Manger du poisson sur la Lune : l’Ifremer engrange ses premières réussites

Alors que l’on parle d’envoyer des hommes et femmes pour vivre sur la Lune (et même sur Mars), l’alimentation des astronautes devient un enjeu majeur pour la réussite de ces missions. Afin de pourvoir à leur autonomie alimentaire partielle, un chercheur de l’Ifremer de Palavas-les-Flots mise sur les poissons et travaille sur leur capacité de leurs oeufs à voyager dans l’espace pour éclore sur la Lune. Il s’apprête à faire sa première publication scientifique sur le sujet.
Cécile Chaigneau
La mission Lunar Hatch (Ifremer) étudie la faisabilité d'envoyer des poissons prêts à éclore sur la future station lunaire européenne afin de contribuer à l'autonomie alimentaire partielle des astronautes.
La mission Lunar Hatch (Ifremer) étudie la faisabilité d'envoyer des poissons prêts à éclore sur la future station lunaire européenne afin de contribuer à l'autonomie alimentaire partielle des astronautes. (Crédits : Henry Romero)

L'idée d'envoyer des hommes et femmes vivre sur la Lune - et même sur Mars - n'est plus une hypothèse mais une ambition sérieuse et concrète. L'alimentation de ces nouveaux pionniers de l'espace devient alors un enjeu majeur pour la réussite de ces missions.

Car manger des produits lyophilisés sur le long terme sur une base lunaire ou martienne n'est pas durable. Si les scientifiques de la NASA expérimentent depuis plusieurs années le jardinage en microgravité (en 2015, les astronautes de la Station spatiale internationale mangeaient la première salade cultivée et récoltée dans l'espace), ce n'est pas suffisant car ce régime expose les astronautes à des carences, notamment en vitamines K, B12 et oméga 3...

Centre européen d'excellence en aquaculture marine, le centre de recherche de l'Ifremer de Palavas-les-Flots (34) étudie les poissons marins, leur génétique, leur système de reproduction, et plus globalement tout ce qui peut favoriser l'aquaculture durable. Il conjugue son expertise avec celle du Centre Spatial Universitaire de Montpellier (CSUM) au sein du programme Lunar Hatch pour remédier à cette problématique de l'alimentation des astronautes.

Le pari du poisson

Cyrille Przybyla, chercheur en biologie marine à l'Ifremer et rattaché à l'UMR Marbec (MARine Biodiversity, Exploitation and Conservation), a alors eu une idée : « Dans le cadre du projet de base lunaire européenne, de nombreux laboratoires dans le monde travaillent sur la production de végétaux, mais j'ai proposé de travailler sur des apports nutritionnels d'origine animale. Et je fais le pari que le premier animal élevé dans l'espace sera un animal aquatique, et probablement un poisson ».

Les atouts de l'espèce ? Un très bon indice de conversion alimentaire et des animaux qui consomment trois fois moins d'oxygène que les animaux terrestres et produisent trois fois moins de dioxyde de carbone.

Si l'idée a semblé farfelue au départ, elle est aujourd'hui prise très au sérieux et le chercheur est sur le point de faire sa première publication scientifique sur ses premiers résultats.

Aquaculteur de l'espace

Pour pouvoir faire de l'aquaculture sur la Lune et donc installer un système d'élevage dans l'espace, la mission Lunar Hatch s'appuie sur l'envoi d'œufs fécondés sur terre et la programmation de leur éclosion sur la Lune. Il a alors fallu sélectionner les espèces de poissons qui pourraient candidater au voyage...

« Le voyage pour aller sur la lune prend 3 à 6 jours, explique le chercheur. Parmi les 360 espèces de poissons d'aquaculture existant, nous en avons sélectionné 20, notamment sur le critère de la durée d'embryongénèse qui doit être de 4 à 6 jours. Nous avons finalement retenu 8 bons candidats, comme la truite, le saumon, le bar, la morue, le maigre ou le flétan, qui sont des espèces robustes et souples. »

Le scientifique travaille avec l'entreprise sud-africaine Nano-Satellite Mission Design qui met au point une intelligence artificielle permettant de distinguer les œufs fécondés de ceux qui ne le sont pas - en alternative à un tri qui se fait pour le moment à l'œil humain - et de préciser le stade d'embryogénèse de chaque œuf.

Le premier étage du projet, c'est LAUVE (LAUnch Vibration on fish Embryo). Cyrille Przybyla a obtenu un financement interne pour le monter grâce au soutien de la direction scientifique de l'Ifremer. Il consiste à expérimenter, avec le CSUM et le laboratoire LMGC (Laboratoire de Mécanique et Génie Civil), la simulation d'un lancement de fusée sur des œufs embryonnés de poissons, afin de tester leur bonne résistance aux vibrations subies, « car le premier facteur de stress que peut rencontrer l'œuf, c'est le décollage », précise Cyrille Przybyla.

Résistance aux vibrations : une première victoire

« Les premiers résultats sur deux stades de développement embryonnaire sur le bar et le maigre sont très concluants et montre la flexibilité de l'organisme aquatique face aux contraintes des conditions de lancement d'un vaisseau spatial », assure Cyrille Przybyla.

Une première victoire pour la mission Lunar Hatch. Les chercheurs vérifient maintenant une autre interrogation : comment les œufs de poissons peuvent-ils survivre durant 3 à 6 jours de vol dans un endroit confiné, quels seront leurs besoins en oxygène pour atteindre la Lune et quelle qualité de l'eau faut-il maintenir pour leur assurer un bien-être pendant le vol ?

« Aujourd'hui, les simulations en cours concernent les 80 000 premiers kilomètres (sur les 400 000 à parcourir pour aller sur la lune, NDLR), raconte Cyrille Przybyla. Nous procédons à des prélèvements de marqueurs de stress pour mesurer le bien-être des œufs car si le stress est trop fort, les œufs vont s'autodétruire. C'est encore tôt pour dire si ça va marcher, mais je suis très confiant ! Et s'il y a un souci, je préconise d'apporter des correctifs pour une solution toute biologique. »

Objectif Lune

Le CNES vient de confirmer le financement des études en hypergravité (durant l'accélération de la fusée) et en microgravité, « avec l'ambition d'expérimenter à terre la cascade d'événements auxquels seraient soumis les œufs », ajoute le chercheur de l'Ifremer. Restera alors à évaluer les rayonnements cosmiques, c'est-à-dire l'impact des particules chargées en énergie parcourant l'espace et qui peuvent être dommageables pour l'ADN d'un être vivant.

Du point de vue expérimental, les tests à Terre réalisés par l'Ifremer et le CSUM devraient être prêts dès 2021, en vue d'un lancement qui permettra de poursuivre les expérimentations de Lunar Hatch.

« L'objectif de l'Europe, c'est 40 personnes sur la Lune en 2040, rappelle Cyrille Przybyla. Il faudra dimensionner combien de poissons sont nécessaires pour leur alimentation pour savoir combien d'œufs envoyer... La Lune représente une étape intermédiaire sur le chemin qui mènera jusqu'à Mars. »

Cécile Chaigneau

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