« On a besoin de nouveaux talents dans le spatial » (Ph. Baptiste, président du CNES)

Au début de l’été prochain, le huitième nanosatellite développé par le Centre spatial universitaire de Montpellier (CSUM) sera lancé sur le vol inaugural d’Ariane 6. Le 12 mars, ArianeGroup est venu renouveler sa convention de mécénat avec la Fondation Van Allen, soutien stratégique et financier du CSUM, et le CNES a remis une photo du viaduc de Millau capturée par les satellites Pléiades. L’occasion d’évoquer la place du CSUM dans l’écosystème européen du new-space, tant en termes de recherche que de formation.
Cécile Chaigneau
Le 12 mars, les représentants d’ArianeGroup et du CNES ont visité la salle propre du Centre spatial universitaire de Montpellier, où se trouvent les moyens d'essais comme la chambre à vide thermique (photo).
Le 12 mars, les représentants d’ArianeGroup et du CNES ont visité la salle propre du Centre spatial universitaire de Montpellier, où se trouvent les moyens d'essais comme la chambre à vide thermique (photo). (Crédits : CSUM)

En une décennie, le Centre Spatial Universitaire de Montpellier (CSUM), le premier en France, a ouvert la voie à la conquête des petits satellites. Depuis sa création en 2011, il a développé, construit et lancé sept nanosatellites : le premier, Robusta-1A depuis la fusée européenne Vega en 2012, les derniers, Djibouti-1A et ENSO (avec le groupe Expleo), en décembre 2023. Le huitième, Robusta-3A Méditerranée, est le premier nanosatellite 3U (trois unités) du CSUM. Il sera lancé depuis la fusée Ariane 6 l'été prochain, et il sera le seul représentant universitaire français à voyager sur ce vol inaugural...

En attendant ce moment-clé, le CSUM célébrait, le 12 mars, le renouvellement de la convention de mécénat entre ArianeGroup et la Fondation Van Allen, soutien stratégique et financier du CSUM depuis 2012 (membres fondateurs : Université de Montpellier, 3D Plus, Airbus Defense and Space, Expleo et Latécoère). ArianeGroup a déjà fait partie des « grands mécènes » (entre 25.000 et 50.000 euros de soutien financier apporté) entre 2020 et 2022. Elle le redevient, aux côtés du groupe montpelliérain Nicollin (spécialisé dans la collecte des déchets).

« A l'origine, ArianeGroup nous avait contacté pour travailler sur le projet de nanosatellite sénégalais, et aujourd'hui, le groupe nous renouvelle sa confiance, se félicite Laurent Dusseau, directeur du CSUM et de la Fondation Van Allen. Nous sommes soumis au code des marchés publics mais si possible, nous préférons travailler avec des lanceurs français... Ainsi, nous allons bénéficier du vol Ariane6 pour le lancement de Robusta-3A. »

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« Une grande compétence technique »

C'est Hervé Gilibert, directeur technique d'ArianeGroup, qui est venu signer cette convention de mécénat. Il souligne le formidable réservoir de compétences que constitue le CSUM. Car à chaque développement de nouveau nanosatellite, ce sont entre 20 et 50 étudiants de l'université qui sont impliqués sur le projet. Ils ont même été 300 à travailler sur le projet Robusta-3A, dont le projet a démarré il y a dix ans.

« Cette convention nous donne accès à quelque chose d'unique dans notre écosystème : un centre universitaire doté de capacités de recherche appliquée et de capacités à produire des petits systèmes spatiaux, confie-t-il à La Tribune en marge de la cérémonie. Il y a au CSUM une population fabuleuse pour les industriels comme ArianeGroup, développant de grands systèmes, car ils font un travail de fond qui est quasiment de la recherche fondamentale par certains aspects, mais aussi de la recherche appliquée, et ils apprennent à développer et à opérer un nanoatellite. Les étudiants qui en sortent sont d'une grande compétence technique, mais ils ont aussi appris à dérouler un projet complexe avec une approche système, avec cette aptitude à interagir en équipe multidisciplinaire... Or le marché de l'emploi est très tendu depuis deux ans, avec beaucoup de demandes des industriels de l'aéronautique et du spatial, qui se font concurrence. Heureusement ArianeGroup bénéficie d'une belle attractivité. Nous sommes intéressés par des profils d'ingénieurs et de doctorants : en 2022 et 2023, j'ai fait environ 500 recrutements, autant en créations de poste qu'en remplacements. »

Une mission de formation que revendique Laurent Dusseau : « Nous nous inscrivons dans le new space mais notre raison d'être est de former de jeunes ingénieurs directement employables dans l'industrie spatiale, qui manque cruellement de main d'œuvre, car nous les formons avec des méthodes qui sont celles d'Airbus, de Thalès, de l'ESA ou du CNES ».

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« Notre autonomie stratégique »

Philippe Baptiste, président du CNES, était à Montpellier ce même jour pour remettre officiellement la photo du viaduc de Millau vu de l'Espace et capturée par les satellites Pléiades, à Jean-Claude Gayssot, ancien ministre des Transports qui avait initié et suivi la construction du viaduc, aujourd'hui président du CSUM. Lui aussi vante la dimension stratégique de la structure montpelliéraine.

« L'avenir du spatial est à Montpellier, scande-t-il. On a besoin de nouveaux talents dans le spatial. Or ce que vous avez fait avec le CSUM, en mettant au même endroit des chercheurs et des étudiants, soutenus par des financements de l'université, de la Région, du CNES et des entreprises, est un moyen de renouveler le spatial, d'attirer des talents. (...) La France a une grande tradition autour du spatial et les grands enjeux sont notre autonomie stratégique - avoir une capacité de lancement en France et en Europe pour lancer des satellites commerciaux, scientifiques ou de défense -, notre capacité à avoir des satellites répondant aux besoins du ministère des Armées ou de nos alliés européens - des capacités d'observation, d'écoute, de communication sécurisée - et la capacité à protéger nos ressources dans l'espace. »

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Fenêtre de lancement d'Ariane 6

La venue d'ArianeGroup et du CNES était l'occasion pour Laurent Dusseau de présenter le Robusta-3A, désormais quasi terminé : « Le Robusta-3A va entrer dans la dernière étape, celle du vide thermique (permettant de reproduire l'environnement de vide thermique en orbite, NDLR) pour une livraison en avril et un lancement cet été sur Ariane6... Il est le fruit du programme de recherche Méditerranée, financé à 20% par le CNES, pour collecter de la donnée sur la quantité de vapeur d'eau au-dessus de la Méditerranée afin d'améliorer la prédiction des épisodes cévenols*. Les utilisateurs finaux sont l'IGN, Météo France et l'ENSTA Bretagne ».

Hervé Gilibert confirme que « la fenêtre de lancement de la fusée Ariane 6 s'ouvrira le 14 juin et s'étendra jusqu'à fin juillet. On est dans les clous pour tenir cette date ».

Egalement dans les tuyaux du CSUM, une autre mission en Méditerranée, initiée par le laboratoire le Centre de recherche et de formation sur les environnements méditerranéens (CEFREM) de l'Université de Perpignan et soutenue par une action de mécénat du groupe Nicollin. Requérant un nanosatellite 12U (12 unités), elle a pour objectif de détecter des amoncellements de plastiques dans la Méditerranée afin d'envisager leur récupération avant leur dépôt sur les rivages.

« La plateforme a été développée, nous avons aujourd'hui la structure mécanique, détaille Laurent Dusseau. Nous allons impliquer nos partenaires de la Fondation Van Allen pour utiliser leurs équipements dernière génération. Nous avons un peu ralenti ce projet pour finir Robusta-3A, mais l'objectif est de lancer le nanosatellite en 2027. »

L'autre actualité du CSUM, c'est le nanosatellite ENSO. Lancé en décembre dernier, il a pris hier, 11 mars, sa première image : « L'utilisateur final est l'Agence spatiale sud-africaine et l'objectif est de tester la technologie de la caméra embarquée mais surtout de déployer des antennes de 10 mètres de long qui vont émettre un signal basse fréquence pour mener des études sur l'ionosphère de la Terre. Ce sont des paramètres importants des radiocommunications longue portée, par exemple pour les bateaux », explique Laurent Dusseau.

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« Pas des boîtes à chaussures qui font des débris »

Le Centre spatial universitaire de Montpellier est monté en puissance en un peu plus de dix ans. Il compte aujourd'hui 35 salariés, 12 étudiants en master spécialisé en alternance, et une vingtaine d'étudiants en stage. Laurent Dusseau revendique la dimension internationale du centre.

« Nous sommes une petite agence spatiale complètement équipée avec une salle propre, des moyens d'essais, une station sol, une centre de contrôle, etc., capable d'accomplir des missions de A à Z, rappelle-t-il. Et aujourd'hui, nos contrats sont essentiellement à l'export. Le centre bénéficie d'une véritable reconnaissance car tout ce que nous faisons fonctionne, alors que seulement 14% des cubsats font leur mission, incluant ceux de l'ESA ou de la NASA. Nous ne lançons pas des boîtes à chaussures qui font des débris ! Notre force, c'est cet équilibre entre la fiabilité des satellites et les coûts, c'est-à-dire des programmes accessibles avec des budgets universitaires tout en gardant un niveau d'exigence de qualité. »

* Les fortes précipitations des épisodes cévenols sont causées par l'accumulation d'humidité en mer. Le projet consiste à équiper les navires de récepteurs GNSS. Les signaux de ces systèmes de positionnement par satellites sont affectés par la vapeur d'eau dans la troposphère et il est possible d'en déduire la quantité de vapeur d'eau accumulée au-dessus de la Méditerranée, susceptible de déclencher un épisode cévenol.

Cécile Chaigneau

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