E-commerce : quel bilan pour la plateforme "Je soutiens mes commerçants" à Montpellier ?

La plateforme numérique locale "Je soutiens mes commerçants", lancée par la Ville de Montpellier et ses partenaires en novembre 2020, a-t-elle produit les effets attendus chez les premiers concernés ? Ou aura-t-elle été une sorte de placebo pour passer le cap de la crise sanitaire tout en permettant aux élus de se montrer actifs ? Aura-t-elle eu comme vertu de réveiller la nécessité de s’acculturer au commerce en ligne pour ceux qui n’avaient pas franchi le pas ? Analyse.
Cécile Chaigneau
Environ 740 commerces de la métropole de Montpellier se sont inscrits sur la plateforme en ligne Je soutiens mes commerçants, lancé en novembre 2020.
Environ 740 commerces de la métropole de Montpellier se sont inscrits sur la plateforme en ligne "Je soutiens mes commerçants", lancé en novembre 2020. (Crédits : DR)

En novembre 2020, au plus fort de la crise sanitaire et après deux confinements qui avaient mis les commerces à mal, la ville de Montpellier, les chambres consulaires de l'Hérault et l'Union des entreprises de proximité, se mobilisaient pour créer une plateforme en ligne, baptisée "Je soutiens mes commerçants". Dans le même temps, la Région Occitanie lançait sa propre plateforme, "Dans ma zone". Dans la bouche des politiques, un seul maître-mot alors : consommer local.

« Dans la crise, il y a deux attitudes possibles : soit on pleure et on meurt, soit on se mobilise et on prépare l'avenir », déclarait alors le maire de Montpellier, Michaël Delafosse, ajoutant que « la vraie évaluation sera de voir combien de commerces auront survécu à la crise ».

Près d'un an et demi plus tard, le président de la CCI Hérault, André Deljarry, affirme que « pour le moment, il n'y a pas de gros souci, mais le secteur reste sous surveillance durant cette année charnière post-Covid »... Une question se pose : la plateforme aura-t-elle contribué efficacement à sauvegarder un peu d'activité pour les commerces ?

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« Un pansement »

La Ville ou la CCI ne communiquent pas de chiffres de bilan mais l'on comprend, dans les non-dits, que le succès n'a probablement pas été mercantile.

Conçue en interne par les services de la Ville, cette plateforme n'était pas une « marketplace » puisqu'on ne pouvait pas y faire d'achats en ligne, mais une plateforme-vitrine afin de recenser et faire connaître les commerçants de proximité, offrant, pour ceux qui le souhaitaient, la possibilité de faire du « click & collect ».

« Ça n'avait aucun intérêt ni aucun bon sens d'être en frontal avec Amazon, puisque ça existe déjà, souligne aujourd'hui Roger-Yannick Chartier, adjoint au commerce de proximité à la Ville de Montpellier, qui assure que la plateforme n'aura demandé qu'un investissement infime car faite en interne. Notre intention, au départ, était de créer du lien, de donner de la visibilité aux commerces et de leur permettre un rebond, mais aussi de ne pas couper le lien avec eux. Ça les a rassurésCe lien numérique n'était qu'un pansement, un prétexte... Nous avons enregistré environ 740 commerçants qui se sont inscrits sur 1.600 (le président de la CCI donne, lui, le chiffre de 4.500 commerces de détail existant sur la ville, NDLR) et près de 2.500 fiches-produits renseignées. Les équipes de la mairie ont appelé les commerçants pour les accompagner. Car nous voulions aussi évaluer leur engagement réel sur les outils numériques et cette plateforme était une façon d'avoir une remontée d'informations. Il faut savoir que certains n'avaient même pas un site internet ! Cette plateforme les obligeait à travailler sur leur présence sur internet, sur leur image, sur leur base clients. »

De son côté, le président de la CCI martèle « on ne pouvait pas rester les bras croisés sans rien faire ! ».

« Des outils de communication des politiques »

Des propos qui confortent Jean-Paul Crenn, le président de la Fédération du e-commerce d'Occitanie (FEDEO), dans une analyse amère : « Ces différentes plateformes créées par les collectivités comme la Ville de Montpellier ou la Région Occitanie ont été avant tout des outils de communication des politiques pour montrer qu'ils faisaient quelque chose. Le problème, c'est que ça a été fait avec amateurisme. Or le e-commerce, c'est une technicité, un savoir-faire. Si on se lance dans ce genre d'action, il faut être clair sur des objectifs précis, avoir une stratégie en lien avec les besoins concrets des commerçants et en considérant leurs capacités réelles en matière de numérique. Sinon, on est sûr que ça ne marchera pas ! Il y avait un manque d'acculturation à tous les niveaux, autant chez les politiques que chez les commerçants. C'est dommage car la fédération aurait pu aider... Nous avons bien été contactés par les équipes de Carole Delga à la Région, mais au final, on n'a eu qu'une seule réunion avec eux. L'objectif de ce type de plateforme, c'est de générer beaucoup de visites : si on est à 200 par jour, c'est le maximum. Or ça ne peut fonctionner que s'il y a des flux importants. Alors quel impact "Je soutiens mes commerçants" a-t-elle eu sur le tiroir-caisse des commerçants ? ».

Vraisemblablement minime. Au Château de Fourques, domaine viticole basé à Juvignac en périphérie immédiate de Montpellier, on indique n'avoir enregistré aucune commande via la plateforme... Valérie Minella, qui dirige la boutique Les Toiles du Soleil dans le centre-ville de Montpellier, est claire elle aussi : « Honnêtement, on ne peut pas dire que nous avons eu de bons retours... Peut-être une ou deux commandes, et encore. Nous avions créé un site internet pendant le premier confinement car il fallait trouver des relais de croissance et aujourd'hui, il est évident qu'on ne peut pas se contenter d'avoir une boutique, il faut aussi une stratégie numérique ».

« On a gagné dix ans sur le numérique »

Jean-Paul Crenn ne dit pas autre chose : « La responsabilité incombe aussi aux commerçants qui se sont rendus compte qu'ils étaient en retard sur la digitalisation alors qu'on en parle depuis longtemps. Est-ce que tout ça va déclencher un réveil sur le sujet ? Je l'espère ».

« Les commerçants ont compris qu'il fallait aller sur le commerce en ligne chercher un chiffre d'affaires additionnel, répond André Deljarry. On aura beaucoup perdu avec cette crise sanitaire, mais on a gagné dix ans sur le numérique ! Le monde a changé, y compris pour le commerce qui s'est toujours adapté. A nous de les accompagner avec les collectivités locales. Nous avons un devoir de réflexion sur ce sujet. »

Que va devenir cette plateforme numérique, maintenant que les clients sont globalement revenus dans les boutiques ?

« On doit avoir encore environ 40 visiteurs/jour sur la plateforme, mais on la maintient en veille, déclare Roger-Yannick Chartier. Mais nous n'avons pas réinvesti dessus. L'avenir est de recréer des animations pour faire revenir les gens dans le centre-ville. »

Le président de la CCI, lui, dit vouloir engager une réflexion élargie : « Il faut regarder si on ne pourrait pas transformer toutes les plateformes qui ont été lancées localement dans la région en une marketplace adossée à une plateforme de livraison ».

Faire frontalement concurrence à Amazon, donc ? André Deljarry se rebiffe : « Et pourquoi on ne créerait pas une marketplace responsable à l'échelle de la région, pour des clients qui veulent consommer local, en circuits courts ? Carole Delga (présidente de la Région Occitanie, NDLR) m'a donné le feu vert pour porter cette réflexion. Il y a un travail de fond important à faire, peut-être qu'on n'ira pas aussi loin, mais on y réfléchit ».

Cécile Chaigneau

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