Pourquoi, malgré des ressources propres qui augmentent, l’université Paul Valéry Montpellier 3 reste dans une impasse financière

La tourmente budgétaire est une réalité pour de plus en plus d’universités en France. L’université Paul Valéry Montpellier 3 (arts, lettres, langues, sciences humaines et sociales) affiche un satisfecit du côté de ses ressources propres qui augmentent. Mais sa situation reste fragile, comme l’explique sa présidente, Anne Fraïsse.
Cécile Chaigneau
Anne Fraïsse, présidente de l'université Paul Valéry Montpellier 3.
Anne Fraïsse, présidente de l'université Paul Valéry Montpellier 3. (Crédits : Université Paul Valéry)

Les évolutions règlementaires des vingt dernières années en termes de financement ont plongé les établissements d'enseignement supérieur et de recherche dans la difficulté. Lors de la rentrée 2023, Michel Deneken, le président de l'Université de Strasbourg, alertait sur les difficultés budgétaires dans pratiquement toutes les universités, affirmant qu'« elles seront toutes en déficit d'ici un ou deux ans ». En cause une inadéquation des financements depuis le passage à l'autonomie des universités avec la loi Pécresse promulguée en 2007...

Au début du mois de mars, l'Université Paul Valéry Montpellier 3 (arts, lettres, langues, sciences humaines et sociales), qui accueille quelque 23.000 étudiants chaque année (dont 22.000 en LMD licence-master-doctorat), annonçait avoir été distinguée parmi les universités et écoles d'ingénieurs françaises ayant fait progresser leurs ressources propres entre 2016 et 2022.

« Durant cette période, les ressources propres de notre université ont fortement augmenté, passant de 14% de ses ressources globales en 2016, à 19% en 2019, puis 30% en 2022, ce qui représente en 2022, 35,5 millions d'euros sur 118 millions d'euros au total, contre 14 millions d'euros en 2016 et 21 millions d'euros en 2019, précisait alors l'établissement dans un communiqué. De toutes les universités de lettres et SHS recensées dans cette étude, c'est l'Université Paul-Valéry qui enregistre la plus forte progression et qui est de loin en tête, les autres établissements se situant entre 11% et 21%. Elle est au 14e rang de l'ensemble des universités, c'est-à-dire dans les premiers 20%. »

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Professionnalisation des diplômes

Une bonne nouvelle ? Oui mais qui ne dissimule point les difficultés persistantes de financement de l'établissement d'enseignement supérieur et de recherche montpelliérain... L'université Paul Valéry annonce un budget de fonctionnement de 118 millions d'euros, avec une subvention pour charge de service public (SCSP) d'à peine 100 millions d'euros. Une dotation annuelle dont la présidente de l'université, Anne Fraisse, rappelle qu'elle n'a vocation qu'à financer les missions de service public d'enseignement (dont les salaires des personnels et le fonctionnement).

Les ressources propres des universités proviennent de trois sources principalement : la formation, la recherche, ainsi que diverses subventions (autres que celle de l'État) et autres prestations de service fournies par l'université.

« En 2023, les droits d'inscription des étudiants représentaient 2,7 millions d'euros, auxquels il faut ajouter les 1,7 million d'euros de compensation que paie l'Etat pour les étudiants boursiers, détaille Anne Fraïsse. L'Etat envisage d'augmenter ces droits d'inscription, tendant vers un système à l'anglo-saxonne contre lequel les étudiants sont vent debout... Les droits d'inscription différenciés des étudiants étrangers - environ un étudiant sur cinq pour l'université Paul Valéry - ont pesé pour 528.000 euros. Les diplômes universitaires (DU, ndlr) sont en baisse à 470.000 euros alors qu'ils sont montés à 1 million d'euros, car les étudiants n'ont plus les moyens de se les payer. Pour ce qui est de l'apprentissage, il a rapporté 2 millions d'euros à l'université et la formation continue un peu plus d'un million d'euros... Sur ces deux derniers segments, nous avons une stratégie qui monte en puissance en raison de la nécessité à aller chercher davantage de ressources propres, et en tant qu'université de lettres et SHS, nous avions une bonne marge de manœuvre. Aujourd'hui, nous professionnalisons nos licences mais aussi nos masters, nous travaillons beaucoup avec les entreprises, contrairement à l'image que nous avons encore... »

En 2022, les financements obtenus via des appels à projets scientifiques ont rapporté 18 millions d'euros à l'établissement universitaire, qui a également perçu 3,4 millions d'euros pour le patrimoine (dans le cadre du Contrat Plan Etat-Région, pour la réfection de bâtiments, hors opération Campus). S'ajoute enfin un million d'euros de contrats divers (locations de salles, redevances de distributeurs de boissons, etc.).

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« Cela ne nous donne pas de l'aisance ! »

« Ces données témoignent du dynamisme de notre université et de sa capacité à se mobiliser grâce à la qualité de son enseignement et de ses projets de recherche, et à une réelle dynamique sur le plan scientifique, souligne Anne Fraïsse. Cela signifie que nous sommes bien implantés, capables d'aller chercher de l'apprentissage ou de la formation continue. Mais cela ne nous donne pas pour autant de l'aisance sur nos missions de service public ! Nous ne pouvons pas dépendre que des ressources propres, le principe du service public étant de financer les missions qu'il demande à ses universités. Il doit y avoir une base stable que malheureusement l'Etat grignote. »

Car le problème, c'est la dotation annuelle allouée par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, la fameuse SCSP, à l'université Paul Valéry. En novembre dernier, la présidente de l'établissement montpelliérain avait pris une douche froide : alors que les subventions sont censées être distribuées de manière égalitaire, AEF Info, agence de presse spécialisée dans l'enseignement supérieur, indiquait que l'université Paul Valéry arrivait en dernière position du classement positionnant les universités selon le montant de leurs SCSP, avec une baisse de 18,6% entre 2016 et 2022 (- 2,3% de moyenne nationale). Alors que le nombre de ses étudiants était passé de 18.878 à 21.653, la SCSP totale est tombée de 88,4 millions d'euros à 82,5 millions d'euros.

« Nous sommes parmi les universités qui reçoivent le moins de financements par étudiant, confirme-t-elle aujourd'hui à La Tribune, amère. Il est vrai qu'en général, les universités de lettres sont en bas du tableau car on estime historiquement que l'étudiant en lettres coûte moins cher qu'un étudiant en sciences... Nous sommes en-dessous de 4.000 euros par étudiant alors que les plus élevés en lettres sont à plus de 5.800 euros et que dans les universités de sciences, ça peut aller à plus de 10.000 euros par étudiant ! »

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« En-dessous des réserves de sécurité »

« Moins on nous donne de dotation annuelle, plus nos ressources propres semblent proportionnellement importantes, mais ce n'est pas pour autant qu'on s'en sort mieux, alerte Anne Fraïsse. Par ailleurs, il faut souligner que les financements que l'on obtient par le biais des appels à projets sont destinés à développer des programmes de recherche, des missions, et non au fonctionnement de l'université. Notre budget affiche maintenant un déficit structurel de 5 millions d'euros suite à une aide ministérielle de deux millions et surtout une "lecture" différente des budgets des universités : baisse de la réserve de précaution, recettes à percevoir inscrites dès le budget initial, réduction des dépenses en particulier d'investissement... Il est difficile de faire des plans d'économie dans une université qui est l'une des plus sous-encadrée de France ! Nous avons 500 enseignants-chercheurs titulaires pour 23.000 étudiant, ce qui est faible ! Et les mesures Guerini (revalorisation obligatoire des salaires, NDLR) ne sont financées qu'à hauteur de 50%... »

La dirigeante affirme qu'« une bonne quinzaine d'universités entre dans le rouge ». Dans le contexte budgétaire particulièrement contraint du projet de loi finances 2024, France Universités se demandait, dans un communiqué de presse du 19 octobre dernier, si les universités allaient être contraintes de « sacrifier certaines de leurs missions ». La présidente de l'université Paul Valéry répond : « Nous luttons pour ne pas avoir à le faire mais le ministère nous demande de fermer des postes, des formations, ce qui revient à ne plus être en capacité d'assumer nos missions ».

Depuis, un autre signal négatif a été envoyé : dans le cadre du plan d'économie de 10 milliards d'euros annoncé par Bruno Le Maire pour le budget 2024, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche serait amputé de 904 millions d'euros.

« L'information est tombée après qu'on ait reçu nos budgets donc pour le moment, le ministère dit que c'est pris dans les réserves de précaution, des sommes qui sont redistribuées en décembre pour équilibrer les budgets, mais cela risque d'impacter les universités les plus en difficulté, dont nous sommes, à ce moment-là, explique Anne Fraïsse. L'Etat estime appliquer une politique égalitaire mais ce n'est pas le cas : il nous dit que les universités ont beaucoup d'argent qui dort dans les fonds de roulement mais nous, par exemple, nous n'avons quasiment plus de fonds de roulement ! Nous sommes en-dessous des réserves de sécurité que nous demande de garder l'Etat. »

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 20/03/2024 à 8:59
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Saluons ici l'immense Anne Fraïsse qui a tout fait pour "planter" Montpellier et l'IDEX qui devait assurer les financements de toutes les universités de Montpellier. Grace à cette lumineuse personne, Montpellier est passée en seconde division univers...

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