Des chercheurs pointent la double peine infligée au bilan carbone par la pêche industrielle

Un consortium international piloté par quatre chercheurs du laboratoire MARBEC à Montpellier estime qu’en raison du carbone rejeté par les poissons lorsqu’ils sont pêchés, les émissions de CO2 liées à la pêche industrielle sont en réalité 25 % plus élevées que ce qui est considéré jusqu’à présent. Explications.
Cécile Chaigneau
Les grands poissons tels que les thons, requins, maquereaux ou espadons, sont constitués de 10 à 15 % de carbone, dont ils rejettent une partie quand ils sont pêchés.
Les grands poissons tels que les thons, requins, maquereaux ou espadons, sont constitués de 10 à 15 % de carbone, dont ils rejettent une partie quand ils sont pêchés. (Crédits : IRD - Ifremer)

Thons, requins, maquereaux, espadons... Ces grands poissons sont constitués de 10 à 15 % de carbone. Quand ils meurent naturellement dans l'océan, ils coulent rapidement dans les profondeurs, entraînant avec eux tout le carbone qu'ils contiennent, qui est ainsi séquestré dans l'océan profond pendant des milliers voire des millions d'années. Ils constituent donc des puits de carbone dont l'ampleur n'avait jamais été estimée.

Mais qui sait, qu'à l'inverse, lorsqu'un poisson est pêché, la majeure du carbone qu'il contient est relâché dans l'atmosphère sous forme de CO2 quelques jours ou semaines après sa capture et sa consommation ?

C'est ce que pointe un consortium international piloté par quatre chercheurs (Gaël Mariani, Laure Velez, Marc Troussellier et David Mouillot) du laboratoire MARBEC (MARine Biodiversity, Exploitation and Conservation - Unité Mixte de Recherche IRD, Ifremer, Université de Montpellier, CNRS), qui se sont penchés sur le sujet en collaboration avec 3 universités étrangères, 2 organisations internationales pour la nature (WWF et National Geographic) et une entreprise (SPYGEN).

Ils viennent de publier une étude dans Science Advances le 28 octobre dernier, démontrant que ce phénomène naturel de "pompe à carbone" est grandement perturbé par la pêche industrielle.

Blue carbon

« C'est la première fois que l'on estime la quantité de ce "blue carbon" qui est relâchée dans l'atmosphère par la pêche », explique David Mouillot.

Une estimation loin d'être négligeable puisque les chercheurs considèrent que ce déficit de séquestration du carbone dans l'océan profond représenterait plus de 25 % du précédent bilan carbone de l'activité de pêche industrielle, qui serait ainsi doublement émettrice de CO2 dans l'atmosphère, via la consommation de fioul des bateaux et l'extraction de poissons de l'eau libérant du CO2 qui sans cela, resterait captif de l'océan.

D'après cette étude, les émissions de CO2 liées à la pêche industrielle devraient donc être revues à la hausse : « Trois-quarts de ces émissions réelles sont liées à la consommation de carburant, mais un quart provient du fait que le carbone contenu dans les poissons pêchés est libéré sous forme de CO2 dans l'atmosphère au lieu de rester enfoui dans les fonds marins », ajoute le chercheur.

Une pêche plus raisonnée

Pour les auteurs de l'étude, ces nouvelles données constituent un argument de poids en faveur d'une pêche plus raisonnée : « La désactivation par la pêche de la pompe à carbone que représentent ces grands poissons suggère que de nouvelles mesures de protection et de gestion doivent être mises en place, afin qu'une partie de grands poissons reste un puit de carbone et ne devienne plus une source supplémentaire de CO2 », préconise Gaël Mariani.

« Il faut surtout pêcher mieux, ajoute David Mouillot. Les bateaux de pêche vont parfois sur des zones très éloignées, ce qui occasionne une énorme consommation de carburant, alors même que les prises de poissons dans ces zones ne sont pas rentables et que cette pêche n'est viable que grâce aux subventions ».

Les chercheurs estiment ainsi que 43,5 % de ce "blue carbon" extrait par la pêche provient de telles zones.

« Limiter l'extraction de ce "blue carbon" non-rentable économiquement contribuerait donc à réduire les émissions de CO2 en limitant la consommation de fioul et en réactivant une pompe à carbone naturelle et peu coûteuse », concluent-ils.

Cécile Chaigneau

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