Décès d'Yves Carcelle, ex P-dg de Vuitton

Depuis son départ du groupe, il s'était installé dans le Biterrois, où il avait investi dans la vigne dès 1994 et, à ce titre, travaillait avec AdVini. Il était aussi un des financeurs du zoo Val d'Hérault, qui ouvrira le 27 septembre à Saint-Thibéry (34).

Yves Carcelle (66 ans) est décédé, le 31 août 2014, des suites d'une longue maladie. Objectif Languedoc-Roussillon remet en ligne le portrait publié dans nos pages en mai 2013.


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Yves Carcelle, P-dg de Vuitton pendant vingt-deux ans, investit dans une nouvelle pépite : le vin en Languedoc. Loin du pictogramme le plus célèbre du monde, celui qui s'est construit une stature à part dans l'univers du luxe impose sa patte inimitable au domaine de Sarus, près de Pézenas (34) et au sein du groupe AdVini, qu'il a rejoint depuis 2007.

L''homme n'est pas du genre à prendre sa retraite le jour de son soixante--cinquième anniversaire. Poussé vers la sortie en décembre dernier après avoir accompagné l'essor mondial de Vuitton pendant vingt-deux ans, Yves Carcelle est dans les starting-blocks. L'ancien n°1 de LVMH est toujours membre du comité exécutif du groupe, pour lequel il « coordonne pas mal de projets commerciaux impliquant plusieurs marques comme Vuitton, Dior, Fendi ». En janvier 2013, il se voit confier la présidence de la « Fondation Louis Vuitton pour la Création » avec un projet pharaonique à la clef : l'ouverture, à l'été 2014, d'un bâtiment d'exception dédié à l'art contemporain au cœur du -Jardin d'acclimatation, qu'il voit déjà comme « l'un des plus beaux monuments de Paris ». Confié à l'architecte américain Frank Gehry (qui signe le musée Guggenheim à Bilbao), il offrira un écrin aux activités de mécénat du groupe et à l'exceptionnelle collection Bernard Arnault.

1994 : les années Languedoc

Ce qui est beaucoup moins connu, c'est la volte-face opérée par Yves Carcelle dans le vignoble languedocien. « Je me disais qu'il y avait d'autres vies après Vuitton », confie ce polytechnicien élevé dans une famille qui ne buvait que de l'eau. Très vite, il s'est « pris au jeu de la gestion d'un domaine ». Avec Bernard Pérez, ancien directeur industriel chez Descamps, il découvre le Languedoc et achète ses premières vignes dans la région de Pézenas à partir de 1994. « J'avais trouvé un havre de paix où venir me ressourcer, confie le businessman. La mode dicte sa course effrénée, la nature quant à elle impose une autre compréhension du temps. » Il fait du domaine de Sarus « un refuge et un lieu de retrouvailles familiales ». Vingt ans plus tard, l'aventure viticole se poursuit en solo dans les vignes, sur 80 ha alternant des bois, une oliveraie, une truffière et plusieurs projets agroforestiers, comme l'implantation de quatre-vingts ruches avec un apiculteur du pays et une production d'huiles essentielles d'iris et de lavande avec un horticulteur de Grasse.

De Sarus à AdVini

Dès 2007, le suivi technique du domaine et la commercialisation sont confiés au vigneron-négociant AdVini (ex-Jeanjean), un « voisin de vignes », précise Yves -Carcelle qui n'a jamais raté un seul assemblage. Vigneron, il vinifie en nom propre la cuvée Sarus, du nom d'un oiseau symbole de longévité en Chine, qu'il distribue à Paris, à l'Hôtel Meurice (5 étoiles) ou au Bon Marché via la division Prestige du groupe. Mais l'homme est trop manager dans l'âme pour se contenter de faire un petit vin sympa. La même année, il prend une participation chez AdVini (6,5 %) et accompagne la stratégie de montée en gamme et d'internationalisation du groupe, qui affiche depuis trois ans une santé insolente (CA de 220 MÄ en 2012 dont 50 % à l'export). « Ce n'est pas le P-dg de Vuitton qui siège avec nous au conseil de surveillance et au conseil stratégique, synthétise Antoine Leccia, P-dg d'AdVini. Il a très vite compris les difficultés du monde vigneron. Cette vision à long terme couplée à un réel esprit de décision en fait un précieux accélérateur de projets. Son avis est attendu et accueilli avec impatience. » Et de confirmer le « rôle majeur » joué par Yves Carcelle dans la fusion et l'acquisition du groupe chablisien Michel Laroche en 2009, une opération qui positionne le groupe héraultais en leader français des vins de qualité. Comme beaucoup d'autres, Antoine Leccia garde un souvenir « impressionné » de sa première rencontre parisienne avec l'homme d'affaires. « Ce qui frappe chez Yves, c'est cette accessibilité, cette simplicité qui lui permet d'être proche de ses collaborateurs, bien que l'on comprenne que l'on est en présence d'une intelligence exceptionnelle ». Même témoignage dans la bouche du sculpteur américain et ami Gregory Ryan : « Il a dirigé 18 000 salariés mais il se souvient de tous. Cette accessibilité, cette générosité et une grande droiture dans les affaires ont un pouvoir entraînant. »

L'homme derrière l'empire

Et de fait, le bilan d'Yves Carcelle est hors normes : « Man behind the Empire » (L'homme derrière l'empire) titrait le 1er octobre 2001 The Wall Street Journal, pour résumer cette trajectoire exemplaire dans l'industrie du luxe et la mise en place d'un modèle économique unique, qui a fait école auprès de la plupart des grandes marques de luxe. Bernard Arnault le premier, propriétaire du groupe LVMH, saluait le travail de son ancien n°1, qui « a animé l'extraordinaire parcours de la Maison Louis Vuitton ». L'idée de génie : tout contrôler, des ateliers aux magasins, en dépoussiérant la toile Vuitton, centenaire, et en étendant le territoire de la marque au prêt-à-porter (notamment avec la nomination de Marc Jacobs à la direction artistique de l'enseigne), aux accessoires, à la joaillerie et à l'horlogerie. Aujourd'hui le maroquinier-malletier, leader mondial du luxe, est « la cash machine » de LVMH et génère, avec 6,5 Mds € de CA, plus de 40 % de la rentabilité du groupe. « C'est une grande fierté d'avoir réuni des équipes qui ont réussi à conquérir le monde et contribué à l'équilibre de la balance des paiements, synthétise Yves Carcelle. En vingt ans, j'ai ouvert sept ateliers en France, créé des milliers d'emplois et implanté le premier magasin Vuitton en Chine, en 1992. » En quittant la pépite LVMH fin 2012, l'aventure ne pouvait s'arrêter là. « Mon moteur, c'est la passion. Pendant vingt ans, je me suis réveillé tous les matins excité à l'idée d'explorer de nouveaux territoires commerciaux, de nouveaux produits. »

De la Louis Vuitton Cup à Runa

Loin du flagship parisien des Champs-Élysées (le plus grand magasin Vuitton du monde), c'est dans les vignes et sur l'eau qu'Yves Carcelle continue de vivre ses « autres passe-temps ». À bord de son voilier Runa VI, un deux-mâts de 11 mètres restauré pendant deux ans à Brest, il régatera lors de la prochaine semaine du Golfe du -Morbihan (du 6 au 12 mai), avant de rejoindre Les Voiles de Saint-Tropez. Cette passion pour la voile cache une belle histoire d'amitié avec Gregory Ryan. « Gregory a retrouvé, il y a environ sept ans, un vieux gréement, Runa VII, sur la côte Est des États-Unis, qu'il a entièrement rénové. En s'intéressant à l'histoire de ce bateau, il a découvert qu'un architecte terrestre danois passionné de voile, Gerhard Ronne, s'était construit sept bateaux entre 1910 et 1937, qu'il a tous baptisés Runa. » Dès lors, une quête pour rassembler tous les Runa réunit les deux hommes. Avec à la clef, un projet de livre sur les Runa et l'espoir -d'approcher ce que Yves Carcelle appelle « le plaisir, pendant une vie, de construire quelque chose ».

Idelette Fritsch


Crédit photo : Edouard Hannoteaux

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