Flambée de l’énergie : la CPME Hérault agite le chiffon rouge sur la rentabilité des petites entreprises

Des chiffres au vert, des niveaux d’activité retrouvés, un chômage bas. Mais une inflation qui grimpe, des coûts de matériaux qui s’envolent et des prix de l’énergie assassins qui vont rapidement affecter la trésorerie des entreprises. Dans l’Hérault, la CPME de l’Hérault agite le chiffon rouge : « L’activité est là mais pas la rentabilité », s’inquiète son président, Grégory Blanvillain. Analyse et témoignages.
Cécile Chaigneau
Grégory Blanvillain (CPME Hérault), Sylvain Maillard (Synia) et Bernard Cabiron (Cabiron Traiteur).
Grégory Blanvillain (CPME Hérault), Sylvain Maillard (Synia) et Bernard Cabiron (Cabiron Traiteur). (Crédits : DR)

La CPME Hérault tire la sonnette d'alarme : face au mur de la crise énergétique et alors que les remboursements des PGE s'amorce, le syndicat de dirigeant d'entreprises affiche son inquiétude quant à la rentabilité des entreprises, et donc leur pérennité. Dans un communiqué, envoyé au préfet de l'Hérault mais aussi aux parlementaires, « un grand nombre d'entre elles vont travailler à perte en 2023 et risquent d'atteindre le point de non-retour ».

« C'est là tout le paradoxe de la situation économique actuelle qui affiche de bons chiffres du côté de la croissance, du développement des chiffres d'affaires, de la création d'emplois avec une baisse du chômage inédite, et pourtant, la situation nous inquiète grandement, campe Grégory Blanvillain, le président de la CPME de l'Hérault. Mais c'est l'arbre qui cache la forêt : l'activité est là mais pas la rentabilité. Tous les coûts augmentent voire explosent : hausse des matières premières avec pénurie dans certaines filières qui obligent à payer ses commandes plusieurs mois à l'avance sans garanti de délais de livraison, hausse des carburants qui a doublé le poste en deux ans dans certaines entreprises, hausse des salaires pour faire face à la pénurie de main d'œuvre ou garder ses talents, et maintenant crise de l'énergie qui menace de multiplier par deux, cinq ou dix les factures des 
entreprises ! »

Des bilans 2023 problématiques

Une équation qui ne sera pas tenable pour beaucoup d'entreprises qui ne pourront pas répercuter toutes ces augmentations de coûts sur leurs prix de vente sans perdre leur compétitivité. Leurs seuls leviers pourraient alors être de licencier ou, pour les plus touchés, de mettre la clé sous la porte...

« Par exemple, certains commerces vont passer de 1.000 à 1.500 euros d'électricité par mois : c'est énorme pour une petite structure, souligne Grégory Blanvillain. Les plus petites entreprises n'ont souvent pas de directeur administratif et financier pour calculer leur rentabilité et à mi-bilan, ni de tableaux de bord réguliers. Elles se sont rendu compte que leur poste carburant avait déjà atteint le niveau 2021 ! Les difficultés vont se voir dès les premiers bilans de 2022, mais surtout en 2023 qui sera une année complète de remboursement des PGE. Les dettes fiscales et sociales ont été appelées à partir de cet été donc les échéancier démarrent. Alors qu'il faudrait dégager entre cinq et dix points de marge supplémentaire pour faire face à ces dettes, beaucoup de TPE et PME se retrouvent plutôt à la réduire comme peau de chagrin ! »

« Des trous dans la raquette »

Pour soutenir les entreprises en difficultés par rapport à l'envolée des prix de l'énergie, le gouvernement a annoncé des dispositifs d'aide : l'extension du bouclier tarifaire électricité aux petites entreprises de moins de 10 salariés ayant un chiffre d'affaires inférieur à deux millions d'euros, et un dispositif d'aide dite d'urgence gaz et électricité ciblant les PME de 10 à 250 salariés dont les achats de gaz et d'électricité en 2021 atteignaient au moins 3% de leur chiffre d'affaires 2021 et qui connaissent un doublement de leur coût unitaire d'achat d'électricité ou de gaz.

Grégory Blanvillain désigne « deux gros "trous dans la raquette" » : « Dans les entreprises de moins de 10 salariés, il y a de nombreux commerces - boulangers, bouchers, primeurs, fromagers, poissonniers... - ou TPE qui sont exclus du dispositif au motif que leurs besoins en électricité, et donc la puissance de leur compteur, nécessitent une puissance de plus de 36 kVA (kilovoltampères, NDLR)... Pour les PME de 10 à 250 salariés, il semble dangereux d'attendre ce doublement du coût de l'énergie sans mettre en péril un grand nombre de TPE-PME. D'autant plus que l'indemnisation est soumise à une baisse importante de l'excédent brut d'exploitation, voire à un EBE négatif. Or personne ne calcule son EBE tous les mois !

Par ailleurs, le dirigeant souligne un décalage, rappelant qu'en 2021, les entreprises étaient encore dans une économie dégradée et sans avoir encore subi les augmentations des coûts de l'énergie, rendant le critère des "3%" difficile à atteindre pour être éligible à l'aide, « alors que sur l'année 2022 et sans doute encore plus sur l'année 2023, le poste énergie dépassera largement ces 3% du chiffre d'affaires demandé ». Ajoutant « il faudrait faire évoluer la période de référence sur un trimestre glissant,  ce qui correspondrait réellement à l'impact subi en raison du coût de l'énergie ».

« C'est comme si on était punis d'avoir fait de la sobriété »

A Lavérune, près de Montpellier, la société Wizzcom, plus connue sous le nom de sa marque-phare Sÿnia, est spécialisée dans l'impression d'étiquettes adhésives et dans le doming (étiquettes adhésives en relief suivant un procédé consistant à déposer une résine transparente sur les supports marketing). Elle emploie aujourd'hui une vingtaine de salariés pour un chiffre d'affaires de 1,9 millions d'euros en 2021 (2,1 millions d'euros attendus en 2022). Son dirigeant, Sylvain Maillard, agite aujourd'hui le chiffon rouge auprès de tous ses interlocuteurs (syndicat, CPMPE, Medef, Métropole, etc.).

« Nous sommes très engagés RSE depuis longtemps : Imprim'Vert, Global Compact, ISO 26000-Lucie, EcoVadis "Or"... nous faisons partie des 4% des imprimeurs les plus responsables au monde, rappelle-t-il en préambule. Il y a trois ans, j'ai formé un référent énergie pour travailler sur la sobriété énergétique, ce qui nous a amené à un budget électricité de 28.000 euros en 2021. Nous avions un contrat avec TotalEnergies, au prix de 46 euros/MWh. Il se terminait cet été et Total nous a fait une nouvelle proposition à 500 euros/MWh ! J'ai fait appel à un courtier pour comparer les prix et nous avons signé en juin avec celui qui nous faisait le meilleur prix : Ekwatter, à 255 euros/MWh. Mais nous sommes passés de 28.000 euros à 135.000 euros d'électricité par an, après une année Covid où notre chiffre d'affaires a baissé... Aujourd'hui, l'Etat aide les entreprises dont le budget énergie représente au moins 3% de son chiffre d'affaires 2021 : nous ne sommes pas éligibles car cela représente 2,2% pour nous en 2021... mais 7 à 8% aujourd'hui ! »

Alors Sylvain Maillard s'emporte : « C'est comme si on était punis d'avoir fait de la sobriété énergétique ! », indiquant que les réductions de consommation d'énergie ont déjà été effectuées et qu'augmenter les prix n'est pas recevable pour ses clients.

« Nous avons renforcé les équipes pour se préparer à de gros marchés qui arrivent, nous venons de déposer deux brevets sur un procédé de résine biosourcées en alternative aux résines pétro-sourcées, et nous allons construire une usine de 3.000 m2 à Villeneuve-lès-Maguelone à horizon trois ans. Mais ces incertitudes et ce contexte font peur. »

Alors qu'il a commencé à rembourser son PGE en mai dernier, le dirigeant ajoute qu'il va payer les surplus de ses factures d'électricité « avec ce qui nous reste de PGE, donc il faut vraiment qu'on nous aide ! ».

« Ces charges cumulatives vont quasiment supprimer nos marges »

A la CPME Hérault, Grégory Blanvillain souligne que la courbe des procédures au tribunal de commerce a commencé à s'inverser au 3e trimestre 2022.

« Il faut arrêter de confondre le chiffre d'affaires et la marge, s'agace-t-il. Une entreprise a besoin d'être rentable pour assurer la pérennité de son activité, de ses emplois et continuer à investir, à innover, à créer de la valeur. L'instabilité et les conséquences de facteurs extérieurs sur lesquels les chefs d'entreprises n'ont aucune emprise méritent un accompagnement pour amortir un minimum ces impacts. »

La préservation des marges, c'est notamment bien la problématique actuelle des traiteurs. Contrairement à une industrie, le poste énergie n'est pas le plus important pour ce secteur qui, s'il produit, est surtout un métier de prestations de service. A Montpellier, l'entreprise Cabiron Traiteur devrait réaliser un chiffre d'affaires de 5 millions d'euros en 2022, pour 49 salariés (contre 6 millions en 2019 et 56 salariés). Son dirigeant, Bernard Cabiron (également président national de la branche traiteurs du Groupement national des indépendants et vice-président national de l'association Traiteurs de France), souligne pour autant que l'énergie reste un paramètre potentiellement problématique.

« C'est la masse salariale qui est le poste le plus important pour nous, représentant 50%, de notre chiffre d'affaires, donc le poste énergie n'est pas significatif, ce qui fait que nous ne sommes pas éligibles au bouclier tarifaire, indique-t-il. Nous avons des contrats d'énergie fixes bien négociés qui vont s'arrêter fin d'année. Avec les nouveaux contrats, nous nous retrouvons avec un doublement de la charge, soit 35.000 euros en plus. Or la marge nette moyenne des traiteurs au niveau national est de 1,5 à 2% seulement : j'aurai donc du mal à absorber une hausse aussi importante, d'autant qu'on connaît en même temps une hausse des matières alimentaires et des salaires. Ces charges cumulatives vont quasiment supprimer nos marges. »

Le traiteur regrette cet entre-deux des PME qui restent sans solutions : « On en discute avec Bercy... Je pense qu'il faut une solution à court terme pour passer la crise, mais aussi à long terme pour aider les PME à investir dans des dispositifs qui leur permettront de réduire leur consommation d'énergie ».

En attendant, le traiteur réfléchit à envoyer un courrier à ses clients pour les informer de l'augmentation des coûts, et à ajouter une indexation tarifaire dans ses contrats de 2023.

Cécile Chaigneau

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