Pourquoi le Crédit Agricole du Languedoc a été condamné face aux courtiers immobiliers

La condamnation, qualifiée d’« historique » par la secrétaire générale de l’Union des intermédiaires de crédit (UIC), Bérengère Dubus, crée une jurisprudence favorable aux courtiers en prêts immobiliers : la cour d’appel de Paris a condamné la caisse régionale du Crédit Agricole du Languedoc pour avoir rompu une convention d’apport d’affaires avec un cabinet de courtage sans respecter le délais de préavis. Une première décision qui crée un précédent et ouvre la porte à des indemnisations pour les courtiers.
Cécile Chaigneau
Le Crédit Agricole du Languedoc annonçait 2,7 milliards d'euros de crédits immobiliers en 2021 (soit 34,9% de parts de marché) et 2,3 milliards d'euros en 2022.
Le Crédit Agricole du Languedoc annonçait 2,7 milliards d'euros de crédits immobiliers en 2021 (soit 34,9% de parts de marché) et 2,3 milliards d'euros en 2022. (Crédits : DR)

Alors que le marché immobilier reste très tendu et les taux d'intérêt hauts, un nouvel épisode judiciaire vient confirmer une relation très crispée entre banques et courtiers en prêts immobiliers. Une condamnation de la caisse régionale du Crédit Agricole du Languedoc par la cour d'appel de Paris, rendue le 27 septembre dernier, traduit l'état d'une profession, les intermédiaires de crédit, qui traverse une passe difficile et n'est pas prête à se laisser faire, fusse par leurs partenaires bancaires.

Enfin, « partenaires » mais pas toujours dans les meilleurs termes... Et c'est justement cette relation commerciale entre banques et courtiers en prêt immobilier, régie par une convention d'apport d'affaires, qui est en cause dans ce dossier opposant un cabinet de courtage montpelliérain et le Crédit agricole du Languedoc : en mai 2016, le Crédit Agricole du Languedoc et le courtier avaient signé une convention d'apport d'affaires, mais le 30 octobre 2019, la banque languedocienne dénonçait cette convention avec un préavis d'un mois.

« Au lieu d'un mois par année d'ancienneté comme le veut la réglementation », dénonce Bérengère Dubus, secrétaire générale de l'Union des intermédiaires de crédit (UIC), dont le cabinet de courtage Finance Immo, à Montpellier, travaillait lui-même depuis dix ans avec le Crédit Agricole du Languedoc. Considérant cette résiliation des relations commerciales « brutale et abusive », le cabinet de courtage a assigné la banque, l'accusant dans le même temps « de s'être livrée à une campagne de dénigrement des intermédiaires en opérations bancaires ».

Modifier leur modèle économique

Ancienne conseillère au CIC, Bérengère Dubus maîtrise les arcanes du crédit immobilier. Il y a quelques mois, elle est montée au créneau contre certaines banques (dont le Crédit Agricole du Languedoc) qui refusaient de traiter tout dossier émanant de courtiers, dénonçant une entrave à leur liberté d'exercice. Fin 2022, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire avait rappelé les banques à l'ordre, prenant fait et cause pour les courtiers.

« D'autres banques - Crédit Mutuel, CIC, LCL - ont résilié leur contrat avec des courtiers, et c'est leur choix commercial, mais avec un préavis d'un an, ce qui a permis aux courtiers de modifier leur modèle économique, explique Bérengère Dubus. Quand les banques résilient les conventions, elles traitent nos dossiers mais ne nous paient plus de commissions - en général 1% du montant du prêt accordé par la banque - et nous devons alors facturer les commissions à nos clients. Mais quand ça fait quinze ans qu'on dit partout que notre service est gratuit, il faut expliquer que ce n'est plus le cas aux clients, apprendre à nos salariés à vendre des honoraires, faire passer le message à nos partenaires. Ce n'est plus le même métier pour les courtiers, qui vendent du conseil. »

En mars 2022, le cabinet de courtage avait été débouté par le tribunal de commerce de Marseille « parce que la profession de coutier relève du cadre spécifique du code monétaire et financier, et comme il n'existait pas de littérature juridique sur ce point précis, nous avons dû démontrer que la résiliation de convention d'apport d'affaires relève bien du code du commerce », indique la secrétaire générale de l'UIC.

La décision de la cour d'appel de Paris réhabilite les courtiers dans leur requête. Le cabinet de courtage estimait sa marge brute perdue, sur une période de 18 mois, à 41.436 euros, une estimation toutefois ramenée à 1.584 euros par la cour d'appel. Concernant les accusations de dénigrement, la cour d'appel a estimé que « le dénigrement allégué n'était pas caractérisé » et a rejeté les demandes de ce chef. Enfin, le tribunal a ordonné la publication d'un extrait de la condamnation sur la page d'accueil des sites internet de la Caisse régionale pendant une durée de huit jours.

« Certains courtiers n'ont pas résisté »

Mais surtout, cette décision crée une jurisprudence : « Cette condamnation du Crédit Agricole du Languedoc crée une jurisprudence historique et va permettre aux courtiers du Languedoc de demander à être indemnisés. Nous verrons si nous engageons une action collective ou des négociations avec la banque. Plusieurs cabinets ont attaqué séparément la banque, avec le soutien de l'UIC, et les autres décisions devraient tomber bientôt ».

Même si elle se dit satisfaite, la secrétaire générale de l'UIC affirme toutefois que la décision du Crédit Agricole du Languedoc a fait quelques dégâts dans les rangs du courtage : « Il faut se souvenir qu'en plus, dans le même temps, le Crédit Agricole ne traitait plus nos dossiers, alors qu'il représente en général environ 30% de parts de marché (la caisse régionale annonçait en effet 2,7 milliards d'euros de crédits immobiliers en 2021, soit 34,9% de parts de marché, et 2,3 milliards d'euros en 2022 - NDLR). Donc c'est en moyenne 30% d'affaires en moins pour les cabinets de courtage, et ça peut même monter à 60% en Lozère et 40% dans le Gard. La décision de justice intervient quatre ans après les faits, et certains courtiers n'ont pas résisté... Pour ma part, par exemple, entre le chiffre d'affaires perdu et les autres banques qui avaient baissé leurs commissions, j'ai dû fermer mon agence à Béziers et licencier trois collaborateurs ».

Sollicité par la rédaction, le Crédit Agricole du Languedoc a fait savoir qu'il ne souhaitait pas commenter cette décision de justice. Bérengère Dubus affirme qu'il n'y aura pas d'autre recours du Crédit Agricole et indique que depuis le rappel à l'ordre de Bruno Le Maire il y a neuf mois, la banque a recommencé à travailler avec les courtiers.

Lire aussiLa guerre entre les banques et les courtiers en crédit immobilier se déplace sur Linkedin

35% d'endettement, le taux qui coince

Une autre règle, à l'origine destinée à protéger les emprunteurs du surendettement, fait aujourd'hui l'objet d'inquiétude de la part des courtiers : le taux d'endettement maximum, part maximale que peut représenter un emprunt dans les revenus totaux d'un ménage et qui a été plafonnée à 35% par le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) depuis janvier 2022. Si cette règle ne posait pas de problème dans le contexte d'un marché dynamique et de taux d'intérêt bas, la donne n'est plus la même en 2023 et nombre de candidats à l'emprunt voient désormais leur taux d'endettement franchir le seuil des 35%, bloquant leur accès au crédit.

« Le problème, ce n'est pas les 35% mais le contexte qui a changé et les taux qui sont haut, explique Bérengère Dubus. Nous demandons à la Banque de France de revoir cette mesure pour l'adapter à la période. J'étais au ministère du Logement jeudi dernier (12 octobre, NDLR) pour évoquer ce sujet, et les courtiers ont prévu une manifestation à Paris en novembre. »

Le HCSF a examiné un éventuel assouplissement de ce taux d'endettement le 26 septembre dernier, mais a finalement maintenu ce plafond, au motif que les banques ont le droit de déroger à cette règle pour 20% de leurs dossiers.

Cécile Chaigneau

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