Du Rhône à Gruissan, le réseau Aqua Domitia joue les pourvoyeurs d’eau mirifiques

A l’orée de l’été, et dans un contexte de grande sécheresse depuis deux ans, la Région Occitanie s’enorgueillit de son réseau d’eau additionnel baptisé Aqua Domitia, qui irrigue déjà quelque 6.500 hectares supplémentaires. Depuis deux ans, il pousse ses canaux jusqu’au Biterrois et au Narbonnais, et la question est posée de l’étendre jusqu’en pays catalan. Reportage dans l’Hérault, à la station de pompage de Mauguio et sur une exploitation agricole de Fabrègues.
Cécile Chaigneau
La station de pompage de Mauguio (Hérault) sur le réseau d'irrigation Aqua Domitia.
La station de pompage de Mauguio (Hérault) sur le réseau d'irrigation Aqua Domitia. (Crédits : Cécile Chaigneau)

Depuis la station de pompage de Mauguio, non loin de Montpellier dans l'Hérault, on se trouve à 50 km du Rhône à l'est, et à 120 de Gruissan (Aude) à l'ouest. Dans un vaste réseau de canalisation, l'eau du fleuve chemine de son point de départ pour arriver à la station balnéaire audoise, après avoir été potabilisée à Fleury-d'Aude. Pas de miracle mais un programme régional baptisé Aqua Domitia, initié en 2011 et qui a mis dix ans à se concrétiser pour aujourd'hui irriguer tout un territoire, du Gard à l'Aude en traversant l'Hérault.

Le projet Aqua Domitia est une extension du grand réseau hydraulique régional d'eau brute créé dans les années 1960 par BRL (société d'économie mixte locale dont les actionnaires sont la Région Occitanie et les Départements du Gard, de l'Hérault, de l'Aude, des Pyrénées-Orientales et de la Lozère), avec l'ambition d'accompagner l'agriculture et le développement urbain et touristique du Gard, de l'Hérault et de l'Aude en mobilisant des ressources en eau issues du Rhône. Des volumes d'eau qui se substituent à des prélèvements dans des ressources locales en tension.

Carte du tracé du réseau d'eau Aqua Domitia.

Carte du tracé du réseau d'eau Aqua Domitia.

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12.000 hectares supplémentaires irrigués

Dix ans après son lancement, le programme Aqua Domitia, dont l'aménagement se réalise maillon par maillon (six au total), est déployé à près de 90% pour un investissement de 180 millions d'euros (220 millions à terme). L'eau d'Aqua Domitia est utilisée pour l'irrigation agricole (40%), potabilisée (40%) ou vient en substitution à des ressources locales fragilisées (20%). Le réseau hydraulique régional irrigue 114.000 hectares au total, Aqua Domitia 6.500 hectares supplémentaires aujourd'hui, 10.000 à 12.000 hectares à terme.

« Aqua Domitia permet d'irriguer les vignes par exemple, en apportant l'équivalent de deux à trois orages, ce qui reste modeste, souligne Jean-François Blanchet, le directeur général de BRL, invoquant la valeur de solidarité entre les territoires. Cela sécurise la ressource en eau sur trois départements de l'arc méditerranéen, en vue notamment d'assurer une souveraineté alimentaire par une production agricole pérenne... Ce sont donc 8 millions de m3 d'eau qui auront été préservés l'an dernier car non prélevés dans la nappe phréatique astienne (nappe souterraine qui s'étend sur 450 km2 de Béziers à Sète et fournit l'eau à une vingtaine de communes, NDLR), dans le fleuve Hérault ou dans le canal du Midi. »

Aujourd'hui, dans un contexte de changement climatique et de forte sécheresse, la collectivité régionale s'interroge sur la nécessité de dimensionner Aqua Domitia de manière plus importante en envisageant une extension vers les Pyrénées-Orientales, un département mis au supplice après deux années de sécheresse sévère.

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Une vision à horizon 2070

« Ce projet d'extension serait une solution parmi d'autres, notamment des économies d'eau, et une étude de faisabilité va être lancée au 2e semestre 2024, cofinancée par l'Etat, pour calibrer les besoins en eau des Pyrénées-Orientales, voir si les usagers ont les capacités de financer les investissements de raccordement requis (environ 10% à leur charge, NDLR), quels territoires desservir, etc., indique Fabrice Verdier, président de BRL et conseiller régional. C'est un programme qui, si on le fait, va s'étaler sur dix ans et représenterait 150 km de canalisations, avec des adductions complémentaires à l'Aqua Domitia qui devront être construites. »

Un projet qui suscite les réserves des écologistes, tout comme Aqua Domitia n'a jamais fait l'unanimité, car symbolisant une privatisation de l'eau et une invitation à la non-sobriété. Le président de BRL affirme pourtant que « nos prélèvements sur le Rhône sont très faibles et ne déstabilisent ni le Rhône, ni les écosystèmes qui lui sont liés, ni celui de la Méditerranée ». Et Jean-François Blanchet renchérit : « Le Rhône, ce sont 54 milliards de m3 d'eau qui partent à la mer chaque année, sur lesquels 3,1 milliards sont prélevés sur tout le bassin versant du Rhône, soit 5%, et sur ces 5%, BRL prélève 5%, soit 150 millions de m3 par an. Il n'y a donc pas de sujet sur les autorisations de prélèvements, même si nous restons vigilants ».

Les deux hommes soulignent l'importance d'anticiper la question des ressources en eau.

« Si on ne l'avait pas fait il y a douze ans pour Aqua Domitia, il n'y aurait pas d'eau aujourd'hui pour soutenir les cultures, or la pénurie d'eau a un coût, économique et social, bien supérieur aux investissements réalisés, fait observer Jean-François Blanchet. On aménage le territoire aujourd'hui avec une vision à horizon 2050 ou 2070... »

Michel Pontier, exploitant agricole à Fabrègues (Hérault), a souscrit un abonnement d'irrigation au réseau Aqua Domitia

Michel Pontier, exploitant agricole à Fabrègues (Hérault), a souscrit un abonnement d'irrigation au réseau Aqua Domitia. (© Cécile Chaigneau)

« L'agriculture méditerranéenne sera irriguée ou ne sera pas ! »

Michel Pontier est exploitant à la retraite, actionnaire à 20% de la société des Jardins de Montpellier, adossée au domaine agricole Saint-Jean-des-Clapasses à Fabrègues (Hérault) qu'il a créé en 1979 et sur lequel il a aidé un jeune à s'installer il y a cinq ans. L'exploitation est spécialisée dans les semences de maïs, sorgho, colza et tournesol, soit 100 hectares complètement irrigués, principalement grâce à Aqua Domitia. La société des Jardins de Montpellier emploie six équivalents temps plein et réalise un chiffre d'affaires de 380.000 euros. L'exploitation agricole, qui a contribué au financement du raccordement à Aqua Domitia à hauteur de 1.000 euros/m3, a été l'une des premières à voir le précieux liquide venir irriguer ses champs.

« On dit que le fait d'irriguer les terres multiplie l'emploi par dix, déclare Michel Pontier. S'il n'y avait pas eu le programme Aqua Domitia, qui sécurise l'irrigation, je n'aurais pas osé installer un jeune... Sans Aqua Domitia, aujourd'hui, ce serait le désert ! Quand je me suis installé en 1979, on enregistrait 750 mm de pluie par an, aujourd'hui c'est 450 et l'an dernier, c'était même 260... Nous avons fermé deux forages sur les quatre et Aqua Domitia contribue à l'irrigation de nos terres pour 60%. A terme, si c'est possible, on fermera tous les forages, même si ça revient plus cher. Cela fait longtemps que nous travaillons sur des consommations d'eau minimum, et aujourd'hui, cette irrigation raisonnée est pilotée de manière électronique. Nous avons un droit de tirage de 100 m3/heure et si on pouvait en avoir davantage, ce serait encore plus sécurisant... Nous travaillons pour de gros semenciers et avec les arrêtés sécheresse, ils regardent la ressource en eau avant de signer un contrat, ils ne prennent plus de risque, or BRL et Aqua Domitia sont des garanties. »

Dans son champ de blé dur, au pied de son robinet rouge d'irrigation, l'agriculteur enfonce le clou : « Comme j'argumentais au moment où BRL a lancé le projet Aqua Domitia, l'agriculture méditerranéenne sera irriguée ou ne sera pas ! ».

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Aqua Domitia en chiffres

  • 2012 : lancement du programme Aqua Domitia
  • 10 ans de travaux jusqu'au transfert de l'eau du Rhône dans le biterrois et le narbonnais en 2022.
  • 220 millions d'euros d'investissement : coût total (HT) des travaux engagés sur le programme Aqua Domitia
  • 6 maillons indépendants réalisés progressivement
  • 140 km de canalisations : longueur de l'extension totale réalisée à terme sur le Réseau Hydraulique Régional
  • Un débit maximum de 2,5 m3/s
  • Usages : agricoles 40%, consommation humaine 40%, préservation des milieux 20% (par substitution à des ressources locales fragilisées)
  • 6.500 ha : nombre d'hectares supplémentaires irrigués par Aqua Domitia.

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 20/04/2024 à 15:37
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Attention ! ne pas répéter l'erreur tragique de la mer d'Aral .L'eau pompée dans le Rhône ne va t-elle pas manquer aux riziculteurs de Camargue et autres riverains du fleuve ?

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