Montpellier finaliste au titre de Capitale européenne de la culture 2028 : « La culture est précurseur d’un espace de projection politique »

INTERVIEW – Le 3 mars, était révélée la liste des quatre villes finalistes pour le second tour au titre de Capitale européenne de la culture 2028. La candidature de Montpellier-Sète en fait partie, avec Clermont-Ferrand, Bourges et Rouen. Emmanuel Négrier, directeur du Centre d'études politiques et sociales (CEPEL) de l'université de Montpellier et chercheur CNRS, apporte son éclairage sur cette candidature, ses atouts et ses faiblesses, dans le dernier round qui l’attend.
Cécile Chaigneau
Emmanuel Négrier, directeur du Centre d'études politiques et sociales (CEPEL) de l'université de Montpellier, chercheur CNRS, a notamment co-écrit avec Philippe Teillet Culture et Métropole - Une trajectoire montpelliéraine, paru en janvier 2021 dans la collection Les cahiers POPSU.
Emmanuel Négrier, directeur du Centre d'études politiques et sociales (CEPEL) de l'université de Montpellier, chercheur CNRS, a notamment co-écrit avec Philippe Teillet "Culture et Métropole - Une trajectoire montpelliéraine", paru en janvier 2021 dans la collection Les cahiers POPSU. (Crédits : Richard Sprang)

Première marche vers une possible victoire pour la candidature de Montpellier-Sète au titre de Capitale européenne de la culture 2028 : le 3 mars, le jury, composé d'experts indépendants dans le domaine de la culture ou du développement urbain basé sur la culture, a annoncé retenir la candidature héraultaise pour le second tour parmi quatre finalistes. Les trois autres sont Rouen, Clermont-Ferrand et Bourges. Ont donc été recalées les candidatures des villes de Saint-Denis, Reims, Amiens et Nice.

Le franchissement de cette étape ouvre un nouveau chapitre, avec un nouveau dossier qui sera remis en novembre prochain pour une désignation attendue fin 2023.

L'initiative, créée en 1985, permet depuis 2009 à deux villes de deux pays membres de l'Union européenne de se partager le label. En 2028, il s'agira de la France et de la République Tchèque. A ce jour, quatre villes françaises ont reçu ce titre : Paris en 1989, Avignon en 2000, Lille en 2004 et Marseille en 2013.

LA TRIBUNE - Comment qualifier la dynamique enclenchée sur le territoire ? Elle est plutôt inédite en matière de culture...

Emmanuel NEGRIER, directeur du Centre d'études politiques et sociales (CEPEL) de l'université de Montpellier, chercheur CNRS - La particularité de cette candidature, c'est qu'elle a un peu navigué : elle a d'abord été portée par l'ancien maire Philippe Saurel, qui l'avait finalement un peu laissée de côté à la fin de son mandat, avant de retrouver une dynamique après l'élection de Michaël Delafosse (PS, ndlr) en 2020. La nouveauté, c'est cette alliance avec Sète mais aussi tout un territoire (la candidature Montpellier-Sète engage la Métropole de Montpellier, Sète Agglopôle Méditerranée, la Ville de Sète, la Région Occitanie, le Département de l'Hérault, la communauté de communes du Pays de Lunel, la communauté de communes du Grand Pic-Saint-Loup, la communauté de communes Vallée de l'Hérault, l'Agglomération Hérault Méditerranée, et l'ensemble des acteurs culturels du territoire - NDLR), avec l'idée de faire quelque chose de nouveau et d'assez tendance : ce sont moins des villes, c'est à dire des lieux, qui candidatent que des territoires. Ça prend un tour singulier par rapport à l'histoire des politiques culturelles : dans "Culture et Métropole - Une trajectoire montpelliéraine" (paru en janvier 2021 dans la collection Les cahiers POPSU, signé Emmanuel Négrier et Philippe Teillet, NDLR), on observait déjà que Montpellier était la Métropole qui avait le niveau le plus élevé de transfert de compétences culturelles des communes vers une métropole, avec Clermont-Ferrand d'ailleurs, et pourtant, on restait un peu sur sa faim dans le bilan de cette "intercommunalisation" de la culture, sur la réalité d'un projet culturel du territoire. Cette "intercommunalisation" ne s'est pas suffisamment concrétisée, et notamment le rapport des communes à la culture est plutôt resté centripète. C'est à dire que la Métropole finance la culture mais ce sont surtout des équipements montpelliérains qui en bénéficient.

Qu'incarne donc aujourd'hui cette candidature ?

Elle incarne deux choses. La première, c'est qu'on est au-delà du territoire de la métropole : on est sur un territoire qui ressemble à un schéma de développement de l'agglomération des années 1970, où les prospectivistes, des géographes notamment, disaient qu'il fallait raisonner à cette échelle. Plus de 50 ans après, la culture est précurseur d'un espace de projection politique, tandis que d'autres domaines-clés - comme le logement, la lutte contre le réchauffement climatique, le recul du trait de côte ou le tourisme - ne sont pas des enjeux partagés. Le fait de se situer sur un modèle culturel intégrant la diversité des territoires conduit à définir la culture par une diversité de substances : quand on parle culture, on évoque habituellement les musées, la musique, la danse, le théâtre ou les festivals, mais une politique culturelle n'est pas que ça et peut être abordée par de grands enjeux comme l'eau, la santé, l'éducation, l'aménagement du territoire, l'intégration sociale, le partage des cultures au sens anthropologique. Cette candidature fait ainsi culture d'enjeux qui ne sont pas eux-mêmes spécifiquement culturels.

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Quels sont les atouts et les faiblesses de cette candidature ?

Parmi les difficultés, il y a selon moi le fait que c'est une candidature qui s'est révélée dans les derniers mois, juste après les élections municipales de 2020, alors que les autres candidatures étaient déjà largement constituées. Le 2e handicap, c'est la difficulté passée des acteurs (politiques, NDLR) de cette candidature à travailler ensemble : il y a une culture de coopération en cours de constitution, visant des objets communs mais avec des stratégies individuelles, et cette coopération doit encore coaliser. Mais c'est une faiblesse commune de tous les territoires candidats... Autre handicap relatif : il s'agit d'un territoire qui est déjà un territoire majeur des politiques culturelles. Ainsi, Montpellier est l'une des métropoles ayant le plus parié sur la culture, et Sète est ô combien marquée par la culture. C'est moins le cas à Lunel mais ce n'est pas non plus un désert culturel. Quant à Gignac ou Lodève, ce sont des villes qui ont aussi fait des paris sur la culture. Tout ça peut être considéré comme handicap si on considère que le label doit être attribué à un territoire qui en a besoin. Mais à l'inverse, il peut aussi constituer un avantage comparatif favorable si on veut récompenser les bons élèves de la culture... Justement, au rang des atouts, il y a le fait qu'à partir de leviers bien identifiés, le projet culturel peut s'étendre avec des outils qui sont déjà là, ce qui peut favoriser le développement d'un modèle original et durable. Autre avantage : ce double "débordement" territorial et sectoriel va dans le sens de l'histoire. Enfin, je vois un autre atout dans cette candidature : la présence de Fabrice Manuel (ancien directeur régional de la culture à la Région Languedoc-Roussillon, aujourd'hui chargé du développement et du suivi des projets culturels à la Ville de Sète et à Sète Agglopôle Méditerranée, NDLR) qui a la réputation d'être l'un des acteurs jouant un rôle majeur dans le développement de la culture dans la région et qui se dévoue au projet.

Les villes désignées reçoivent des subventions, notamment de l'Union européenne* et du ministère de la Culture. L'intérêt pour elles dépasse toutefois le seul octroi de subventions. Quel est l'impact positif que peut tirer une ville lauréate du label de Capitale européenne de la culture ?

On parle naturellement des retombées économiques et touristiques, et de retombées en termes d'image de marque, de notoriété, de visibilité à l'international... Un autre intérêt est aussi le fait qu'obtenir ce label est le moyen d'atteindre des objectifs qu'on n'aurait pas pu atteindre sans cette initiative, de faire émerger des projets culturels qui sortent des sentiers battus.

Quatre finalistes pour un seul gagnant : quel destin pour les vaincus ?

A ce stade d'engagement, même si un seul gagne, les trois autres ont aussi gagné car ils ont développé un projet collectif et bénéficié d'une enveloppe du ministère de la Culture. Ce n'est pas tout ou rien.

* Cette initiative bénéficie de fonds européens via le volet Culture du programme "Europe creative", doté d'un budget global de 2,5 milliards d'euros sur la période 2021-2027 (environ un tiers de ce programme est alloué au volet Culture).

Des réactions (forcément) enthousiastes

Michaël Delafosse, maire de Montpellier et président de Montpellier Méditerranée Métropole : « Quand tous les acteurs sont réunis autour d'une même dynamique, Montpellier réussit. Cette annonce témoigne de la force d'un collectif et du pouvoir de l'imaginaire pour inventer une ville et un territoire créatif et respectueux de son environnement. Elle donne à voir les perspectives d'une communauté créée autour des valeurs européennes de liberté, de tolérance et de libre circulation des biens et des personnes. Nous allons continuer de défendre la culture avec les partenaires, sur le chemin de la victoire ».

Carole Delga, présidente de la Région Occitanie : « Cette première décision vient appuyer notre projet, et le travail de l'ensemble des acteurs culturels qui chaque jour font vivre la culture. Obtenir ce label européen permettrait de faire de Montpellier la ville pilote pour expérimenter l'enseignement obligatoire des pratiques artistiques en maternelle et en primaire. Se familiariser avec la pratique de l'art dès le plus jeune âge permet de briser les préjugés, et de rendre accessible à tous la culture. Dans le cadre de cette candidature, la Région s'engage à une offre de train à 1 euro pour se rendre à tous les événements culturels prévus dans la programmation de 2028, et ainsi rendre la culture accessible sur l'ensemble du territoire ».

Cécile Chaigneau

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