Avec le changement de réglementation, les agriculteurs sont dans une expectative inquiète

C’est peu dire que l’angoisse monte chez les producteurs et expéditeurs de fruits et légumes alors que la saison des fruits d’été s’approche. En cause, le changement de réglementation sur les emballages et la fin du plastique. Reportage dans les Pyrénées-Orientales.
Les producteurs de fruits et légumes soulignent le surcoût engendré par la nouvelle réglementation, avec une barquette plastique à 4 centimes, et une barquette en carton entre 13 et 18 centimes.
Les producteurs de fruits et légumes soulignent le surcoût engendré par la nouvelle réglementation, avec une barquette plastique à 4 centimes, et une barquette en carton entre 13 et 18 centimes. (Crédits : Yann Kerveno)

Entrer dans le bureau de Julien Battle, patron d'Ille Roussillon, un des opérateurs majeurs des fruits et légumes des Pyrénées-Orientales, c'est se trouver confronté à une montagne d'emballages. Passer quelques jours plus tard à la coopérative Ille Fruits, c'est découvrir le même spectacle...

À quelques semaines de l'arrivée sur le marché des premiers abricots, des premières pêches, les opérateurs sont dans le flou complet. Pour comprendre, il faut revenir à la loi AGEC, acronyme pour anti-gaspillage pour une économie circulaire, promulguée en 2020 et qui prévoyait la disparition du plastique dans les emballages de fruits et légumes pour le 1er janvier 2023 pour les conditionnements de moins de 1,5 kg. Les producteurs d'emballages avaient alors attaqué le décret et le Conseil d'État leur avait donné raison, poussant le gouvernement à écrire et publier un nouveau décret d'application avec une liste un peu élargie de produits exemptés. Décret de nouveau attaqué au Conseil d'Etat, la procédure est toujours en cours, et condamné par la Commission européenne le 15 décembre dernier au motif que la France n'avait pas à prendre de l'avance sur un texte en cours de discussion au niveau européen (voir encadré), et dont les grands traits ont été rendus publics en ce début de semaine.

Même le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau, lors de sa récente visite à Perpignan au congrès des producteurs de fruits le 15 février dernier, n'avait pas rassuré les producteurs, indiquant qu'il était urgent d'attendre et que le ministère allait voir comment « sécuriser » juridiquement les entreprises...

Un camion par jour

Si les producteurs ne sont pas hostiles au changement, ils pointent du doigt une foule de problèmes.

« Les films plastiques que nous utilisons sont du RPET, donc c'est déjà du plastique recyclé, nous n'ajoutons rien à ce qui existe plaide Jean-François Not, président d'Ille Fruits. Ensuite, notre consommation ne représente que 1,5% des plastiques utilisés, et 50% de nos produits sont déjà vendus en vrac... »

Voilà pour les récriminations globales. Sans compter que les films biosourcés n'ont pas les mêmes qualités techniques : « Ils ont une date de péremption et comme les emballages en cartons, ils absorbent l'humidité » détaille Jean-François Not.

C'est même la durabilité des produits de substitution qui est mise en questions : « Pour fabriquer une barquette en PET, il faut juste un peu d'eau chaude, mais combien en faut-il pour produire du carton ? C'est comme pour le transport : vous pouvez charger 600.000 barquettes en plastique dans un camion, pour les barquettes en cartons, c'est entre 40.000 et 90.000. Cela veut dire qu'au lieu de remplir un camion par semaine, ce sera un camion par jour », précise François Bès, directeur d'Ille Fruits.

Surcoût

Economiquement, le surcoût estimé à un million d'euros pour Ille Fruits et tout autant pour Ille Roussillon.

« Les produits de substitution sont trois fois plus chers que ce que nous utilisons aujourd'hui, ajoute François Bès. Le film plastique c'est 2 centimes, son remplaçant biosourcé, c'est 9 centimes. La barquette plastique c'est 4 centimes, mais en carton, c'est entre 13 et 18 centimes. Nous avons calculé : cela rajoute en gros 25 centimes par portion. »

Un point diablement problématique parce que les unités de ventes de moins de 1,5 kg sont pour leur grande part destinées à commercialiser des premiers prix ou des petits calibres...

« Avec les kiwis, nous avons bien vu, depuis le début de l'année, que les distributeurs ne veulent pas prendre leur part de cette augmentation, ajoute Jean-François Not. Pour les barquettes, nous avons trouvé une solution technique satisfaisante avec la cellulose, mais il faudrait que nous investissions 150.000 euros dans le moule. Mais comment faire sans visibilité ? »

Parce qu'aujourd'hui, 7 mars, les agriculteurs ne savent toujours pas si la loi est applicable maintenant en France, ou en 2030 comme l'envisage le texte européen... Mercredi soir 6 mars, Bruno Vila, vice-président de Légumes de France et patron de Rougeline, avouait ne pas savoir ce qui allait se passer : « Le ministère de la Transition écologique semble maintenir que la loi AGEC s'applique dès maintenant mais en fait, on n'en sait pas plus... ».

L'urgence, c'est François Bès qui la résume : « Il n'y a en Europe qu'un seul producteur de film biosourcé, il est au Royaume-Uni et il ne sera pas en mesure de fournir des volumes pour tout le monde si on lui commande 40.000 kilomètres de film maintenant, sans compter les délais de fabrication Le problème se posera de la même manière pour les emballages en carton. En gros, pour être prêts pour la saison, il faudrait que passions les commandes d'ici dix jours grand maximum... ».

Emballages : un accord européen

Les eurodéputés et les Etats membres se sont mis d'accord, le 4 mars, sur un texte visant à verdir les emballages dans l'UE. Il fixe un objectif de réduction de 5% d'ici à 2030 (par rapport à 2018) du volume total de déchets d'emballages dans l'UE, puis de 10% en 2035 et 15% d'ici à 2040. Tous les emballages devront par ailleurs être recyclables à partir de 2030.

Les chiffres qui ont conduit à cet accord : en une décennie, les Européens ont généré 32 kilos de déchets d'emballages supplémentaires, soit, selon Eurostat, 188,7 kg par habitant en 2021 pour un taux de recyclage de seulement 64% (40% pour les emballages plastiques). Faute d'action, la barre des 200 kg annuels serait franchie d'ici à 2030.

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Commentaire 1
à écrit le 08/03/2024 à 10:27
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Alors que pour les produits frais cela se comprend mieux que pour les produits industriels qui emballent deux fois parfois trois leurs produits ! C'est ahurissant. Ils nous font payer leurs produits ! Nous montons nos meubles, nous passons nos articl...

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