« On change les conditions de coopération opérationnelle entre tous les partenaires d’un territoire » (Thibault Guilluy, France Travail)

INTERVIEW - La loi France Travail a vocation à permettre une meilleure coordination de tous les acteurs de l'emploi et de l'insertion afin d'atteindre le plein emploi, soit un taux de chômage à 5%, d'ici la fin du quinquennat. Thibault Guilluy, ancien haut-commissaire à l'emploi et à l'insertion, est aujourd’hui le directeur général France de cet organisme au nom ripoliné. Il était à Montpellier le 25 janvier, dans une agence France Travail d’un quartier populaire.
Cécile Chaigneau
Thibault Guilluy, directeur général de France Travail, était à Montpellier le 25 janvier 2024, dans le quartier populaire des Cévennes.
Thibault Guilluy, directeur général de France Travail, était à Montpellier le 25 janvier 2024, dans le quartier populaire des Cévennes. (Crédits : Reuters)

Le tout fraîchement renommé organisme France Travail, ex-Pôle Emploi, entame sa mue progressive. Mais la transformation va bien au-delà du simple changement de nom et relève d'abord, selon Thibault Guilluy, ancien haut-commissaire à l'emploi et à l'insertion et aujourd'hui directeur général de France Travail, d'un « changement d'état d'esprit » pour inscrire le service public de l'emploi dans une logique de coopération. Le nouvel organisme, créé officiellement au 1er janvier 2024, a ainsi vocation à regrouper tous les acteurs de l'emploi et de l'insertion, mais aussi de la formation, sur un territoire : France Travail (55.000 agents au total), missions locales, Cap emploi, organismes et associations d'insertion, services des Départements gérant le RSA, mais aussi collectivités territoriales. L'objectif : que toute personne privée d'emploi soit inscrite à France Travail, et soit mieux et plus rapidement orientée vers les services adéquats.

Thibault Guilluy était en déplacement à Montpellier, dans l'agence France Travail des Cévennes, quartier populaire de la capitale languedocienne. Un département de l'Hérault où le taux de chômage peine à baisser : de 11,4% au 4e trimestre 2019, il est tombé à 10,2% seulement au 3e trimestre 2023 (source : INSEE).

LA TRIBUNE - France Travail existe depuis le 1er janvier 2024, et vous êtes chargé de la mise en œuvre concrète de la promesse présidentielle : un taux de chômage à 5% d'ici la fin du quinquennat. Comment se traduit l'évolution du service public de l'emploi ?

Thibault GUILLUY, directeur général de France Travail - C'est d'abord l'état d'esprit de la coopération. Pour gagner la bataille du plein emploi et mieux accompagner chaque demandeur d'emploi et chaque entreprise qui recrute, il faut travailler en synergie. Car dans certains quartiers populaires, comme ici, les enjeux ne sont pas que l'emploi mais aussi le logement, la formation, l'orientation, etc., d'où l'intérêt de pouvoir s'appuyer sur l'expertise de chaque partenaire. Ensuite, il faut de la méthode et de l'efficacité. Auparavant, les gens sur le terrain se parlaient, mais nos politiques étaient pensées à Paris pour l'emploi, dans les Régions pour la formation, dans les Départements pour l'insertion etc. Ce qu'on change, ce sont les conditions de coopération opérationnelle entre tous les partenaires d'un territoire.

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Concrètement, cela se traduit comment ?

Il faut d'abord des systèmes d'information communs qui puissent se parler. Il faut partager les lieux en faisant venir les gens de Cap emploi, du Département ou des Missions locales chez France Travail, et réciproquement. Et il faut de la méthodologie : chacun a ses acronymes, ses dispositifs et tout le monde s'y perd ! Enfin, nous mettons en place une gouvernance co-pilotée par le préfet et les collectivités locales : elle doit partir des bassins d'emploi et pas de plus haut. Le président de la Métropole doit savoir où sont les demandeurs d'emploi s'il veut une politique du plein emploi. On met 3,9 milliards d'euros sur la table avec le plan d'investissement dans les compétences, et les formations doivent être adaptées aux besoins du territoire, donc il faut un dialogue au sein d'un seul comité où on traite de formation, d'insertion et d'emploi. France Travail est aussi en train d'investir sur le développement d'une plateforme pour pouvoir connecter le demandeur d'emploi, l'entreprise et l'organisme de formation.

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Justement, le Medef Hérault Montpellier témoigne que de nombreuses TPE et PME méconnaissent le service public de l'emploi et n'ont pas le réflexe de s'adresser à l'organisme lorsqu'elles ont des postes à pourvoir...

L'Occitanie est la 2e région en niveau de chômage (8,5% au 2e trimestre 2023 selon les données fournies par France Travail, contre 6,9% au niveau national, soit 548.760 demandeurs d'emploi dans la région dans les catégories ABC à fin septembre 2023 - NDLR), avec des réalités très différentes entre la Lozère, l'Hérault ou les Pyrénées-Orientales, ou des disparités très fortes entre quartiers populaires et le reste de la ville. Mais il est incompréhensible pour les habitants de se dire qu'il y a de la création d'activités dans les entreprises, qui ne se transforme pas en emplois...

Allez-vous redéployer les ressources existantes ou renforcer les moyens humains ?

C'est d'abord une question d'organisation. Aujourd'hui, il y a une déperdition de moyens avec des doublons à certains endroits et des trous dans la raquette à d'autres... Actuellement, à peine 50% des personnes qui suivent une formation aboutissent à un emploi. Quand on travaille ensemble avec les partenaires sur les actions de formation préalable au recrutement, comme cela se fait avec le Medef Hérault, ce chiffre monte à 90%. Ça ne veut pas dire qu'on ne met pas des moyens complémentaires là où il va en manquer, notamment pour France Travail sur ses missions élargies, avec un budget qui va monter en puissance : 300 millions d'euros en 2024, 500 millions en 2025, 750 millions en 2026 et 1 milliard en 2027. Il s'agit de financer les systèmes d'information, la formation, les démarches d'« aller vers », c'est à dire au contact de personnes qui, parfois, ont abandonné l'idée de retrouver un emploi.

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Au moment du débat sur le projet de loi, le contenu était loin de faire consensus, notamment sur le volet concernant l'inscription automatique des allocataires du RSA à France Travail et la mise en place d'un nouveau système de sanctions pour ceux qui ne respecteraient pas leurs obligations...

On ne réinvente rien mais la réalité, c'est seulement quatre bénéficiaires du RSA sur dix qui sont inscrits à France Travail, et qui, en moyenne, ont trois contacts par an, mails compris ! Des expérimentations sont menées, notamment dans l'Aveyron en Occitanie. Et ce qu'on voit, c'est que là où il y avait cinq mois entre l'inscription d'un bénéficiaire du RSA à France Travail et un premier rendez-vous avec un conseiller, on est passé à vingt jours. Et grâce à la synergie avec les partenaires locaux, on fait le social et le professionnel en même temps... La transformation de France Travail est progressive et 2024 est l'année de la montée en puissance de toutes les expérimentations.

« On crée une culture horizontale » (Michaël Delafosse)

« Avant, le système était en silo, les élus locaux regardaient l'ANPE de haut et inversement, rappelle le président (PS) de la Métropole de Montpellier, Michaël Delafosse. Le changement qui s'opère est majeur. On crée une culture horizontale. Ici, on compte 45% de jeunes au chômage et ça fait 20 ans qu'on vit avec ce chiffre ! En tant que maire, je vois des gens qui cherchent du travail et des entrepreneurs qui ne trouvent pas de main d'œuvre. Dans l'Hérault, un des taux de chômage les plus élevés du pays et paradoxalement un des territoires qui créent le plus d'emploi : donc il y a un sujet sur l'accompagnement et la montée en compétence des gens. Le dialogue entre le directeur de France Travail et les élus locaux est une bonne nouvelle pour rendre tout ça lisible, mieux se connaître et travailler ensemble. Une nouvelle méthode collective est lancée, on ouvre la gouvernance aux élus locaux, ce qui va nous permettre de parler d'une seule voix. »

Future gigafactory Genvia : d'important besoins en compétences

Anticiper, synchroniser, favoriser les synergies. C'est l'ambition à l'origine de la création de EDEN (Ecosystème Durable et Energies Naturelles) en septembre 2022 à Béziers, un comité dont la vocation est d'embarquer tout l'écosystème biterrois associé à la dynamique industrielle de la future gigafactory Genvia (fabrication d'électrolyseurs pour la production d'hydrogène vert décarboné), entreprise de partenariat technologique publique-privée entre Cameron-SLB, le CEA Grenoble, Vinci Construction, Vicat et l'AREC Occitanie. Aujourd'hui, 150 salariés travaillent dans ce qui n'est encore qu'une petite factory en phase de montée en puissance progressive.

« C'est un vrai défi de construire des parcours de formation pérennes car on ne parle que de métiers en tension alors que nous avons déjà du mal à répondre aux besoins des entreprises existantes, note Frédéric Ferré, directeur de l'agence France Travail Béziers. Une telle alliance entre entreprises, branche professionnelle (UIMM, ndlr), financeurs et France Travail, c'est inédit ! »

Avec des besoins en compétences d'ici deux à trois ans, il fallait commencer maintenant la formation des personnes. 200 demandeurs d'emploi se sont présentés à France Travail, 50 sont allés au bout de la démarche et 23 personnes ont intégré la première session de formation en décembre dernier.

Cécile Chaigneau

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