants perçoivent les Scop comme des entreprises d'avenir... La nouvelle génération aspire à travailler dans des entreprises qui déploient des activités vertueuses, orientées sur l'intelligence collective et qui appliquent des critères de transparence. L'ESS remplit toutes ces fonctions-là.

Observez-vous une évolution dans la perception de l'ESS par le plus grand nombre ?

Dans l'imaginaire collectif, l'ESS était une alternative, et pour beaucoup, elle était liée au domaine de l'insertion. Aujourd'hui, on parle de l'ESS comme d'une nouvelle économie avec une façon d'entreprendre différente, un dialogue permanent salariés-dirigeant, des parties prenantes impliquées dans le devenir de l'entreprise.

Cette année, le Mois de l'ESS s'intéresse à la responsabilité territoriale des entreprises. Cette thématique fait-elle un lien avec votre casquette d'adjointe au maire de Montpellier, avec une délégation "Renouveau démocratique et innovation sociale" ?

Je ne parle ici qu'au nom de l'URSCOP. Mais on peut dire que le fil conducteur entre mon investissement dans le réseau coopératif et mon mandat à la Ville, c'est de "faire avec". Aujourd'hui, on voit bien qu'un acteur seul ne fait pas grand chose. Il faut engager les citoyens, les acteurs économiques, le tissu associatif. La collectivité n'a pas pour mission de créer mais d'accompagner des projets qui viennent à elle, par exemple pour les aider à s'implanter.

Lire également les autres volets de cette série :

Le poids de l'ESS en Occitanie

  • 21.417 établissements employeurs (9,9% de l'ensemble des employeurs et 10,6% des employeurs privés)
  • 231.244 salariés (au 31-12-2019), soit 11,2% des emplois salariés (15,8% des emplois salariés privés)
  • 347 emplois pour 10.000 habitants
  • 5e région de France en termes de poids de l'ESS dans le total des emplois salariés
  • 5e région de France en termes de poids de l'ESS dans le total des établissements employeurs.

 Source : CRESS Occitanie.

Cécile Chaigneau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.