L’appétence pour l’entrepreneuriat reprend des couleurs en France, malgré le contexte et les défaillances

En temps de crises successives, d’inflation et de relations géopolitiques tendues, l’entrepreneuriat a-t-il encore la cote ? C’est ce que tente d’évaluer le rapport Global Entrepreneurship Monitor. En 2023, il a analysé les données de 46 pays. La France remonte dans le classement du contexte entrepreneurial. Malgré une baisse de la valorisation de l'entrepreneuriat, l’intention de créer une entreprise dans les trois prochaines années est revenue au niveau de 2021, et le total de l’activité entrepreneuriale émergente a connu une forte progression. Détails.
Cécile Chaigneau
En France en 2023, l'entrepreneuriat continue à être perçu comme un choix de carrière souhaitable pour 65% des personnes interrogées (vs 67,8% en 2022).
En France en 2023, l'entrepreneuriat continue à être perçu comme un choix de carrière souhaitable pour 65% des personnes interrogées (vs 67,8% en 2022). (Crédits : DR)

Le rapport Global Entrepreneurship Monitor (GEM) prend chaque année le pouls de l'activité entrepreneuriale dans le monde (dans 46 pays en 2023) et formule des préconisations à l'attention des décideurs politiques. En France, c'est le LabEx Entreprendre de Montpellier (200 chercheurs), dédié à l'entrepreneuriat dans les domaines « droit, économie et gestion », qui s'y colle depuis 2021.

En 2023, la France a connu une situation économique marquée par une faible augmentation du PIB (environ 1%) mais le contexte géopolitique incertain et des coûts de l'énergie qui ont continué de monter ont favorisé une hausse des faillites d'entreprises (+38,8% entre 2022 et 2023, selon Altarès), en particulier parmi les PME. Malgré tout, le pays a enregistré 1.051.500 créations d'entreprises (INSEE, 2024), même si ce chiffre est en léger recul par rapport à 2022 (-1%).

En 2023, la France est passée de la 18e à la 12e place des pays les plus riches en termes de contexte entrepreneurial.

« L'écosystème entrepreneurial d'un pays est estimé sur la base de treize d'indicateurs - accompagnement, actions menées en termes de financement, promotion de l'entrepreneuriat auprès des jeunes, etc. - et les experts ont estimé que ce contexte entrepreneurial français était resté relativement stable alors qu'il s'était dégradé dans les 15 autres pays les plus riches de l'étude, explique Karim Messeghem, professeur à l'Université Montpellier Management, l'un des deux responsables scientifiques de l'équipe GEM France (avec Frank Lasch). On pourrait dire que les autres pays ont couru moins vite ! »

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Une baisse de la valorisation de l'entrepreneuriat

Les résultats de l'étude révèlent une évolution dans la perception de l'entrepreneuriat par la société, avec une baisse de la valorisation de l'entrepreneuriat : « L'entrepreneuriat continue à être perçu comme un choix de carrière souhaitable pour 65% des personnes interrogées (vs 67,8% en 2022) et comme un statut social élevé pour 51,8% (vs 55,4% en 2022) ». De même, la perception de la facilité de démarrer une entreprise recule légèrement : « La perception de la facilité de démarrer une entreprise est passée de 52% en 2022 à 50,5% en 2023 ».

Si le principal moteur de l'entrepreneuriat est la recherche d'autonomie et d'indépendance, l'étude GEM cherche à apprécier d'autres motivations. En France en 2023, elles sont surtout d'ordre économique : « pour bâtir une grande richesse ou obtenir un revenu très élevé » (44% vs 39% en 2021) et « pour gagner sa vie, car les emplois sont rares » (43% vs 51% en 2021). La motivation pour « perpétuer une tradition familiale » est la plus faible pour la France (17,5%), et la motivation « volonté de faire une différence dans le monde » n'est exprimée que par 20% des entrepreneurs interrogés (contre 26% en 2021 et 24% en 2022), en fort décalage avec les autres pays à 47 ou 48%.

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Forte progression de l'activité entrepreneuriale émergente

L'intention de créer une entreprise dans les trois prochaines années revient au niveau de 2021 : 16,9% en 2021, 18,8% en 2022 et 17,2% en 2023. La France se situe au-dessus de la moyenne des pays du G7 (16,5%) mais en-dessous des Etats-Unis (17,9%) et du Canada (24,1%).

L'écart entre femmes et hommes en termes d'intention entrepreneuriale se creuse : ce taux est passé de 18,6% à 15,4% pour les femmes entre 2022 et 2023 alors qu'il est resté stable autour de 19% pour les hommes.

« Il existe un plafond de verre qu'on n'arrive pas à dépasser, d'où les propositions faites par le rapport du GEM sur les actions d'accompagnement et la nécessité de repenser les politiques d'égalité, souligne Karim Messeghem. Il existe toujours des biais du côté des femmes, sur lesquels il faut aussi travailler, comme sur les représentations. C'est un travail structurel profond qu'il faut mener sur ces questions. »

Le total de l'activité entrepreneuriale émergente (TAE), qui correspond au pourcentage de personnes qui se sont engagées récemment dans le processus entrepreneurial par rapport à la population adulte, a connu une forte progression, passant de 7,7% en 2021 à 10,8% en 2023. Ce taux situe la France légèrement en-dessous de la moyenne des pays du G7 (12,2%) mais très en retrait par rapport aux Etats-Unis (14,7%) et au Canada (19,8%).

« Cela démontre un engagement plus marqué, une volonté de prendre la main sur la trajectoire de sa vie professionnelle, analyse Karim Messeghem. Les possibilités offertes par le statut de micro-entrepreneur ont largement favorisé les formes d'hybridation dans les trajectoires professionnelles. »

Le rapport relève que trois régions sont plus dynamiques en termes de TAE : la Nouvelle Aquitaine (13,3%), Auvergne-Rhône-Alpes (12,4%) et l'Ile-de-France (12%). La région PACA, qui occupait la première place en 2022, recule avec un taux qui passe de 12,63% à 11,1%.

« L'Occitanie est plutôt en bas de classement (9,3%, NDLR), on est légèrement en-dessous de la moyenne nationale, ce qui peut paraître surprenant comparé au travail de fond qui est mené, mais les acteurs politiques doivent être sensibles à cette évolution et réfléchir aux actions d'accompagnement », indique Karim Messeghem.

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« La crise sanitaire n'est plus mise en avant »

Si le nombre de défaillances d'entreprises a connu un fort rebond en 2023, « le nombre de sorties entrepreneuriales demeure très mesuré », indique enfin le rapport : « Le pourcentage de personnes confrontées à une sortie entrepreneuriale avec un arrêt d'activité reste relativement stable (2,2% en 2022 et 2,3% en 2023). Ce pourcentage de sortie entrepreneuriale avec continuité d'activité est stable entre 2022 (1,4%) et 2023 (1,2%). Les motifs de sortie entrepreneuriale ont changé. La crise sanitaire est plus mise en avant (5,6% en 2022 vs 10,2% en 2023). Le principal motif reste le fait que l'entreprise ne soit pas rentable (18,3%). Les raisons personnelles restent au cœur des décisions de sortie entrepreneuriale, qu'il s'agisse d'une opportunité d'emploi ou d'investissement (17%), de raisons familiales ou personnelles (12,6%), d'une opportunité de vendre (10%) ou d'un départ à la retraite (7%) ».

Pour soutenir l'entrepreneuriat en France, le rapport GEM formule des recommandations visant à promouvoir l'esprit d'entreprendre dès le primaire (la France se classant en dernière position, 16e sur 16, en matière de promotion de l'entrepreneuriat au primaire et au secondaire), à encourager l'entrepreneuriat féminin (en visant l'objectif d'un TAE féminin qui monterait de 9% à 11 ou 12% et un taux d'entrepreneuses établies qui passerait de 3,3% à 4 ou 5%, la France se rapprocherait de la parité,) et à faciliter l'accès aux marchés pour les jeunes entreprises.

En 2023, 4.925 chefs d'entreprises ont perdu leur emploi en Occitanie

Le 17 mars, Altarès et l'association GSC communiquaient les chiffres de l'observatoire de l'emploi des entrepreneurs en Occitanie : 4.925 chefs d'entreprises ont perdu leur emploi durant l'année 2023. Soit une accélération de +38,7% en un an. « Le nombre de pertes d'emploi dépasse les seuils d'avant-crise Covid et atteint son plus haut niveau depuis la crise financière de 2016 », souligne l'étude. Près de 8 entrepreneurs sur 10 ayant perdu leur emploi en 2023 dirigeaient une structure de moins de trois salariés. La Haute-Garonne est le département le plus touché par ces pertes d'emploi, la Lozère celui qui enregistre la plus importante augmentation (+106,3%).

Parmi les facteurs à retenir : la hausse des taux d'intérêt, la fin des aides Covid et la reprise des procédures d'assignation Urssaf qui accentuent les problèmes de trésorerie des chefs d'entreprise. L'observatoire indique également que « les entrepreneurs expérimentés, à la tête d'une entreprise depuis sept ans en moyenne, ont également été impactés en 2023 » et que « les professionnels du secteur de la construction sont parmi les plus sinistrés en Occitanie ». Mais l'inflation ayant durement affecté le commerce, 1.170 dirigeants se sont aussi retrouvés en situation de chômage en Occitanie.

« Les chiffres de 2023 sont très alarmants, mais malheureusement peu surprenants, commente Anthony Streicher, président de l'association GSC. En 2023, chaque jour, ce sont près de 13 chefs d'entreprise qui se sont retrouvés au chômage en Occitanie ! »

Cécile Chaigneau

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Commentaires 3
à écrit le 19/04/2024 à 11:08
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L'appétence à l'entreprenariat ressemble bien plus a un désir d'effectuer du "travail au noir", permettant ainsi de nous sortir des chiffres pour de beau discours sur le dynamisme des créations ! ;-)

à écrit le 19/04/2024 à 10:27
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Oui à l'entreprenariat mais à condition de respecter un parcours initiatique afin d'éviter les désillusions et les échecs : après une formation de base acquérir une bonne connaissance du métier envisagé par quelques années d'expérience professionnell...

à écrit le 19/04/2024 à 10:10
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Parmi les moteurs de l'entrepreneurial la motivation pour « perpétuer une tradition familiale » est la plus faible pour la France (17,5%). En Allemagne et en Italie elle se situe à 31,4% et 31,5%. Cela montre l'handicap de depart dont souffre la Fra...

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