"Les représentations sur le télétravail sont en train d’évoluer"

A la faveur de la crise sanitaire, le télétravail peut-il devenir une norme ? Comment a-t-il été vécu par les salariés et les dirigeants d’entreprises ? Frédéric Dumalin, directeur Occitanie de l’Agence régionale pour l’amélioration des conditions des travail (ARACT), témoigne de ce qu’il s’est passé dans les entreprises régionales et évoque les enseignements à tirer d’une récente étude sur le télétravail durant la crise Covid-19.
Cécile Chaigneau
(Crédits : Tran Mau Tri Tam / Unsplash)

L'Aract est aux premières loges en matière d'observation des conditions de travail. Quel message souhaitez-vous passer au sortir de la période de confinement ?

Frédéric Dumalindirecteur de l'Aract Occitanie : « La 1e chose qui nous a marqués, c'est le caractère subit et massif, souvent peu anticipée, de la situation : du jour au lendemain, le 17 mars, tout le monde a basculé dans une situation inédite. Mais en Occitanie, c'est la 3e fois en vingt ans que ce genre de situation se présente : nous avons connu l'explosion de l'usine AZF à Toulouse le 21 septembre 2001, les inondations dans l'Aude en octobre 2018, et aujourd'hui la pandémie de Covid-19. Ce qui explique peut-être la réactivité de nos équipes pour venir en appui aux entreprises... Ces expériences nous permis d'alerter pour mieux préparer la sortie du confinement. Le risque est que de nouvelles organisations s'installent durablement sans prendre le temps de la prise de recul et de réflexion sur ces nouvelles organisations. Alors que le risque de reconfinement n'est pas écarté, cette réflexion aidera aussi les entreprises à réfléchir à une éventuelle autre situation de confinement avec recours au télétravail... »

Qu'a mis en place l'Aract Occitanie pour accompagner les entreprises régionales ?

« Nous avons, dès les premiers jours de confinement, conçu un mur numérique mis en ligne sur notre site internet, qu'on a fait connaitre aux organisations professionnelles et syndicales, avec des informations pratiques à destination de ceux qui travaillaient (santé, alimentation, services à la population...), de ceux qui télétravaillaient, et de ceux qui étaient en chômage partiel. Près de 5 000 entreprises de notre région s'en sont servi pour trouver des réponses à leurs questions. Dans un second temps, dans la perspective de la sortie de cette période confinée, nous avons participé très activement à la conception du dispositif national baptisé "Objectif Reprise" qui permet d'appuyer les entreprises pour réussir la reprise et la poursuite de l'activité. »

L'Anact a réalisé une étude nationale sur le télétravail, baptisée "Télétravail en confinement, vous le vivez comment ? ". Que dit-elle sur l'Occitanie ?

« 8 675 personnes y ont répondu au niveau national, et 484 en Occitanie. Nous observons dans la région globalement les mêmes tendances qu'au national. En France, 51 % des répondants n'avait jamais télétravaillé, contre 58 % en Occitanie. Ce qui signifie que plus de gens ont découvert le télétravail en Occitanie. 40 % de ceux qui n'ont pas l'habitude de télétravailler sont mal équipés... Pour l'ensemble des gens qui ont télétravaillé, 86 % considèrent avoir disposé de moyens adaptés. 49,6 % des gens ont déclaré travailler plus en télétravail, 17 % travailler autant, et seulement 33 % ont travaillé moins, mais on ne sait pas si cela tenait aux conditions matérielles, à des enfants dont il fallait aussi s'occuper ou à des activités peu ou pas adaptées au télétravail. 78,4 % des répondants occitans estiment que cela facilite la conciliation des temps personnel et professionnel. Hors étude, ils témoignent toutefois d'un rythme de travail intense en particulier pour les managers. Mais pas seulement car si 67,4 % ont eu le sentiment d'être plus efficaces, sur le plan de l'intensification du travail, 73 % des répondants se disent épuisés et pensent que ça ne peut pas durer dans cette forme. Il semblerait que les relations entre collègues n'aient, dans un premier temps, pas trop souffert : pour 16 %, elles se sont améliorées, pour 19 %, elles se sont dégradées. Enfin, 85,2 % des salariés de l'Occitanie disent qu'ils veulent bien continuer de manière occasionnelles ou régulières jusqu'à 3 jours par semaine, avec la possibilité à préserver de se retrouver en collectif. »

Que nous apprend cette étude ?

« De multiples activités qu'on pensait ne pas pouvoir faire en télétravail ont en réalité pu être réalisées. Globalement, les gens ont travaillé, montrant qu'ils n'ont pas besoin d'un "gendarme" derrière eux mais plutôt de managers mieux préparés au management à distance. Et nous avons la confirmation que le télétravail produit un confort de vie apprécié, plus d'autonomie, mais attention aux risques d'une charge de travail importante et d'amplitudes horaires de travail mal maitrisées... Dans l'étude, 34 % des entreprises interrogées emploient de plus de 500 salariés, 9 % de 250 à 500 salariés, et 57 % sont des TPE-PME dont 24 % de moins de 50 salariés. La moitié sont dans le privé, l'autre dans le public. Elle révèle que du côté des chefs d'entreprises, nombreux sont ceux qui sont surpris que le télétravail marche plutôt bien, ce qui montre que les représentations sur le télétravail sont en train d'évoluer. Certains dirigeants commencent aussi à réfléchir à des évolutions des espaces de travail, plus orientés vers le partage de temps collectifs, avec des localisations et des surfaces qui pourraient évoluer... »

Quels enseignements tirer de cette étude ?

« La principale, c'est que si on anticipe les besoins et les règles à mettre en place, si les nouvelles façons de travailler se réfléchissent, alors des espaces nouveaux s'ouvrent pour faire évoluer les organisations du travail. Le télétravail a permis un travail de qualité du point de vue des salariés, mais attention à l'intensification du travail. Pour mieux comprendre les effets des évolutions en cours en matière de télétravail sur les conditions de travail, les équilibres vie professionnelles et personnelles, la négociation collective et les effets économiques pour les entreprises, nous avons le projet de mener une autre enquête, une enquête-terrain, début 2021 en Occitanie avec le Certop - laboratoire de recherche de l'université Toulouse 2. Nous pourrons sans doute alors vérifier que les salariés en télétravail ont expérimenté de nouvelles façons de faire. Il faut laisser les salariés prendre des initiatives sur ce qu'ils connaissent bien, lâcher les brides, leur faire confiance, car ils sont à cœur de bien faire les choses, bien faire leur travail. »

Comment l'Aract peut-elle accompagner les entreprises sur ces questions de réorganisation ?

« Nous travaillons sur plusieurs actions. Tout d'abord, pour répondre tout de suite aux besoins des petites et moyennes entreprises TPE et les PME, le dispositif "Objectif Reprise" est mis en place jusqu'en juin 2021 sur le site de l'Anact. Il est particulièrement adapté aux entreprises qui peuvent se retrouver dans des situations critiques, je pense notamment aux entreprises du secteur du tourisme, les entreprises du bâtiment, de l'agriculture, de l'événementiel, du culturel. A toutes celles qui ont un besoin urgent de réflexion sur la manière de travailler aujourd'hui, le dispositif "Objectif Reprise" leur permet d'identifier le sujet à traiter en priorité et elles seront recontactées par l'Aract Occitanie dans les quatre jours. Elles bénéficient ensuite d'un accompagnement entièrement pris en charge par l'Etat. Aujourd'hui, 600 entreprises de notre région sont allées prendre des informations en ligne sur le dispositif et 150 entreprises ont demandé à être rappelées. Le réseau Anact-Aract a réorienté près de la moitié du fonds pour l'amélioration des conditions de travail (FACT), soit 1 M€ au national, pour répondre à des besoins de branches professionnelles ou d'acteurs du territoire (BTP, tourisme, sous-traitants de l'aéronautique ...) afin de mieux aider les entreprises de leur secteur à prendre le temps de la réflexion sur les transformations en cours et inventer les organisations innovantes pour réussir demain. Il s'agit d'aller voir ce qui se passe dans les entreprises pour leur permettre de redécoller vite via le financement (80 %) d'un consultant qu'elles choisiront... Enfin, sur le site de l'Aract Occitanie ou de l'Anact, il est possible d'accéder à des outils en ligne, comme par exemple un kit Télétravail, permettant de réfléchir à la mise en oeuvre du télétravail dans le temps long ou en urgence. »

Cécile Chaigneau

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