C. Barbier : "Si le prochain président ne réforme pas, ce sera l'effondrement"

Directeur de la rédaction de L’Express entre août 2006 et octobre 2016, Christophe Barbier publie "Deux présidents pour rien", un pavé de 600 pages qui reprend ses chroniques parues tout au long des mandats de Nicolas Sarkozy et François Hollande. Au terme de cette décennie, l’éditorialiste à l’écharpe rouge, d’une plume élégante mais acérée, se révèle sans pitié sur le bilan des deux hommes. Quelles leçons en tirer pour la présidentielle de 2017 ?
Christophe Barbier publie "Deux présidents pour rien", aux éditions Presses de la Cité

Vous utilisez le terme de « Sarkollande » pour résumer ces deux mandats. C'est donc le même échec, à l'issue ?

Oui, c'est une seule et même déconvenue. Nicolas Sarkozy et François Hollande ont tous les deux affirmé leur volonté de réformer et de briser la malédiction du chômage, et tous les deux ont échoué. Le premier a voulu lutter contre la crise financière de 2008, mais il a agi comme s'il s'agissait d'une crise cyclique de cinq ans, alors que c'était une mutation économique globale. Le second n'a pas fait les réformes économiques, fiscales ou sociales dont le pays a besoin. Et tous les deux, sur un plan personnel, ont aussi échoué à incarner la fonction présidentielle.

À vous lire au fil des chroniques, on remarque ces deux débuts de mandats ratés, avec d'énormes fautes en communication, entre le yacht de Vincent Bolloré d'un côté, et un président inerte sous la pluie de l'autre...

Ce sont deux débuts ratés mais pour des raisons différentes. Sarkozy était un personnage qui a dévoré la fonction. Il a fait du Sarkozy avant toute chose, avant même d'exercer la fonction, comme on l'a vu avec la mise en scène de son mariage avec Carla Bruni, ou le choix de ministres un peu people, Rachida Dati et autres. Il a alors affiché un grand surmenage, ce qui a en effet gâché le début de son quinquennat. Hollande a fait le contraire : la fonction a supplanté l'homme. Il n'avait pas la dimension, comme l'ont montré ses trois semaines de vacances prises sitôt élu, ou cette session parlementaire extraordinaire de juillet 2012, totalement vide alors qu'un rapport de la Cour des comptes l'enjoignait de réformer. Enfin, il y a aussi eu un problème d'impréparation. Aucun d'eux n'avait autour de lui d'équipe déjà constituée et prête à dégainer ses textes au Parlement. Ils ont pris six mois pour les former. À leur retour de congés fin août, la conjoncture économique les avait déjà débordés.

Partagez-vous cette théorie des « 100 premiers jours », délai pendant lequel un président devrait lancer ses plus fortes réformes ?

Oui, il y a sans aucun doute quelque chose à faire dès le début d'un quinquennat. C'est peut-être 100 jours, ou peut-être moins en raison des législatives. C'est un délai pendant lequel le président élu jouit d'une légitimité incontestable, qui ne peut pas être contestée par les syndicats ou l'opposition. Mais pour cela, il faut être techniquement prêt et avoir, comme je le disais, des textes à faire voter tout de suite. Je suis d'ailleurs intéressé par cette proposition de François Fillon, qui a annoncé qu'il veut désigner ses futurs ministres dès la campagne présidentielle. Si cela contribuait à installer cette tradition du « shadow cabinet » (système de cabinet alternatif au gouvernement anglais, désigné par l'opposition, NDLR), alors nous aurions des équipes prêtes assez tôt et nous ferions des progrès.

Autre symétrie dans la gouvernance : le président normal qui succède à l'hyperprésident. Deux démarches opposées, mais le même rejet par les électeurs à l'arrivée, dites-vous encore.

C'est aussi un rejet de par l'esprit des institutions elles-mêmes. La Ve République impose d'avoir des relais à Matignon et auprès des ministres. Mais quand Sarkozy traite son Premier ministre de « collaborateur », ou donne l'impression que la parole de Claude Guéant (alors son directeur de cabinet à l'Élysée, NDLR) pèse plus que celle des ministres, il commet une erreur. On ne peut pas court-circuiter les corps intermédiaires. Si vous réformez les collectivités, vous ne pouvez pas passer outre l'Association des régions ou des maires de France. Hollande a fait une erreur différente. Techniquement, il n'a pas été obéi. Son cabinet à l'Élysée était trop faible. Et c'est parce qu'un désaccord s'était instauré entre ses ministres qu'il est allé prendre la parole et se fourvoyer dans l'affaire Léonarda. Enfin, même si le peuple a élu un président normal, il veut d'abord un président capable de tenir la dragée haute à Barack Obama ou Vladimir Poutine.

On a fait aussi, à Hollande et Sarkozy, le reproche d'abandonner très vite leurs promesses de campagne. Est-il fondé ?

Oui, à nouveau pour des raisons différentes. Sarkozy s'est pris en pleine figure la crise de 2008 et comme on l'a vu, il n'a pas compris que la chute de la banque Lehman Brothers changeait la donne mondiale. C'est le reproche qu'on peut lui faire : ne pas avoir adapté sa politique assez vite, avoir été trop timoré sur la TVA sociale ou la réforme fiscale. Il était sur une ligne politique à dix ans - car il tablait sur sa réélection -, alors qu'avec la crise, il n'en a eu que deux. Pour sa part, Hollande a appliqué une première politique, qui était pour moitié la sienne, et pour moitié celle de Martine Aubry (Première secrétaire du Parti socialiste de 2008 à 2012, NDLR) en vertu des accord politiques passés par le PS avec ses alliés. Quand des problèmes sont apparus avec le « ras-le-bol fiscal », quand le rapport Gallois est sorti, il a décidé d'appliquer sa propre politique, plus proche de sa filiation delorienne.

Le mandat de Hollande semble montrer que des limites ont été atteintes, et que vous relevez : limites du fiscalisme avec le ras-le-bol fiscal et le pacte de compétitivité (qui n'a pas créé les emplois attendus), limites de la Ve République avec un article 49-3 plus décrié que jamais...

Il est évident que si le prochain président ne réforme pas, nous pourrons peut-être tenir encore cinq ans, mais l'état économique du pays débouchera sur un effondrement, et l'état social sur une grande colère. Si le prochain président échoue, le suivant sera issu du Front National. Nous sommes dans ce scénario de dominos d'échec. Qui pourra porter ces réformes ? Fillon ? Macron ? Valls* ? Tout est ouvert mais l'urgence, selon moi, est qu'il ne faut plus se tromper de méthode. Je crois qu'une priorité doit être donnée à la réduction de la dépense publique afin de redonner de l'oxygène à la machine. Mais j'ai peut-être tort et Hamon raison, qui veut d'abord redistribuer du pouvoir d'achat pour relancer la consommation.

S'agissant des régions, vous diagnostiquez, chez les deux présidents, un échec récurrent de l'État en terme de politique territoriale. Pour quelle raison ?

Sarkozy était un bonapartiste, un dirigiste, dont la pensée n'était pas de valoriser les territoires. C'est plus confus chez Hollande. Ce dernier est d'abord un départementaliste, qui agit selon l'axe État/préfet/département. La France n'a jamais eu de vrai président régionaliste. Hollande a au moins fait la nouvelle carte des régions, utile à condition de sortir de ce petit jeu qui veut que quand l'État baisse la dotation globale des collectivités, celles-ci se vengent en tardant à appliquer ses réformes. Il faut donner à l'échelon territorial de vrais pouvoirs. C'est un peu fait sur l'économie, mais on doit aller plus loin. Par exemple, une éducation nationale n'a plus de sens aujourd'hui. Il faut bien sûr garantir l'égalité dans l'accès à l'éducation, mais les Régions sont assez grandes pour gérer en autonomie des programmes éducatifs, des filières prioritaires définies en fonction des bassins d'emploi, etc.

Sarkozy avait imaginé les conseillers territoriaux, Hollande a redessiné les régions, que Fillon prétend réformer à son tour... Après la fiscalité, l'instabilité territoriale est-elle à l'ordre du jour ?

Il ne revient pas au prochain président de s'occuper de ce sujet. C'est aux régions concernées de le faire. Si la Bretagne veut se rapprocher des Pays de Loire, si des départements veulent fusionner, libres à eux. Ce n'est pas aux candidats à la présidentielle de dire que l'Occitanie est « notoirement trop grande » (citation de François Fillon, NDLR). Si une région doit affronter la concurrence des Länders allemands ou des petites nations économiquement efficaces, elle ne sera jamais assez grande.

Malgré ce constat pessimiste, quelles réformes mettez-vous au crédit des deux hommes ?

Sarkozy en a plusieurs, sur la justice, la santé, ou l'université, même si certaines d'entre elles auraient mérité d'être conduites jusqu'au bout. Par exemple, il a manqué à la réforme des universités deux ou trois années de plus pour être définitive, car la gauche, qui n'y était pas favorable, ne l'a guère poussée. La constante chez les deux présidents est l'engagement de l'armée. Ils ont su l'engager dans des conflits qui les dépassaient, car leurs répercussions se feront sentir à 20 ou 25 ans. Sarkozy et Hollande n'en avaient que cinq, mais ils ont agi vite. Et heureusement, car sans l'intervention à Benghazi, en Libye, nous aurions eu 50 000 morts et un Bachar bis. Ils ont été des chefs de guerre à la hauteur. L'autre point commun est qu'ils ont été tous deux dans la compassion. Ils n'ont pas été des présidents cyniques, sans doute en rapport avec leur histoire privée.

En 2007, vous écriviez que l'élection présidentielle était celle de la dernière chance. Dix ans plus tard, tous les éditorialistes, vous compris, le disent encore. La chronique politique touche-t-elle aussi à ses limites ?

Oui, c'est déprimant (rires) ! Nos plumes sont des sabres de bois avec lesquels nous donnons souvent des coups d'épée dans l'eau. Le sentiment qu'il s'agit de l'élection de la dernière chance est pourtant toujours présent. Notre rôle est de sonner l'alerte, sinon nous ne servons à rien. En guise de rappel, j'ai mis en conclusion de ce livre une chronique de 2006, où je réclamais l'instauration du vote à seize ans. Or je vois que Thierry Solère ( ex-porte-parole de François Fillon, NDLR) vient de le proposer. Il ne faut donc pas désespérer...

* : entretien paru dans notre numéro de février/mars 2017.

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