Michel-Edouard Leclerc : "Faut-il demander aux commerçants d’être mécènes de la vie sociale ? "

Michel-Edouard Leclerc, le P-dg du groupe éponyme, était à Montpellier le 17 décembre, invité par la Fédération des promoteurs immobiliers. Il s’est longuement exprimé sur le devenir du commerce à l’ère de la révolution numérique et de la transition écologique. Revue de détails.
Cécile Chaigneau
Laurent Villaret (président de la FPI Occitanie Méditerranée) et Michel-Edouard Leclerc (Pdg de l'enseigne E. Leclerc) à Montpellier le 17 décembre 2019.
Laurent Villaret (président de la FPI Occitanie Méditerranée) et Michel-Edouard Leclerc (Pdg de l'enseigne E. Leclerc) à Montpellier le 17 décembre 2019. (Crédits : DR)

Michel-Édouard Leclerc, P-dg de l'enseigne de grande distribution E.Leclerc (645 adhérents), était l'invité de la Fédération des promoteurs immobiliers Occitanie-Méditerranée (président : Laurent Villaret), le 17 décembre à Montpellier, à l'occasion de leur cérémonie des vœux. Le dirigeant intervenait sur la thématique de « La mutation des friches commerciales à l'ère de la révolution numérique et de la transition écologique : une nouvelle conquête urbaine ? ». Un monologue dont le fil conducteur aura été « l'injonction paradoxale » qu'il observe en matière de politique d'aménagement commercial...

  • Dans le rétroviseur

« Le premier magasin Carrefour a été construit en 1963 à côté de Paris, à Sainte-Geneviève-des-Bois. Cet hypermarché collait parfaitement avec les aspirations politiques qui poussaient alors la voiture. De 1964 à 1973, la France se couvre d'hypermarchés, en adéquation évidente avec le discours politique qui promeut l'autonomie par la voiture. En 1973, est votée la loi Royer (la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat, dite loi Royer, fut le premier régime à réglementer l'urbanisme commercial, NDLR) au nom de l'équilibre entre les différentes formes commerciales. Cela a canalisé en partie les hypermarchés, mais ils ont continué de proliférer et sont devenus la forme dominante. Ce qui correspondait aux volontés des aménageurs qui externalisaient les activités moins nobles et plus polluantes, génératrices de flux, à l'extérieur des villes. »

  • Les entrées de villes en « boîtes à chaussures »

« Dès lors, on s'est étonné que les entrées de villes alignent des boîtes à chaussures ! Cette prise de conscience s'est malheureusement faite au détriment des commerçants qui portent la charge de s'en défendre. Certes les entrées de ville sont peu esthétiques : mais il faut savoir si on veut parler d'esthétique ou de bilan carbone ! C'est une injonction paradoxale... Le meilleur bilan carbone aujourd'hui, c'est le drive, donc ce n'est pas esthétique. Il ne faut pas faire de l'idéologie de centre-ville ou de l'idéologie de la réhabilitation de friches commerciales. Nous sommes prêts à investir dans nos magasins pour répondre aux injonctions carbone, d'esthétique et d'usages mais je ne sais pas le faire en centre-ville à prix Leclerc ! »

  • Périphérie VS centre-ville

« Je n'oppose pas le centre-ville et la périphérie. Mais si l'expérience client était sexy en centre-ville, les clients viendraient. Il faut raisonner dans un schéma global, ville par ville. Toutes les problématiques de l'implantation du commerce, je les ai vécues avec ces injonctions paradoxales : demander aux commerçants de revenir en centre-ville pour y créer de l'emploi et remplir une fonction sociale, et en même temps empêcher les voitures d'y accéder, ça ne marche pas ! Pour éviter de reproduire ces bêtises, je prône un dialogue pour un projet co-construit entre aménageurs publics et opérateurs privés. Pour que le commerce marche, il faut tenir compte des usages : un consommateur qui laisse un panier moyen de 85 € ne se déplace pas à pied avec ses courses dans son filet, il prend sa voiture... A l'heure du digital, l'erreur serait de ne pas se projeter à 15-20 ans sans imaginer l'impact du web-commerce qui représentera peut-être 30 à 40 % des parts de marché. On aura à repenser notre offre, mais dans l'aménagement d'une ville, ça rendra obsolète l'existence de fonds de commerce, d'autant que ça coutera très cher. Mais faut-il demander aux commerçants d'être mécènes de la vie sociale ? Si oui, alors qu'on ne nécrose pas notre ambition commerciale, nous ne sommes pas un service public ! »

  • Le magasin physique VS e-commerce

« Amazon ? Même pas peur ! C'est le roi de la logistique et de l'exploitation des données, donc du marketing par derrière. L'enrichissement d'Amazon, c'est l'arrière du comptoir, mais ce qu'ils n'ont pas, c'est la promesse commerciale d'un hypermarché. En revanche, ils nous ont appris qu'en termes de bilan carbone, c'est mieux d'avoir un centre logistique livrant 2 000 personnes que 2 000 personnes qui viennent dans un magasin. Nous allons créer des points relais... Mais je continue de croire au centre commercial, à l'attractivité du magasin physique, même si je ne suis pas un idéologue de l'hypermarché. Je crois au multicanal. L'hypermarché de demain pourra être en milieu urbain ou en périphérie, c'est une question de contexte. Il devra répondre aux exigences du consommateur et se donner les moyens de rivaliser avec le digital. »

  • Le défi des dix prochaines années ?

« Ce sera de faire monter qualitativement le modèle alimentaire français avec les industriels de l'agroalimentaire pour répondre aux attentes des consommateurs. Chez Leclerc, nous allons afficher les nutri-scores (étiquetage nutritionnel des produits, proposé par la loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016, NDLR) à la rentrée. Autres défis : l'accessibilité - et non la proximité -, et convaincre l'élu-aménageur que c'est la démographie d'abord qui justifie les commerces. »

Cécile Chaigneau

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Commentaires 2
à écrit le 20/12/2019 à 10:39
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Il aurait été préférable d'entendre Michel-Edouard Leclerc disserter sur la désertification des centre-villes. Et que penser des effets de la loi récente d'équilibre entre les producteurs et les distributeurs? Voilà près de 30 ans que Monsieur Lecler...

à écrit le 19/12/2019 à 8:59
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En effet, décideurs politiques et économiques, influencés fortement par le lobby pétrolier soit dit en passant, ont tout misé sur la bagnole générant ces zones commerciales immondes. "No parking no business" qu'ils disaient tous en cœur, à savoir...

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